Le lendemain au bureau, la tension entre Éléa et Alexandre était palpable. Les employés alentours semblaient avoir remarqué leur échange tendu de la veille, et Éléa sentait les regards curieux se poser sur elle dès qu'elle passait dans le couloir. La matinée avançait, mais Alexandre l’évitait délibérément, se plongeant dans des réunions ou en fermant la porte de son bureau dès qu’il la voyait arriver. Éléa sentait son irritation grandir ; elle ne supportait plus cette situation ambiguë. Elle avait besoin d’obtenir de lui une réponse claire au sujet de son transfert de service.
De son côté, Alexandre semblait plus occupé que jamais, absorbé dans des dossiers importants. Sophie faisait des allers-retours réguliers au bureau, apportant parfois un déjeuner, parfois des documents, et à chaque passage, la relation entre Alexandre et elle semblait plus stable et plus affectueuse. Alexandre l’accueillait toujours avec un sourire, un geste tendre, et leurs échanges ne faisaient qu’accentuer l’amertume d’Éléa. Elle avait l’impression de suffoquer, enfermée dans ce tourbillon d’émotions contradictoires, observant l’homme qu’elle avait aimé vivre pleinement son amour pour une autre.
Après de multiples tentatives pour obtenir un entretien avec Alexandre, elle réussit enfin à le croiser seul dans un couloir.
— Alexandre, il faut que je vous parle, dit-elle d’un ton ferme qui laissait peu de place au refus.
Il se retourna vers elle, visiblement peu enclin à cette discussion. Pourtant, face à son insistance, il soupira et hocha la tête, la conduisant dans son bureau. Fermant la porte derrière eux, il prit quelques secondes avant de lui adresser la parole, comme s’il réfléchissait à la meilleure façon de commencer.
— J’imagine que tu veux encore me parler de ton changement de service, lança-t-il finalement, les yeux baissés sur les dossiers qu’il tenait entre les mains.
— Oui, confirma Éléa, sa voix trahissant un mélange de détermination et de nervosité. Je ne peux plus continuer dans cette situation. C’est insupportable. Je veux vraiment être transférée dans un autre service, et plus tôt ce sera fait, mieux ce sera.
Alexandre soupira, hésitant visiblement avant de lui répondre. Il finit par poser les dossiers et la regarda droit dans les yeux.
— Je comprends, Éléa, mais il y a quelque chose d’important dont je dois te parler.
Il marqua une pause, semblant peser chaque mot avant de poursuivre :
— Nous sommes sur le point de lancer un projet de fusion avec Altair Technologies, une société de technologie de pointe. Ce projet est crucial, et je ne peux me permettre aucun écart ou risque. Pour être honnête, je n’ai pas le choix : j’ai besoin de toi pour mener à bien cette fusion.
Éléa fronça les sourcils, surprise par la tournure de la conversation.
— Je suis sûr que quelqu’un d’autre pourrait prendre en charge cette tâche, Alexandre. Vous avez d’autres employés qualifiés.
À ces mots, Alexandre haussa les sourcils, l’air légèrement décontenancé.
— Depuis quand tu me vouvoies, Éléa ? demanda-t-il, visiblement troublé par ce changement.
Elle détourna le regard, une légère gêne se peignant sur son visage.
— C’est normal, répondit-elle simplement. Vous êtes mon patron, et ça doit rester ainsi.
Il secoua la tête, semblant frustré.
— Non, je ne l’accepte pas. Je ne veux pas que tu mettes cette distance entre nous. Continue de me tutoyer, comme avant.
Éléa le fixa, inspirant profondément pour garder son calme. Elle savait que c’était important de poser des limites claires, de ne plus franchir les frontières qui les avaient déjà tant égarés.
— Alexandre, c’est justement cela le problème. Ce « comme avant » fait partie du passé, et il doit y rester, répondit-elle d’une voix douce mais ferme. Je ne veux plus franchir cette limite. J’ai pris cette décision, et j’ai besoin que vous la respectiez.
Un éclair de contrariété traversa son regard, mais il hocha lentement la tête, acceptant enfin sa demande.
Après un moment de silence, il reprit.
— Éléa, si je te demande de rester, ce n’est pas pour te garder ici par simple caprice. Cette fusion, c’est bien plus qu’un simple projet. Les risques financiers sont énormes, et le moindre faux pas pourrait coûter très cher à l’entreprise. J’ai besoin de toi, de ta rigueur et de ton expertise.
Il marqua une pause, cherchant ses mots.
— Je te demande de rester jusqu’à la fin de ce projet. Ensuite, je te promets que nous parlerons de ton changement de service. Mais pour le moment, il faut que tu restes avec moi.
Éléa regarda Alexandre, troublée par l’intensité de sa demande. Elle savait que ce projet représentait un véritable défi professionnel, et que son expertise pourrait vraiment faire la différence. Mais travailler si étroitement avec Alexandre, malgré tout ce qu’ils avaient traversé, semblait être une épreuve insurmontable.
— Je ne sais pas, Alexandre. Vous me demandez de rester alors que je vous ai clairement fait comprendre mon besoin de distance, répondit-elle d’une voix hésitante.
Il hocha la tête, semblant comprendre ses doutes.
— Écoute, je ne vais pas te forcer. Si tu acceptes, je te garantis que je respecterai ton souhait de changer de service une fois ce projet terminé. Mais il n’y a personne d’autre avec qui je puisse mener cette fusion, Éléa. Pas avec le même niveau de confiance.
Elle croisa les bras, réfléchissant. Ce projet pouvait représenter pour elle une opportunité de prouver ses compétences une dernière fois avant de partir. Et même si cela signifiait devoir composer avec ses émotions, elle se rendait compte que ce défi était aussi une chance de clore cette histoire sur une note plus positive.
— D’accord, finit-elle par céder. Je vais vous aider sur ce projet de fusion. Mais une fois que ce sera terminé, je veux être transférée. Et cette fois, pas d’objections, Alexandre.
Un sourire soulagé passa brièvement sur le visage d’Alexandre.
— Parfait. Merci, Éléa. Je sais que c’est beaucoup te demander, mais tu ne le regretteras pas.
Elle acquiesça en silence, même si une part d’elle restait sceptique. Elle ne savait pas à quoi s’attendre après la fin de ce projet, ni comment elle allait gérer cette collaboration sous une pression aussi forte. Mais elle se promit de garder une distance professionnelle, de ne plus se laisser envahir par les souvenirs et les émotions. Il fallait qu’elle reste forte, qu’elle se concentre uniquement sur l’objectif de cette fusion. Pour elle, ce serait une manière de boucler la boucle, de tourner définitivement la page avec Alexandre, même si cela impliquait de revivre des moments douloureux en travaillant à ses côtés.