Franchir les frontières invisibles

1167 Words
Le lendemain matin, Paris était enveloppée d’un léger brouillard. Le soleil peinait à percer à travers les nuages, donnant à la ville une ambiance feutrée. Eléa marchait d’un pas rapide vers la tour Ravelis, son esprit toujours embrouillé par les événements de la veille. Elle avait passé la nuit à rejouer la scène dans son esprit, revivant chaque regard, chaque mot échangé avec Alexandre. Elle avait tenté de rationaliser ce qui s'était passé. Mais rien n'y faisait, ses pensées étaient tournées vers lui. Lorsqu’elle entra dans l’ascenseur, elle croisa son propre reflet dans les miroirs brillants. "C’est une nouvelle journée", se dit-elle. "Je vais rester professionnelle, tout ira bien." Mais alors qu'elle approchait de son bureau, cette détermination s'effaçait peu à peu. Son cœur s’emballa à l’idée de revoir Alexandre. Elle n’eut pas à attendre longtemps. Quelques minutes après son arrivée, un appel retentit sur son téléphone de bureau. La voix familière d’Alexandre résonna dans l’appareil. — Eléa, pouvez-vous venir dans mon bureau ? J’aimerais que l’on revoie quelques détails sur le projet de ce matin. Son ton était poli, mais elle percevait quelque chose d’autre, une légère tension cachée derrière ses mots. Elle acquiesça calmement, rassembla quelques documents, et se dirigea vers son bureau. "Reste concentrée", pensa-t-elle une fois de plus. Lorsque Eléa entra dans le bureau d'Alexandre, elle trouva ce dernier assis à son bureau, les yeux rivés sur un écran d’ordinateur. Il releva la tête dès qu’elle franchit la porte, et leurs regards se croisèrent. Elle ressentit immédiatement ce courant électrique qui semblait toujours les lier. Mais cette fois, c’était différent. Le silence qui régnait dans la pièce était plus lourd, plus intense. — Merci d’être venue, Eléa, dit-il doucement, la voix légèrement plus basse que d’habitude. Il se leva et s’approcha de la table en verre au centre de la pièce, indiquant à Eléa de le rejoindre pour examiner les documents qu’elle avait apportés. Elle s’approcha lentement, évitant de croiser son regard. "Reste concentrée, reste professionnelle", répétait-elle en boucle dans son esprit. Ils se tenaient si proches l’un de l’autre, leurs mains frôlant à peine les papiers sur la table. Eléa pouvait sentir la chaleur de son corps si près du sien. La tension entre eux devenait insoutenable. Il lui parla du projet, mais elle peinait à suivre le fil de ses explications. Ses pensées étaient ailleurs, sur ce lien invisible qui semblait les attirer l’un vers l’autre. — Vous allez bien ?, demanda soudain Alexandre, interrompant ses pensées. Elle sursauta légèrement, relevant les yeux vers lui. Son regard était intense, scrutateur. Il la regardait comme s’il essayait de lire en elle, de comprendre ce qu’elle ressentait. Elle sentit ses joues s’empourprer. — Oui, oui, tout va bien, répondit-elle rapidement, baissant les yeux sur les papiers. Mais il ne détourna pas le regard. Et ce moment suspendu, cet instant où tout bascule, arriva. Alexandre s’approcha imperceptiblement, et elle sentit la tension entre eux atteindre son paroxysme. Ils étaient seuls dans cette immense pièce, isolés du monde extérieur, comme dans une bulle où rien d’autre n’avait d’importance. Sans vraiment comprendre comment ni pourquoi, leurs regards se verrouillèrent, et cette fois, ils ne purent se détourner. C’était comme si tout ce qu’ils avaient tenté de réprimer venait enfin de s’effondrer. Alexandre fit un pas vers elle. Son souffle se fit plus court, et elle sentit son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Il tendit la main, et avant même qu’elle ne puisse réagir, il effleura son bras. Un geste simple, anodin, mais qui déclencha une vague de sensations dans tout son corps. — Eléa..., murmura-t-il, sa voix plus grave, presque brisée. Elle ne bougea pas. Elle était figée, comme prise au piège dans cet instant qui semblait hors du temps. Tout en elle hurlait de s’éloigner, de mettre une distance entre eux, mais elle ne le fit pas. Elle ne pouvait pas. — Je suis désolé, souffla-t-il, comme s'il luttait contre ses propres désirs. Je ne devrais pas... Il recula légèrement, les yeux fermés, essayant de retrouver son calme. Mais c'était déjà trop tard. Ce simple contact, ce simple moment où ils avaient franchi une frontière invisible, avait tout changé. Eléa, quant à elle, ne savait plus quoi penser. Son esprit était embrouillé. Elle se maudissait de ne pas avoir mis fin à ce moment plus tôt. Mais une part d’elle ne voulait pas que cela s’arrête. — Je vais y aller, dit-elle enfin, sa voix à peine audible, et elle s'éloigna rapidement vers la porte. Mais avant qu'elle ne puisse sortir, Alexandre parla à nouveau. — Je ne voulais pas..., commença-t-il, hésitant. C’est juste que… il y a des choses que je ne peux pas dire. Eléa s’arrêta, la main sur la poignée. Elle le regarda par-dessus son épaule, et dans ses yeux, elle vit une tristesse qu’elle n’avait jamais perçue avant. Il n’était pas seulement un homme puissant et sûr de lui. Derrière cette façade, il y avait quelqu’un qui souffrait, quelqu’un de perdu. La porte se referma doucement derrière elle, et Eléa se retrouva dans le couloir, le cœur lourd et l’esprit en ébullition. Ce qu’il venait de se passer n’était pas anodin. Elle avait franchi une limite, une limite qu’elle s’était jurée de ne jamais dépasser. En retournant à son bureau, elle tenta de reprendre le contrôle de ses pensées. Mais c’était impossible. L’image d’Alexandre, cette proximité qu’ils avaient partagée, tout cela la hantait. Elle s’assit à son bureau, feignant de lire les dossiers devant elle, mais elle n’y arrivait pas. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle n’était pas ce genre de femme. Elle n’était pas censée se retrouver dans une situation pareille. Et pourtant, elle se sentait incapable de lutter contre cette attraction. Son cœur lui criait de s’éloigner, mais son corps la trahissait. "Je dois être plus forte", pensa-t-elle, se forçant à fixer ses yeux sur l’écran d’ordinateur devant elle. Le reste de la journée se déroula dans un brouillard. Eléa évita soigneusement de croiser à nouveau Alexandre, prétextant des réunions ou des appels urgents pour ne pas avoir à retourner dans son bureau. Mais elle savait que cette stratégie ne tiendrait pas longtemps. Alors qu’elle préparait son départ en fin d’après-midi, elle reçut un message sur son téléphone. C’était un simple texto de la part d’Alexandre : "Je suis désolé pour ce matin." Elle resta un instant à fixer l’écran, son cœur battant à tout rompre. Que devait-elle répondre ? Devait-elle simplement ignorer le message ? Mais elle savait que rien ne serait jamais simple entre eux. Elle verrouilla son téléphone sans répondre, se levant précipitamment pour quitter le bureau avant de céder à l’envie de répondre. Le ciel de Paris s'assombrissait tandis qu'Eléa marchait vers la sortie de l'immeuble. Elle essayait de se convaincre que ce n’était qu’une erreur, un moment de faiblesse qu’ils pourraient tous deux oublier. Mais au fond d’elle-même, elle savait que cette limite invisible, bien qu’encore fragile, venait d’être franchie.
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