Le retour d’Éléa au bureau n’avait pas été de tout repos. Après plusieurs semaines passées chez ses parents, loin de la pression du travail et des regards inquisiteurs, elle avait repris sa place, bien décidée à avancer. Malgré tout, il lui arrivait de sombrer dans des pensées nostalgiques. Des souvenirs refaisaient surface sans crier gare, la prenant au dépourvu à des moments où elle se sentait enfin plus sereine.
Aujourd'hui, alors qu’elle déjeunait seule à la cafétéria, son regard se posa sur la grande baie vitrée qui offrait une vue dégagée sur la ville en contrebas. Elle se revoyait dans ce même restaurant, en tête-à-tête avec Alexandre, partageant un dîner complice après une journée exténuante. Ils avaient ri et discuté, oubliant les risques, profitant simplement du moment. Maintenant, ce souvenir lui semblait presque irréel, comme un rêve qu’elle ne pouvait plus toucher. Elle soupira en baissant les yeux, essayant de refouler ces pensées.
À ce moment, une silhouette familière entra dans la cafétéria. Sophie, la femme d’Alexandre, venait parfois rendre visite à son mari et, aujourd'hui, elle avait décidé de lui apporter un repas fait maison. Lorsqu'elle aperçut Éléa, elle lui fit un signe chaleureux, s’approcha et lui sourit amicalement.
« Bonjour, Éléa ! Comment ça va depuis ton retour ?
Éléa se raidit légèrement, surprise par l’apparition de Sophie. Elle essaya de garder son calme, malgré le poids de la culpabilité qui pesait sur elle. Elle força un sourire en réponse.
« Oui, ça m’a aidée à retrouver un peu d’énergie, » répondit-elle avec un ton poli. « Le retour au travail permet de penser à autre chose. »
Sophie sourit, sincèrement attentive. « C’est une bonne chose ! On a tous besoin de temps pour soi. D’ailleurs, Alexandre m’a dit combien ton travail a été essentiel ici, même en ton absence. Honnêtement, tu es irremplaçable ! » ajouta-t-elle en riant légèrement.
Éléa sentit son cœur s’alourdir. La sincérité et l’amabilité de Sophie ne faisaient qu’intensifier son malaise. Chaque mot de gratitude résonnait douloureusement, éveillant en elle une honte sourde. Elle baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de Sophie.
« Merci beaucoup, » murmura-t-elle. Elle sentait le poids de la trahison grandir en elle, sachant tout ce qu’elle avait partagé avec Alexandre.
Sophie, qui semblait satisfaite de leur échange, lui demanda des nouvelles de sa famille et lui parla des projets qu'elle avait avec Alexandre. Éléa écoutait, incapable de répondre, son esprit englué dans ses pensées. Après quelques minutes, Sophie s’excusa pour aller retrouver Alexandre et quitta la cafétéria, laissant Éléa face à elle-même. La culpabilité resurgissait, avec une intensité douloureuse. Elle savait que l’attachement qu’elle nourrissait pour Alexandre n’avait plus lieu d’être et que son seul chemin pour avancer passait par un oubli définitif de cet amour interdit.
Dans les jours qui suivirent, Éléa remarqua qu’Alexandre semblait plus serein, presque heureux aux côtés de Sophie. Leur relation retrouvait une stabilité, une harmonie qui la plongeait dans une sorte de tristesse douce-amère. Bien qu’elle sache qu’il s’agissait de la meilleure issue, il lui était difficile de ne pas se sentir reléguée à un souvenir. Elle réalisait peu à peu que son rôle dans la vie d’Alexandre avait été passager, et cette prise de conscience la déchirait intérieurement.
Pourtant, même Alexandre n’était pas épargné par les doutes. Bien que plus investi auprès de Sophie, il ressentait un manque diffus, une impression d’incomplétude qu’il peinait à comprendre. Certains soirs, il se surprenait à repenser aux discussions qu’il avait eues avec Éléa, à cette complicité unique qui les avait rapprochés. Leur relation, bien que fragile et secrète, avait apporté quelque chose qu’il ne parvenait pas à retrouver dans son quotidien, même au sein de son couple.
Un soir, alors qu’il rentrait du travail, Sophie lui parla d’une soirée qu’elle souhaitait organiser pour les employés. Elle s’animait, parlant avec passion de chaque détail de la décoration et des invités. Alexandre l’écoutait avec tendresse, souriant face à son enthousiasme. Mais un pincement au cœur subsistait. Malgré son amour sincère pour Sophie, il sentait que quelque chose lui échappait, une part de lui-même qu’il ne parvenait pas à combler.
Le lendemain, tandis qu’il quittait une réunion, Alexandre croisa Éléa dans un couloir désert. Ils échangèrent un regard furtif, et pendant une fraction de seconde, aucun d’eux ne bougea. Il hésita un instant, puis l’interpella doucement.
« Éléa, je… je voulais juste savoir comment tu vas, » dit-il, d’une voix à la fois calme et pleine de non-dits.
Elle sentit son cœur s’emballer, mais elle se força à garder son sang-froid. « Je vais bien, Alexandre, merci. Et toi ? »
Un sourire léger effleura les lèvres d’Alexandre, mais son regard, lui, était empreint de nostalgie. « Je suis content que tu sois de retour, » murmura-t-il, comme si ses mots seuls pouvaient combler l’espace qui s’était creusé entre eux.
Éléa ressentit un mélange de tristesse et de détermination. Elle aurait voulu lui dire à quel point elle souffrait, combien cette situation la rongeait. Mais elle savait qu’il fallait qu’elle avance, qu’Alexandre appartenait désormais à son passé.
« Merci, » murmura-t-elle avant de s’éloigner lentement.
Alexandre la regarda s’éloigner, son esprit rempli de doutes qu’il ne pouvait pas formuler. Malgré ses efforts pour tourner la page, il restait attaché à un souvenir, un fragment de leur histoire qui lui semblait désormais inaccessible.