L'escalade

1165 Words
Eléa se leva difficilement ce matin-là, après une nuit sans sommeil. Les paroles d’Alexandre tournaient en boucle dans sa tête : "Vous n’êtes pas juste une employée." Ces mots avaient fait naître en elle un mélange d’excitation et de terreur. Elle ne pouvait plus ignorer ses sentiments, mais elle savait que cette voie était dangereuse. Plus elle laissait ses émotions s’exprimer, plus elle risquait de se perdre dans une relation sans issue. Arrivée au bureau, Eléa tenta de retrouver un semblant de normalité. Le silence de la tour Ravelis semblait peser encore plus lourd qu’à l’ordinaire. Elle se plongea dans ses dossiers, espérant que le travail lui permettrait d’oublier, au moins pour quelques heures, ce poids constant qui pesait sur elle. Mais à chaque page tournée, à chaque e-mail envoyé, ses pensées revenaient inévitablement à Alexandre. Elle n’avait pas encore croisé son regard aujourd’hui, et elle s’efforçait d’éviter de le rencontrer. Ce qui s’était passé la veille, cette conversation dans son bureau, avait laissé une empreinte profonde dans son esprit. Elle savait qu’à un moment ou à un autre, ils devraient se confronter à ce qu’ils ressentaient. Mais elle espérait retarder cette confrontation autant que possible. En fin de matinée, Eléa fut informée d’une réunion importante qui aurait lieu dans la grande salle de conférence. Tous les cadres de l’entreprise y étaient conviés, y compris Alexandre. Sophie Zervaine, la femme d’Alexandre, devait également y assister. Sophie n’apparaissait que rarement dans les bureaux, préférant de loin ses soirées mondaines et ses voyages à travers le monde. Mais aujourd'hui, elle faisait une exception. L'idée de rencontrer Sophie dans un cadre aussi formel fit naître un sentiment d’inquiétude chez Eléa. Elle avait toujours évité de penser à Sophie, cette figure distante mais omniprésente qui la rappelait constamment à la réalité : Alexandre était marié, et rien de ce qu’elle ressentait ne pouvait changer cela. Mais aujourd’hui, elle n’aurait pas d’autre choix que de faire face à cette réalité. Eléa prit place dans la salle de conférence, son regard se posant brièvement sur les participants déjà installés. Puis la porte s’ouvrit, et Alexandre entra, suivi de Sophie. Eléa détourna instinctivement les yeux, se concentrant sur ses notes. Elle ne pouvait se permettre de croiser le regard de Sophie, pas maintenant. Pas avec tout ce qu’elle ressentait. Alexandre prit place au bout de la table, à quelques mètres seulement d’Eléa. Sophie s’installa à ses côtés, vêtue d’un tailleur impeccable, son visage rayonnant d’une confiance froide. Elle était belle, sans aucun doute, mais il y avait quelque chose de distant dans son regard, une indifférence glacée qui ne semblait jamais s’attarder sur son mari. La réunion débuta, mais pour Eléa, les minutes passaient comme dans un brouillard. Elle n’entendait que des bribes des discussions qui se déroulaient autour d’elle, ses pensées constamment attirées par Alexandre et Sophie. Elle ne pouvait s’empêcher de remarquer l’absence de connexion entre eux. Ils parlaient peu, échangeaient à peine des regards. Pourtant, ils étaient assis côte à côte, comme si rien ne clochait. Mais Eléa savait que tout n’allait pas bien. À un moment donné, elle sentit le regard d’Alexandre se poser sur elle. Elle résista à l’envie de lever les yeux, de lui renvoyer ce regard. Elle savait que ce serait trop. Mais cette chaleur familière envahit son corps, ce même sentiment qu’elle ressentait à chaque fois qu’ils étaient proches. Il la regardait, encore une fois. Et Sophie ? Est-ce qu’elle voyait quelque chose ? Ressentait-elle la tension ? Eléa savait qu’elle ne devait pas se laisser aller à ces pensées, mais c’était plus fort qu’elle. La réunion continua, sans qu’elle ne parvienne à se concentrer réellement sur les sujets abordés. Son esprit était ailleurs, piégé dans ce triangle émotionnel qu’elle essayait en vain d’échapper. Après la réunion, alors que les participants quittaient progressivement la salle de conférence, Alexandre resta en arrière. Eléa, qui rassemblait ses affaires, sentit son cœur accélérer en le voyant rester là, appuyé contre la table, les bras croisés, comme s’il attendait quelque chose. — Eléa, appela-t-il doucement, juste assez fort pour qu’elle l’entende. Elle releva la tête, ses doigts serrant nerveusement les dossiers dans ses bras. Le reste de l’équipe avait déjà quitté la pièce, et ils se retrouvaient maintenant seuls, dans le silence. Son regard était à la fois intense et troublé, et Eléa sentit une vague de chaleur monter en elle. — Je voulais m’excuser pour tout à l’heure, murmura-t-il, avançant d’un pas vers elle. Je n’aurais pas dû te mettre mal à l’aise pendant la réunion. Elle secoua légèrement la tête, tentant de cacher son trouble. — Tout va bien, dit-elle, mais sa voix manquait d’assurance. C’était une réunion comme une autre. Alexandre s’arrêta devant elle, plongeant ses yeux dans les siens. Il resta silencieux pendant un long moment, comme s’il cherchait les mots, ou peut-être le courage de dire ce qu’il pensait vraiment. — Je ne peux pas faire semblant, Eléa, finit-il par dire. Je ne peux pas ignorer ce qui se passe entre nous. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Elle savait que ce moment arriverait, mais elle n’était pas prête. Pas ici, pas maintenant. — Alexandre..., commença-t-elle, sa voix hésitante, mais il la coupa. — Je sais que c’est mal. Je sais que je ne devrais même pas y penser, mais je n’arrive pas à l’arrêter. Elle se sentit défaillir sous l’intensité de ses paroles. C’était ce qu’elle redoutait, mais c’était aussi ce qu’elle désirait entendre. Pourtant, elle devait rester forte, résister. — Nous ne pouvons pas continuer ainsi, murmura-t-elle, détournant les yeux. Vous êtes marié. Et je ne peux pas... Il s’approcha un peu plus, son souffle effleurant sa peau. — Je n’arrive plus à penser clairement quand je suis près de toi, murmura-t-il, sa voix à peine audible. Leurs regards se croisèrent à nouveau, et cette fois, ni l’un ni l’autre ne parvint à s’éloigner. La tension dans l’air était palpable, presque suffocante. Ils savaient tous les deux qu’ils approchaient d’un point de non-retour, d’une limite qu’ils ne pourraient plus ignorer. Alexandre tendit la main, effleurant doucement le bras d’Eléa. Elle frissonna à ce contact, sentant une chaleur familière envahir tout son être. C’était plus que de l’attirance physique, c’était un lien qu’ils ne pouvaient plus nier. Mais elle savait aussi que c’était une erreur, une erreur qui pourrait tout détruire. Elle recula légèrement, brisant le contact. — Je dois partir, dit-elle, sa voix tremblante. Elle se détourna et se dirigea rapidement vers la porte, mais avant de sortir, elle s’arrêta un instant, son dos tourné à Alexandre. Elle ferma les yeux, prenant une profonde inspiration. — Nous ne devrions pas continuer cela, murmura-t-elle finalement, sans se retourner. Elle quitta la salle sans un mot de plus, laissant Alexandre seul dans le silence. Mais au fond d’elle, elle savait que ce n’était pas la fin. Ce n’était que le début d’une spirale dangereuse dont ils ne pourraient pas sortir indemnes.
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