Le poids des silences

1145 Words
La semaine qui suivit le moment tendu entre Alexandre et Eléa fut marquée par une distance froide et calculée. Eléa s’efforçait de maintenir un air professionnel en toute circonstance, évitant soigneusement de se retrouver seule avec Alexandre. Chaque fois que leurs chemins se croisaient, elle esquivait son regard, cachant le trouble grandissant dans son cœur. Elle ne pouvait plus nier l’évidence : leurs interactions, même les plus banales, étaient chargées d’une intensité qu’elle ne parvenait pas à éteindre. Pourtant, au fond d’elle, Eléa espérait secrètement que le moment qu’ils avaient partagé pourrait être oublié. Que tout cela n’était qu’une erreur, une faiblesse passagère, et qu’ils pourraient revenir à une relation strictement professionnelle. Mais cette pensée s’effritait chaque jour un peu plus. De son côté, Alexandre se débattait avec ses propres démons. L’attraction qu’il ressentait pour Eléa était devenue plus qu’une simple tentation ; elle envahissait son esprit, éclipsant même les problèmes qu’il rencontrait dans son mariage avec Sophie. Sophie, toujours aussi distante et préoccupée par sa vie mondaine, ne semblait même plus s’intéresser à leurs tentatives de sauver ce qu’il restait de leur relation. Alexandre aimait encore sa femme, ou du moins il aimait l’idée de leur vie ensemble, celle qu’ils avaient partagée avant que tout ne se désagrège. Mais à chaque instant passé avec Eléa, à chaque regard furtif ou conversation banale, il sentait cette certitude s’effondrer un peu plus. Il se surprenait à imaginer ce que cela serait d’être avec Eléa, loin des apparences, loin des attentes sociales. Pourtant, ce n’était qu’un fantasme, un rêve dangereux qui ne pouvait jamais devenir réalité. Un matin, Alexandre convoqua Eléa et quelques membres de l’équipe pour une réunion importante sur un projet stratégique. La réunion avait lieu dans la grande salle de conférence, avec une vue imprenable sur la ville. Assise au bout de la table, Eléa sentait le regard d’Alexandre peser sur elle, même s’il ne prononçait pas un mot à son égard. Il s’adressait aux autres, passant en revue les étapes du projet, mais ses yeux revenaient inévitablement vers elle. Elle essayait de se concentrer sur les discussions, de prendre des notes, mais son esprit ne pouvait s’empêcher de dériver vers cette tension silencieuse entre eux. Elle savait que leurs collègues ne voyaient rien, que tout semblait normal de l’extérieur, mais pour elle, chaque seconde passée dans cette salle était un rappel de cette frontière invisible qu’ils avaient franchie. — Eléa, qu’en pensez-vous ?, demanda soudain Alexandre, interrompant ses pensées. Elle releva la tête, prise au dépourvu. Tous les regards se tournèrent vers elle. — Excusez-moi, vous pouvez répéter la question ?, répondit-elle, le cœur battant. Alexandre esquissa un sourire, à peine perceptible, mais suffisant pour la déstabiliser encore plus. Il reprit son explication, patient, mais elle savait que ce sourire cachait bien plus que de la simple indulgence. La réunion continua, mais pour Eléa, elle avait l’impression de marcher sur des braises. Chaque mot échangé semblait chargé d’un sous-texte, chaque regard pesait plus lourd. Lorsqu’elle quitta la salle, elle sentait ses mains trembler légèrement. Elle était épuisée par cette lutte intérieure, par ce jeu dangereux auquel elle jouait sans vraiment le vouloir. Plus tard dans la journée, Eléa retourna à son bureau pour finaliser quelques dossiers avant de partir. La journée touchait à sa fin, et elle espérait pouvoir quitter l’immeuble sans avoir à croiser à nouveau Alexandre. Mais, comme si le destin en avait décidé autrement, elle reçut un message sur son ordinateur. "Pouvez-vous passer dans mon bureau avant de partir ?" C’était un simple message de la part d’Alexandre, mais il résonna en elle comme une alarme. Elle savait que ce moment devait arriver, qu’ils ne pouvaient pas continuer à éviter la discussion qui pesait entre eux. Elle resta immobile quelques instants, les yeux fixés sur l’écran, hésitant sur la réponse à donner. Finalement, elle se résigna à y aller. Elle frappa doucement à la porte de son bureau avant d’entrer. Alexandre était assis à son bureau, un air sérieux sur le visage. Il releva les yeux dès qu’elle entra, et l’atmosphère dans la pièce devint immédiatement tendue. — Vous vouliez me voir ?, demanda-t-elle, sa voix trahissant une légère nervosité. Alexandre se leva lentement, se dirigeant vers la baie vitrée. Il prit une grande inspiration avant de parler. — Oui... je voulais m’assurer que vous alliez bien, après tout ce qui s’est passé dernièrement, dit-il enfin, sa voix plus douce qu’elle ne l’avait imaginé. Eléa resta silencieuse. Elle savait de quoi il parlait, mais elle n’était pas prête à aborder ce sujet. Pas maintenant. Pas avec lui. — Je suis désolé, Eléa, continua-t-il. Je n’aurais jamais dû... ce qu’il s’est passé... ce n’était pas juste envers vous. Elle serra les poings, essayant de garder son calme. — Vous n’avez rien à vous reprocher, répondit-elle finalement, sa voix froide. Nous sommes tous deux responsables. Mais cela doit s’arrêter. Vous êtes marié, Alexandre. Et je ne suis qu’une employée. Il se retourna brusquement, la fixant avec une intensité qui la désarma. — Vous n’êtes pas juste une employée, Eléa, dit-il fermement. Vous le savez. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Cette déclaration, aussi simple soit-elle, venait de briser le mur qu’elle avait tenté de construire entre eux. Elle détourna le regard, essayant de reprendre ses esprits. Mais Alexandre s’approcha, doucement, comme s’il craignait de l’effrayer. — Je ne peux pas nier ce que je ressens, murmura-t-il. Mais je comprends que c’est mal. Et je comprends que je dois respecter vos limites. Il s’arrêta à quelques centimètres d’elle, son regard planté dans le sien. — Je ne veux pas vous perdre, Eléa. Pas en tant que collègue, ni en tant que... Il laissa sa phrase en suspens, comme s’il n’osait pas mettre de mot sur ce qu’il ressentait vraiment. Eléa, quant à elle, se sentait prise au piège. Chaque fibre de son être lui criait de partir, de quitter cette pièce avant qu’il ne soit trop tard. Mais une autre part d’elle, plus faible, plus vulnérable, voulait rester, voulait entendre ce qu’il avait à dire. — Alexandre, je... je ne peux pas, balbutia-t-elle. Je ne peux pas vous donner ce que vous voulez. Il ferma les yeux, comme s’il anticipait cette réponse, mais sa déception était palpable. — Je sais, murmura-t-il enfin. Je sais. Le silence qui suivit fut lourd de non-dits. Ils se regardèrent une dernière fois, avant qu’Eléa ne se détourne et quitte le bureau. Elle savait qu’ils venaient de franchir une autre limite, une limite plus dangereuse que la précédente. Alors qu’elle marchait vers la sortie de l’immeuble, la nuit tombait sur Paris, et avec elle, une nouvelle ère de doutes et de regrets commençait pour Eléa. Leur relation ne pouvait pas continuer ainsi, mais elle ne pouvait s’empêcher de se demander si c’était vraiment la fin.
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