Chapter 3

1423 Words
La Lozana Andaluza fut composée à Rome pendant le séjour qu’y fit Délicat, de 1523 à 1527. Il la retoucha à Venise avant de l’y publier. J’attribuerais volontiers à ce Francisque Délicat un ouvrage qui a été longtemps donné comme étant de l’Arétin et qui a comme titre le nom d’un fameux éditeur vénitien. Je veux parler du Zoppino, dans lequel on reconnaîtra volontiers bien des traces du goût espagnol. En tout cas, le Zoppino n’est pas de l’Arétin, tout le monde est d’accord à ce sujet. D’autre part, au Malotreto ou cahier XXXIX de la Lozana Andaluza, Délicat mentionne le Zoppino qui ne devait paraître à Venise qu’en 1539, après les Six Journées ou Caprices de l’Arétin. Et l’on trouverait bien des ressemblances entre la Lozana Andaluza et le Zoppino qui tous deux, sans doute, furent composés à Rome et retouchés à Venise. Délicat devait écrire l’italien, et dans son séjour à Venise il se mit au courant du dialecte vénitien auquel il a emprunté un certain nombre de locutions qui paraissent dans le Zoppino. Il ne cite pas une fois l’Arétin, sans doute parce que celui-ci ne l’avait pas cité non plus. Il intitule son dialogue : Ragionamento del Zoppino, etc., imitant en cela l’Arétin, à moins que celui-ci n’ayant connu le Zoppino à Rome n’en ait imité le titre avant qu’il ne fût imprimé. Néanmoins, l’Arétin échappe, quant à son ouvrage même des Caprices, à tout reproche d’imitation et de plagiat, de même que Francisque Délicat ne peut être appelé un imitateur de la Célestine, bien qu’elle ait été le modèle de la Lozana Andaluza dont elle diffère de toutes les façons. Mes hypothèses sur l’influence et les ouvrages de Francisque Délicat n’infirment point, du reste, mes opinions touchant la p****n, la Zafetta et le Tarif qui me semblent devoir être remis au compte de l’imagination féconde du Divin. Il ne s’est caché de les avoir écrits que parce qu’à Venise, attaquer nommément la renommée des mérétrices de la République et même des courtisanes romaines, cela pouvait être infiniment plus dangereux que de se moquer du roi de France, et surtout cela ne devait rien rapporter. On a pensé que le Divin, dont le nom est populaire en France, y était trop mal connu, et l’on a choisi pour le faire connaître les ouvrages dans lesquels sa personnalité s’est affirmée le plus et qui lui font une place à part parmi les écrivains de tous les temps. On n’a donné ici que les seize Sonnets luxurieux qui paraissent être de l’Arétin. On sait que ces sonnets ont été portés jusqu’à 26, nombre qui ne répond pas à celui des figures de Jules Romain. Il n’existe pas encore de travail définitif touchant l’histoire de ces sonnets ; néanmoins celui du savant Alcide Ronneau, à l’érudition élégante et inépuisable duquel on doit la plupart des travaux publiés par Liseux, fait autorité. Pour ce qui a trait aux fameux dessins de Jules Romain, gravés par Marc-Antoine Raimondi, ils ont complètement disparu. On a donné récemment une réimpression des sonnets, copiée sur l’édition de Liseux. On y a ajouté les fac-similés d’une série de calques datant du XVIIIe siècle et qui auraient été faits sur les gravures de Marc-Antoine. Mais n’y a-t-il pas là-dessous quelque supercherie ? Ces images coïncident presque entièrement avec la description qu’avait donnée Bonneau de l’apparence que devaient avoir les gravures disparues. Mais sont-ce bien là des calques datant du XVIIIe siècle ou bien ne s’agirait-il pas plutôt d’une habile reconstitution faite d’après la description de Bonneau et où l’on a mis quelques différences pour que l’authenticité des calques parût moins discutable ? Je ne sais. Toujours est-il que cette publication a été saisie après son apparition et son éditeur poursuivi. On ne comprend pas bien dans ces conditions pourquoi la Bibliothèque nationale n’en possède pas un exemplaire. Sans doute, l’institution du Dépôt légal ne fonctionne pas avec toute la régularité désirable ; mais un ouvrage ayant été saisi, le premier geste de l’autorité devrait être d’en pourvoir la Bibliothèque, dont on se désintéresse trop. On dit que les magistrats, en cas de saisie comme celle dont il est question ici, s’empressent de compléter leurs collections. Et sans doute il y a trop de collectionneurs dans la magistrature pour que d’un ouvrage saisi il ne reste un seul exemplaire destiné à la Nationale. On a dit que l’éditeur était parvenu à se faire rendre son édition. Cependant, je crois qu’elle ne lui a pas été rendue, mais qu’il en a tiré une nouvelle, les exemplaires que l’on vend maintenant me paraissant plus petits et moins beaux que ceux que j’ai vus en 1904. Néanmoins, je ne pourrais pas affirmer le fait, parce qu’en 1904, ne m’occupant pas-encore de l’Arétin, je n’ai pas regardé avec beaucoup d’attention la publication qui venait de paraître. En se servant du recueil du Cosmopolite , Alcide Bonneau a pu reconstituer avec beaucoup de vraisemblance l’ouvrage fescennin du Divin. Ce n’est pas que parmi les autres sonnets il n’y en ait pas qui puissent être aussi attribués à l’Arétin. Ainsi le sonnet qui sert de préambule à la Corona de Cazzi, comme on a appelé postérieurement les Sonnets luxurieux, peut fort bien être également de l’Arétin. Le premier quatrain est aussi le premier du sonnet qui sert de poème à la Tariffa delle Puttane di Venegia, que, pour ma part, j’attribue à l’Arétin. Pour ce qui regarde les Ragionamenti, on a traduit ici la première partie qui se compose de trois Journées. Il y manque l’Avertissement dans lequel l’Arétin dédie son ouvrage à sa guenon en jouant sans doute sur le mot mona qui avait à Venise un autre sens que l’on entend assez si l’on a parcouru les priapées que le Vénitien Baffo composa au XVIIIe siècle. La troisième Journée est la plus célèbre. Dès le XVIe siècle, elle était imitée plutôt que traduite en français, et aussi en espagnol (1849). C’est d’après cette paraphrase intitulée Colloquio de las Damas et due à Fernand Xuarès que Gaspard Barth composa sa fameuse traduction latine intitulée Pornodidascalus. La seconde partie est également formée de trois Journées qu’Alcide Bonneau a respectivement intitulées : l’Éducation de la Pippa, les Roueries des Hommes, la Rufftanerie. Dans la première de ces Journées, la Nanna enseigne à sa fille, la Pippa, l’art d’être mérétrice. Le second jour, il s’agit des bons tours que les hommes s’ingénient à jouer aux courtisanes trop confiantes. Et le troisième jour, la Nanna et la Pippa, assises dans leur jardin, écoutent la Commère et la Nourrice parler de la Rufflanerie, c’est-à-dire des rapports entre les putains et les maquerelles. On a souvent donné le Zoppino, le Ragionamento des Cours et le Dialogue du Jeu comme étant la troisième partie des Ragionamenti. C’est là une erreur. Le Zoppino n’est pas de l’Arétin et les Six journées forment une œuvre distincte et complète. Le Ragionamento des Cours n’a pas encore été traduit ; il mérite cependant de l’être. Quant au Dialogue du Jeu, on en a traduit des fragments, et il n’est pas indigne non plus qu’on en publie une version complète. Les traductions que l’on donne ici paraîtront souvent plus exactes que celles qui les ont précédées. Le traducteur de l’édition de Liseux, malgré tous ses mérites, n’a pas évité quelques contresens regrettables comme celui-ci au deuxième dialogue où il traduit spazzare ogni gran camino par « balayer la poussière des plus larges chemins ». Ce qui n’était évidemment pas ce que voulait dire le Divin, les ramoneurs étant de son temps plus communs que les cantonniers. On a aussi serré le texte italien de plus près. C’est ainsi qu’on a rendu schiavina, non pas seulement par « manteau », mais par « esclavine », et que traduire le fu renduto da me migliaccio per torta par « je lui rendis mille pour un » a paru une étrange façon de faire passer dans l’officine de l’usurier une locution populaire qui sortait sans doute du fournil du boulanger. On n’a pas reculé non plus devant les répétitions que n’avait pas évitées l’Arétin qui écrivit ses Ragionamenti en 48 jours. Il a paru que l’office du traducteur ne doit pas être d’améliorer le style de son auteur, et l’on n’est pas éloigné de croire, au demeurant, que les répétitions ne sont nullement un indice de mauvais style comme on pense communément aujourd’hui, où l’on alourdit et embarrasse souvent la phrase en voulant se servir de mots différents là où la répétition d’un mot serait aussi bien raisonnable. Enfin, on a mis des notes partout où cela a été possible. On souhaite qu’elles éclaircissent un texte très agréable à la vérité, mais rempli d’allusions à des évènements, à des coutumes, à des personnages dont le public n’a pas idée aujourd’hui. En ce qui concerne les sonnets, on en a parfois adouci les termes, et malgré cela on est persuadé que ces poèmes n’ont pour ainsi dire rien perdu de leur vivacité gaillarde. D’ailleurs, le lecteur est libre de remplacer les mots qui lui paraissent faibles par les plus forts qu’il connaisse, et suppléant ainsi par la perspicacité de son entendement à ce que le traducteur a dû gazer, par pudeur, il formera avec certitude son opinion sur l’œuvre du Divin Pierre Arétin dont on a écrit en son temps qu’il était la règle de tous et la balance du style. G.A. Les Ragionamenti
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD