IV

1381 Words
IV De rouge brique qu’il était habituellement, M. Fauvel devint très pâle. – Un crime ! – répéta-t-il avec un petit frisson nerveux, – un crime commis dans ma commune ! – Oui, monsieur le maire. – Mais, quel crime ? Un vol, je suppose ?… – Un assassinat… – Grand Dieu !… – Un double assassinat, peut-être. – Miséricorde !… Et quand ce monstrueux : forfait aurait-il été perpétré ? – Cette nuit ? – Où ? – Au château. – M. Domérat n’est-il donc pas absent ? – M. Domérat est absent ! oui… Mais Jacques Landry et sa fille ne s’absentent jamais. – On aurait tué ces malheureux ! ! – Tout me porte à le croire… – Vous n’en n’êtes donc pas sûr ? – Matériellement sûr, non je ne le suis pas ; mais il me semble impossible de douter… – Mais, pourquoi ce crime ? Dans quel but ?… – Je l’ignore… – Enfin vous savez quelque chose… que savez-vous ?… Parlez ! parlez vite ! ! Sylvain raconta brièvement ce que nous avons raconté nous-mêmes à nos lecteurs. À mesure qu’il avançait dans son récit, le large visage de M. Fauvel se décomposait de plus en plus. Le digne magistrat municipal était évidemment en proie à une très pénible émotion ; il se servait de sa serviette comme d’un mouchoir pour tamponner son front où perlaient des gouttes de sueur. – Que pense de tout cela monsieur le maire ? – demanda Sylvain quand il eut achevé. – Hélas ! – murmura M. Fauvel avec un accent lamentable, – je pense que vous avez raison ! ! que vous n’avez que trop raison ! ! – Tout cela a bien mauvaise mine ! ! – Un assassinat… un double assassinat dans ma commune ! !… Une commune si tranquille, une commune modèle… une commune où l’on n’avait relevé depuis dix ans que de menus délits de braconnage et de maraudage ! ! – Ô tempora ! ô mores ! – Qu’allons-nous devenir, grand Dieu, si l’on se met à assassiner à Rocheville ? Il n’y aura donc plus de sécurité nulle part ! ! Je donne ma démission, positivement, et je me réfugie dans une île déserte ! ! – Pétronille !… Eh ! Pétronille !… La servante rougeaude n’était pas bien loin et, l’oreille collée au trou de la serrure, écoutait de son mieux. Elle ouvrit la porte, se montra et demanda d’un air ingénu : – C’est-il pour servir le café ? M. Fauvel fit un geste d’impatience. – Il s’agit bien du café ! ! – s’écria-t-il. – Prends tes jambes à ton cou, ma fille !… – Cours chez le juge de paix… Dis-lui de ma part de se tenir prêt. Ajoute que je vais le prendre en me rendant au château. – Préviens le brigadier de gendarmerie… il nous accompagnera. – J’aurai besoin aussi de Claude Renard, le serrurier… – Qu’il mette ses outils dans sa trousse et qu’il m’attende… – Va ! dépêche-toi ! N’oublie rien !… Il s’agit de la vindicte publique… et la vindicte publique ne doit point attendre… Allons, file ! ! – Je m’en y sauve, not’maître, – répondit Pétronille en se dirigeant vers la porte ; mais, au moment d’atteindre cette porte, elle s’arrêta et se retourna. – Et Jean-Marie ? – demanda-t-elle, – faut-il lui dire de dételer Pomponnette ? – Qu’on s’en garde bien ! – répliqua vivement le maire. – Sans doute il sera nécessaire de courir à Malaunay, pour passer une dépêche au parquet de Rouen… Or, Pomponnette fait la route en cinquante minutes… – C’est même la seule jument du pays capable de ça ! !… – ajouta-t-il avec l’orgueil du propriétaire convaincu. Pétronille avait disparu déjà. – Elle courait s’acquitter de sa triple mission en racontant sur son passage, à qui voulait l’entendre, qu’un crime épouvantable venait d’être commis et que M. le maire, représentant de la justice, allait faire une descente au château avec le juge de paix et la gendarmerie. Aussi quand Sidoine-Apollinaire Fauvel quitta sa maison, n’ayant pris que le temps de mettre son chapeau à larges ailes, de sangler autour de ses reins l’écharpe aux trois couleurs et de placer sous son bras gauche un ample portefeuille-ministre de maroquin rouge à son chiffre, bon nombre de curieux se trouvaient rassemblés sur la place et suivirent à distance respectueuse l’important personnage qui, dans sa préoccupation, répondait à peine aux saluts de ses administrés et arpentait la grande rue en compagnie de Sylvain, aussi vite que le lui permettaient ses courtes jambes, tout en répétant d’une voix qui s’essoufflait de plus en plus : – Quel évènement, miséricorde ! quel évènement ! ! Le juge de paix vint à sa rencontre à mi-chemin, et dit en lui serrant la main : – Vous m’avez fait prévenir que vous aviez besoin de moi, cher monsieur Fauvel. Me voici à votre disposition. – De quoi s’agit-il ? Le maire expliqua la situation en peu de mots. – Cela paraît grave en effet, – murmura le juge de paix, – mais les apparences sont souvent trompeuses !… L’immortel fabuliste n’a-t-il pas écrit : « De loin c’est quelque chose, et de près ce n’est rien ? » – Je désire bien vivement qu’il en soit ainsi cette fois, – répliqua M. Fauvel, – mais je n’ose guère l’espérer… Vingt pas plus loin le brigadier apparut son tour, escorté de deux gendarmes. – Aux ordres de monsieur le maire… – fit-il avec le salut militaire. – Sachant qu’il y avait présomption d’assassinat, j’ai cru devoir prendre ces hommes pour le cas où il serait nécessaire de surveiller quelque issue ou de faire une course… – Vous avez eu raison, mon brave, et je vous approuve… – Ah ! voici Claude Renard et ses outils… – Bonjour, Claude Renard… bonjour… – Nous sommes maintenant au complet… Hâtons-nous donc… – Je voudrais connaître déjà le mot de la sombre énigme… Dix minutes plus tard la petite troupe, entraînant à sa suite près de cent curieux, arrivait à la grille du château. Colette et le garçon boucher n’avaient eu garde de quitter leur poste. – Avez-vous vu quelque chose ou quelqu’un ? – leur demanda Sylvain à voix basse. – Une demi-douzaine de passants, – répliqua la jeune fille, – mais c’étaient tous gens du pays qui nous ont dit bonjour en riant… – Pas une seule figure inquiétante. Il s’agissait d’entrer dans l’enclos, et par conséquent d’ouvrir la grille, la justice ne pouvant procéder par voie d’escalade, ainsi que l’avait fait Sylvain. En trois coups de marteau le serrurier coupa l’un des maillons de la petite chaîne, qui tomba avec son cadenas. Un crochet introduit dans la serrure fit jouer le pêne après quelques tâtonnements ; il ne restait qu’à soulever certaine barre de fer dont nous ignorons le nom technique. Ce fut l’affaire d’une minute et la grille tourna sur ses gonds. Un grand mouvement et une vive rumeur se firent dans la foule, qui maintenant formait un demi-cercle compacte et serrait de près M. Fauvel et ses compagnons. Tout le monde aurait voulu se précipiter dans le parc et s’y précipiter à la fois. Le maire se retourna vers les curieux en fronçant les sourcils avec une physionomie olympienne. – Personne ne doit entrer ici ! – s’écria-t-il, – et personne n’entrera, non personne ! ! sous quelque prétexte que ce soit ! – Brigadier, placez ici une sentinelle et faites respecter la consigne ! ! – J’ai dit ! ! Un murmure de désappointement très marqué accueillit ces paroles ; mais il fallait se soumettre, bon gré mal gré, et les plus avides d’émotion prirent leur parti comme tous les autres. Une seule réclamation s’éleva. – Monsieur le maire, – fit Colette, en s’avançant avec aplomb et en dessinant une belle révérence, – Jacquemet et moi, s’il vous plaît, nous avons droit… Nous savons que Jacquemet était le garçon boucher. – Vous avez droit… – répéta M. Fauvel, – quel droit ? – Droit d’entrer… – À quel titre ? – Nous sommes témoins… – Témoins de quoi ? – Témoins que Mariette avait envoyé hier soir la petite Gervaise commander du poisson pour ce matin à papa, du gibier à Sylvain, et de la viande de choix au patron de Jacquemet… à preuve que voilà la truite, la perche et les écrevisses, et que vous pouvez voir le gigot, les côtelettes et le filet de bœuf dans le panier de Jacquemet. D’ailleurs nous arrivions ici en même temps que Sylvain, et nous avons fait bonne guette pendant qu’il allait vous prévenir. Ces raisons n’étaient peut-être pas inattaquables au point de vue de la logique, mais M. Fauvel ne se donna point la peine de les discuter. – Passez… – fit-il. – Grand merci, monsieur le maire… Colette et Jacquemet jetèrent un regard triomphant et presque dédaigneux sur la multitude impitoyablement consignée, et franchirent la grille qui se referma derrière eux et près de laquelle un gendarme se mit en faction. Sidoine Fauvel, le juge de paix, le brigadier, le serrurier, Sylvain, Colette, Jacquemet et le second gendarme – huit personnes en tout – se dirigèrent vers le château par l’avenue des pommiers. Ravageot, l’oreille basse, la mine inquiète, la queue entre les jambes, marchait sur les talons de son maître. Il poussa tout à coup un gémissement lugubre. – Monsieur le maire, – dit Sylvain, – voilà Munito… – S’est-on assez acharné sur lui ! – Il a reçu plus de coups de couteau qu’il n’en aurait fallu pour le tuer dix fois ! – Pauvre bête ! – murmura le magistrat municipal en s’arrêtant. – J’avais proposé à Jacques Landry, il y a un mois, de lui acheter ce dogue quinze louis, lui offrant en outre un de mes bassets pour chien de garde… – Il m’a répondu que M. Domérat tenait beaucoup à Munito et ne consentirait point à s’en défaire, et surtout à le vendre… Le juge de paix prit la parole. – Il importerait de savoir, – dit-il, – si cet animal a été tué à l’endroit où nous sommes, ou si, frappé plus loin, il s’est traîné jusqu’ici pour mourir. – Cela est en effet de quelque importance, – appuya M. Fauvel, – mais comment éclaircir le fait ? – C’est facile, – s’écria Sylvain.
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