En quittant le bureau d’Alexandre, Éléa ferma doucement la porte derrière elle. Elle n’eut pas le loisir de voir l’expression satisfaite qui s’affichait sur son visage, comme s’il venait de remporter une victoire secrète. Alexandre semblait satisfait, et elle se demandait pourquoi. Cette pensée la suivit jusque chez elle, où elle tenta de la chasser en sirotant un verre de vin sur le balcon, contemplant la vue nocturne de la ville éclairée. Le silence de la nuit contrastait étrangement avec le tumulte intérieur qu’elle ressentait. Malgré ses efforts pour faire le vide, sa pensée revenait sans cesse à Alexandre.
Elle n'était pas dupe ; elle savait qu’il cherchait à retarder son départ du service, espérant peut-être gagner du temps ou profiter encore un peu de sa présence. Mais pour quelle raison ? Éléa en était venue à se demander si cette insistance cachait autre chose qu’un besoin professionnel. Certes, le projet de fusion était un enjeu majeur, mais elle sentait qu’il y avait plus que cela, et cette idée l’irritait profondément. Elle n'était pas un simple pion dans les jeux d’Alexandre, et elle ne comptait pas lui laisser la satisfaction de la manipuler. Il avait pris la décision de rester auprès de sa femme, et elle comptait bien s'assurer qu'il assume jusqu'au bout son choix.
Elle se remémorait les signes, les regards insistants d’Alexandre, les petites attentions et les regards qu’il lui jetait, furtifs mais révélateurs. Il restait un homme de principe, loyal envers ses choix, mais ce contrôle semblait vaciller par moments. Oui, il avait cédé à ses sentiments pour elle, oui, il avait franchi une limite, mais au lieu de suivre cette nouvelle direction, il avait préféré retourner vers Sophie, reconstruire ce qui était brisé. Peut-être que le poids de ses valeurs, de son mariage, avait pris le dessus sur ce qu’ils avaient partagé. Et cela, Éléa pouvait le comprendre. Mais cela ne signifiait pas qu’il pouvait la garder près de lui sans conséquence.
Elle comprenait à quel point Alexandre pouvait souffrir dans cette situation. Son mariage était fragile, et même si elle ne voulait pas l’admettre, elle savait qu’il lui avait souvent confié sa peine et son incompréhension face aux choix de Sophie. Sophie avait longtemps préféré sortir, voyager, passer du temps avec ses amis, ignorant les efforts d’Alexandre. Et pourtant, c’était cet homme qui, à la première opportunité de réconciliation, avait tout laissé derrière lui pour sauver ce mariage. Éléa ressentait une colère sourde en repensant à ce choix. Pourquoi, alors qu’il avait eu la chance de prendre un nouveau départ, avait-il fait ce choix si douloureux pour elle ?
Pourtant, elle ne pouvait ignorer la réalité. Sophie, malgré son comportement distant, avait montré des signes de changement, de remords, lorsqu'elle avait réalisé qu'elle risquait de perdre Alexandre. Peut-être était-ce là la raison pour laquelle Alexandre s’était engagé dans cette nouvelle tentative de sauver leur mariage. Mais Éléa savait qu’elle méritait mieux. Elle n’avait pas à être une simple présence de secours, un réconfort qu’on laisse de côté dès que les choses se réparent ailleurs.
Les souvenirs de leurs moments passés ensemble revenaient sans cesse. Elle se souvenait de la tendresse de ses gestes, de la profondeur de son regard. Alexandre l’avait aimée ; elle l’avait vu dans chaque mot, chaque geste. Et aujourd'hui, même si leurs regards se croisaient avec une certaine retenue, elle lisait encore cette flamme qu’il s’efforçait de contenir. Mais ce regard ne suffisait plus, et elle ne pouvait pas rester prisonnière de ses propres sentiments.
Alexandre devait comprendre qu’elle n’était pas un jouet, ni une simple variable dans une vie complexe. Elle était une personne à part entière, avec des émotions, une dignité, et surtout une volonté de ne plus rester dans l’ombre de son passé. Le souvenir d’Alexandre devait s’éloigner, et elle comptait bien tourner la page, même si cela signifiait le laisser derrière elle pour de bon.
Elle prit une longue inspiration, savourant la fraîcheur de la nuit. Cette décision qu’elle mûrissait, cette volonté de changement, elle savait qu’elle n’était pas simple à appliquer, surtout quand Alexandre mettait constamment des obstacles sur son chemin. Peut-être craignait-il réellement de la perdre ; peut-être n’était-il pas prêt à couper tous les ponts. Mais il devait aussi comprendre qu’il ne pouvait pas continuer à la retenir, à la manipuler pour qu’elle reste.
Demain, elle irait au bureau avec une résolution renforcée. Elle s’était engagée sur ce projet parce qu’elle savait qu’elle avait des compétences à y apporter, et elle voulait honorer cet engagement. Mais elle comptait bien lui rappeler, chaque jour s’il le fallait, que ce projet était leur dernière collaboration, que cette porte qui s’était refermée entre eux ne s’ouvrirait plus.
Elle ferma les yeux un instant, laissant les souvenirs douloureux s’évanouir dans la nuit. Le verre de vin qu’elle tenait encore dans la main se vida doucement, mais l’amertume restait au fond de sa gorge, un rappel constant de la douleur que cette relation lui avait laissée. Elle se répéta qu’elle était forte, qu’elle n’avait pas besoin de lui pour avancer. Cette séparation était difficile, oui, mais elle était nécessaire. Elle ne voulait plus être prisonnière de ses regrets, de ses attentes déçues.
En repensant aux jours passés, elle réalisa qu’Alexandre ne s’était jamais vraiment excusé pour le mal qu’il lui avait causé. Peut-être que, pour lui, cette rupture était naturelle, une suite logique des événements. Mais pour elle, c’était bien plus que cela. Elle l’aimait, mais elle avait aussi appris que l’amour n’était pas toujours suffisant, et qu’elle méritait mieux que d’être retenue dans l’incertitude.
Le vent nocturne caressa son visage, apaisant légèrement son cœur endolori. Ce soir, elle comprit qu’elle était prête à avancer, prête à laisser derrière elle tout ce qu’elle avait vécu avec Alexandre. Elle savait que la douleur ne partirait pas du jour au lendemain, mais elle se sentait plus forte, plus résolue.
En vidant son verre et en rentrant à l’intérieur, elle se promit de ne plus céder aux jeux d’Alexandre. Elle n’était pas là pour satisfaire ses incertitudes, ni pour combler ses vides émotionnels. Elle était là pour elle-même, pour construire son avenir, et elle n’allait plus laisser personne, pas même lui, dicter la direction de sa vie.
Et, quoi qu’il arrive, elle était déterminée à suivre son propre chemin.