Reddition-1

3053 Words
Reddition Le triomphe des Indiens leur apporta la défaite, suivie peu après d’un régime de terreur. Après la découverte de l’horrible spectacle qu’offrait la vallée de Little Big Horn jonchée de centaines de cadavres atrocement mutilés, l’Amérique était très en colère et les renforts affluaient au pays des Sioux. Mis à part un modeste affrontement à Slim Buttes, non loin des Black Hills, les fugitifs évitèrent aisément l’armée. Mais les tuniques bleues qui étaient restées pendant l’hiver se montrèrent les adversaires les plus redoutables. Pendant le rude hiver 1876-1877, ces fantassins - que les Indiens appelaient « Marche-en-tas »- s’étaient installés dans un cantonnement rudimentaire au confluent de la Tongue River. À leur tête était un jeune officier, le colonel Nelson A. Miles, qui avait la même détermination et la même pugnacité que feu le général Custer. Les Indiens le surnommèrent « Peau d’Ours » après l’avoir vu emmitouflé dans sa tenue d’hiver. Au sud le général Crook dirigeait une autre opération. Crook marqua les premiers points. Le 25 novembre 1876, il envoya le colonel Ronald S. Mackenzie et sa cavalerie attaquer le village cheyenne de Dull Knife, comprenant cent quatre-vingt-trois foyers et situé dans un canyon des Big Horn Mountains. Au terme d’un rude affrontement, Mackenzie infligea aux Indiens une défaite terrible et plus de mille Cheyennes se retrouvèrent au cœur de l’hiver sans abri ni nourriture. Mais une fois de plus, Crook abandonna le théâtre des opérations et laissa Miles continuer la campagne d’hiver. À la bataille de Wolf Mountains, le 8 janvier 1877, ce dernier s’affronta à Crazy Horse et à quelque six cents guerriers sioux et cheyennes. Les tirs d’artillerie et la charge des fantassins eurent raison des Indiens. « Nous avons montré aux assassins de Custer, écrivit Miles, que nous les frapperions sans répit tant qu’ils oseraient se montrer. » La résistance indienne commença à s’effriter. En janvier 1877, Sitting Bull et les Hunkpapa partirent se réfugier sur le territoire de l’« Ancienne », la reine Victoria. Pendant ce temps-là, Crazy Horse et sa tribu oglala ainsi que les Cheyennes rescapés de l’attaque de Mackenzie perdaient courage, car « Peau d’Ours » les harcelait sans cesse. (Extrait de « TERRE INDIENNE », Collection Autrement.) ♦ Cette fois, la tribu de Fils d’Aigle était à bout de résistance. Traqués, poursuivis, chassés pire que des bêtes sauvages, sans plus aucune rémission, ne trouvant plus d’endroits sûrs où se réfugier, livrés à tout instant à la rage des soldats qu’ils ne parvenaient plus à repousser faute de combattants, car morts et blessés ne se comptaient plus, les Cheyennes finirent, au comble du désespoir, par rendre les armes. Au terme d’un ultime conseil Fils d’Aigle, son frère, Cuyloga, Source des Grands Pouvoirs, braves valeureux, décrétèrent d’un commun accord que vivre sous la menace perpétuelle de la mort n’étant plus vivre, ils capitulaient et étaient prêts à se rendre à Yellowstone, à Fort Ellis, au colonel Miles ou Peau d’Ours. Fils d’Aigle ne voulant pas voir son peuple déjà très affaibli complètement décimé comme l’avait été celui de Dull Knife cet hiver, dépêcha sur le champ quatre éclaireurs prévenir l’armée de leurs intentions. Aussi, est-ce le cœur ravagé, en proie à un immense chagrin, qu’en ce matin de printemps de l’année 1877, les femmes obéissant aux ordres du jeune chef débarrassèrent les tipis de leurs biens. Ne fut conservé que l’indispensable, le reste fut détruit, les tentes abattues. Puis on tua les chiens qui refusaient de quitter leurs maîtres et l’on fit partir les chevaux. Ne furent gardés que ceux dont on allait se servir pour gagner le fort. C’est ainsi que tous montés à cheval, sans exception, hommes, femmes, enfants, revêtus de leurs habits d’apparat, ils se mirent en route vers leur tragique destin… Edwina coula un dernier regard à ce havre arboré baigné par la rivière Yellowstone qui chantait sous les frondaisons. Ils avaient passé là une semaine. Le temps de pause nécessaire qui avait conduit à la terrible décision nommée : « reddition ». Adieu vie libre à chasser, pêcher, cueillir, à parcourir de vastes espaces avec pour seul témoin l’immensité céleste. Adieu tipis douillets, feux ardents, chaudes fourrures. Adieu beaux chevaux et courses endiablées. Au souvenir de la course mémorable, sous les encouragements du peuple assemblé, à laquelle elle s’était livrée avec son époux, elle sur Eclat de Lune, lui sur Invincible, et qu’il avait gagnée d’une courte tête, la jeune femme eut toutes les peines du monde à retenir ses pleurs. Et, oui, en récompense à sa victoire, il avait eu sa nuit d’amour selon son souhait. Mais c’est avec joie qu’elle la lui avait offerte, parce qu’elle en avait autant envie que lui. Puis, de douce, cette souvenance devint douloureuse. Hier, Source des Grands Pouvoirs avait ouvert devant eux la bourse verte, et comme ils le redoutaient, sa mèche de cheveux s’y trouvait. Cette nuit, il leur avait été impossible de dormir, et c’est autant tracassés par la destinée commune que par la leur propre, qu’étroitement enlacés comme pour conjurer le sort, ils avaient passé des heures à échafauder des plans inimaginables pour tenter d’échapper à la prédiction. D‘un geste machinal, Edwina flatta l’encolure d’Éclat de Lune, caressa la joue rebondie de son fils qui, assis devant elle à califourchon, ouvrait des yeux ronds sur le paysage qui défilait. Être séparée de ses deux amours ! Une telle abomination ne pouvait se concevoir, elle la refusait de toutes ses forces. Une pie s’envola d’une branche au-dessus d’elle, elle n’y prêta aucune attention, trop absorbée comme les autres, par sa souffrance intérieure. Pourtant, somptueuse était la nature parée de son renouveau. Partout ce n’étaient que trilles et roucoulades, envols soyeux sous un soleil flamboyant qui poudrait d’or le feuillage aérien des jeunes frênes, faisait briller comme de la neige les fleurs blanches des amélanchiers, nimbaient le sommet des sapins, allumait la rosée dans l’herbe en milliers de diamants. Un hymne à la vie, un hymne à la beauté. Une insulte pour ces gens désespérés qui laissaient tout derrière eux. En vue de Fort Ellis, ils s’immobilisèrent ensemble, d’un même mouvement, sans que Fils d’Aigle n’ait eu besoin de lever la main pour signaler l’arrêt. Leur regard balaya les abords du fort encombrés d’une multitude de chariots attelés, de deux diligences, de chevaux, puis vint se braquer sur la large porte en rondins qui allait se refermer sur eux. L’irrépressible envie de faire demi-tour s’emparait d’eux au moment où l’énorme bouche du portail s’ouvrait, comme par magie, pour les avaler. La raison leur revint. Droits, dignes, fiers, superbes sur leurs poneys aux couleurs variées, ils franchirent les derniers mètres qui les séparaient de l’austère bâtisse, entrèrent les uns derrière les autres, s’alignèrent au milieu de la cour. Ils descendirent de cheval. Une unité de soldats leur faisait face, le colonel Miles en tête, de nombreux civils, des hommes politiques, des journalistes venus couvrir l’événement. Edwina faillit pousser un cri, elle se retint à temps. Mais c’est avec fébrilité qu’elle souleva Petit Aigle pour le porter sur un bras et saisit son modeste bagage contenant les changes de son fils et leurs maigres affaires personnelles à tous les trois. Instinctivement, elle rechercha la protection de son compagnon. Éloignés d’eux d’une vingtaine de mètres, se tenaient proches du colonel Miles, Allison Demming, son amie intime d’autrefois, son père Ryan, riche industriel possesseur de plusieurs usines de sidérurgie près de Washington et de New York, et Kelly sa femme. La sentant trembler contre lui, Fils d’Aigle entoura ses épaules de son bras. - Qu’as-tu, petit oiseau ? Questionna-t-il à voix basse. La jeune femme répondit avec du mal : - Je connais ces trois personnes à la gauche de Peau d’Ours. Elles faisaient partie des relations de mes parents et leur fille était ma meilleure amie. Vois-tu comme elle m’observe ? Si elle me reconnaît, tout est perdu. - Elle te croit morte, tu n’as rien à craindre. De plus ton image présente est très éloignée de celle passée. Apaise ton cœur. Edwina aurait aimé s’en convaincre, mais le doute subsistait en elle. Cependant, son attention se reporta sur le colonel Miles qui dépliait un morceau de papier en réclamant le silence. Les deux parties se jaugeaient sans aménité. Haine féroce, côté naturel. Sentiments plus controversés côté blanc. Les modérés admiraient franchement ces « sauvages » à la fière allure et regrettaient quelque part qu’on les prive de manière définitive de leur mode de vie ancestral. Les plus virulents respiraient. Encore une tribu qui ne nuirait plus. Neutralisés, soumis à un programme d’intégration forcée, ils allaient enfin ficher la paix à tout le monde et le pays pourrait progresser sans entrave. Le colonel avança d’un pas et fit signe à un jeune lieutenant d’approcher. Issu d’une union entre un père blanc et une Indienne, le jeune officier métis parlait couramment le Cheyenne. Miles se gratta la gorge et commença à lire un bref discours, sec, à son image : - Vous avez entendu la voix de la raison, c’est bien. Ces guerres entre nos peuples n’ont que trop duré. Tout à l’heure vous allez partir pour vous rendre en Oklahoma dans une réserve tenue par le ministère des Affaires Indiennes. Vous serez pris en charge et ne manquerez de rien. Nourriture, vêtements vous seront assurés et vos enfants iront à l’école. Maintenant, vous êtes invités à déposer vos armes et je précise bien toutes vos armes, c’est-à-dire outre les armes à feu, haches, lances, couteaux, tomahawks, arcs et flèches. Que les femmes fassent passer les couteaux qu’elles ont à la ceinture aux hommes, cela ira plus vite. Miles se tut quelques secondes, le temps pour les Indiens d’assimiler ce qui venait de leur être traduit. Pas un ne bougea. Un silence impressionnant régnait. Tout le monde retenait son souffle. Fils d’Aigle répétait entre ses dents serrées Oklahoma, Oklahoma, sans avoir la plus infime notion d’où se situait cet État. Edwina appuya sa tête sur sa poitrine. - C’est loin d’ici, mon amour, murmura-t-elle, si loin d’ici. - Si loin que cela ? fit-il, les yeux perdus au-delà de la foule des visages pâles qui s’effaçait. N’apparaissait que ce pays inconnu qu’il essayait d’imaginer. Ce pays inconnu où on allait les forcer à plier sous le joug des Blancs. Peau d’Ours avait été clair : « Vous serez nourris, vêtus, vos enfants iront à l’école ». Ces paroles tournaient dans son esprit en une ronde infernale, quand il entendit son nom suivi d’un ordre. C’était Peau d’Ours. - Fils d’Aigle, tu es leur chef. Montre-leur l’exemple. Dépose tes armes le premier. Fils d’Aigle atterrit dans le présent. Edwina s’écartait de lui, une lueur affolée dans ses prunelles. Tout en prenant sa lance et son arc, il remarqua ce qui l’inquiétait. Les personnes qu’elle lui avait désignées parlaient entre elle en la fixant ; Allison la montrait du doigt. - Va te cacher au milieu des femmes, petit oiseau, ce sera plus prudent, conseilla-t-il, à son tour inquiet. La jeune femme s’esquiva aussitôt et Fils d’Aigle se présenta devant Miles. Les deux hommes se scrutaient sans ciller et le ressentiment qui émanait d’eux était palpable. La foule retenait son souffle. Mais Miles, soudain mal à l’aise toisé par ce vaincu plus grand que lui de beaucoup, si hautain, dont le regard le sondait jusqu’au fond du cœur, baissa les yeux le premier. Sous l’emprise de la colère, une grimace de mépris imprimée sur le visage, Fils d’Aigle cassa sa lance en deux sur sa cuisse et jeta les morceaux dans les pieds du colonel, puis le carquois débordant de flèches qu’il portait en bandoulière suivit la même voie, ainsi que son arc et sa hache qu’il avait à sa ceinture. Un murmure indigné circula dans l’assistance, mais avant que Miles imperturbable ne réagisse, il était retourné à son cheval chercher sa carabine et son fusil. Miles reçut l’une et l’autre dans les jambes. Il sauta en arrière sans broncher, un sourire goguenard éclairant son visage sévère. Les murmures montèrent d’un cran, mais la tension atteignit son paroxysme lorsque le chef cheyenne dégaina son couteau à scalper. Un « oh ! » de stupeur générale éclata, les dames Demming poussèrent un cri d’effroi tandis que les photographes accompagnant les journalistes mitraillaient la scène à tout va. Instantanément, les soldats mirent Fils d’Aigle en joue. Ses braves en firent autant sur Miles. Une fraction de seconde, le temps suspendit son cours. Sentant alors réciproquement que la situation risquait de dégénérer en bain de sang, le jeune chef et l’officier firent un geste identique d’apaisement destiné tant aux guerriers indiens qu’aux soldats. La tension retomba quelque peu, mais en tendant son couteau au colonel, Fils d’Aigle qui parlait correctement l’anglais, déclara d’un ton sarcastique, un éclair meurtrier illuminant ses prunelles de jais : - Regarde bien cette lame, Peau d’Ours, à Greasy Grass elle était rouge jusqu’à la garde du sang de tes pareils. Puis il éclata d’un rire démoniaque qui engendra un concert de cris, de protestations, d’appels au meurtre. Les « tuez-le ! », « à mort les Peaux-Rouges ! », fusaient de partout. Les mâchoires crispées, Miles fusillait Fils d’Aigle du regard. Encadrée de Joli Sourire, Fille Intrépide, Pied Léger, Cornes de Lune, Edwina se faisait toute petite. L’affaire tournait mal. Une petite voix lui susurrait que cela n’allait pas en rester là, bien que son époux soit de retour parmi eux et que les braves, le calme revenant peu à peu, défilaient à tour de rôle pour se défaire de leurs armes, aux pieds de l’impassible colonel, sous le feu des photographes qui continuaient de s’en donner à cœur joie. Elle se haussa sur la pointe des pieds et ce qu’elle vit lui glaça le sang. La famille Demming parlait à Miles avec animation en indiquant leur attroupement. L’officier ne le quittait pas des yeux. Et puis, et puis… Le dernier guerrier avait regagné les rangs indigènes dans le silence à peine égratigné par le bourdonnement des conversations en sourdine, quand Miles, escorté du jeune lieutenant interprète, fit une nouvelle fois retentir sa voix rude, marchant de long en large les mains dans le dos, à deux pas d‘eux : - Il paraît, sauvages, qu’il y a une femme blanche avec vous, tonitrua-t-il. Mademoiselle Demming a reconnu formellement son amie Edwina Anderson, qu’elle pensait morte. Rendez-la immédiatement. Personne ne bougea. Fils d’Aigle crut recevoir un coup de poing en plein cœur. Les battements furieux de celui d’Edwina l’étouffaient. La terre s’ouvrait sous ses pieds. La situation était sans issue, elle n’avait nulle part où se dissimuler. Dans un état second, elle confia Petit Aigle à Joli Sourire, picora sa joue d’un dernier b****r, plongea ses yeux de jade dans les siens qu’il avait aussi clairs que ceux de sa mère. Inconsciemment, l’enfant s’accrochait à son cou comme s’il devinait qu’il ne la reverrait plus. - Prends soin de lui, articula-t-elle avec mille difficultés. Fleur Sauvage, la fille de Joli Sourire s’était jetée dans ses jupes, et plus loin Petit Héron la considérait gravement. - Sois sans crainte, répondit Joli Sourire tristement, je lui parlerai tous les jours de toi, il saura toujours qui est sa vraie maman. Fille Intrépide la serra dans ses bras. - Je ne t’oublierai jamais, ma fille. Pourquoi doit-on subir tant de malheurs ? Edwina n’avait pas la réponse. Les mots d’adieu qu’elle aurait voulu dire restaient bloqués dans sa gorge. Alors en se contraignant à un effort surhumain, elle se détourna, le visage baigné de larmes. Il lui semblait que chacun de ses pas devenait plus lourd, qu’elle n’arriverait pas à destination avant de s’évanouir. À travers un voile, elle distinguait les traits figés de ses sœurs et la rancœur flambant dans le regard des hommes. À la manière d’un automate, elle s’arrêta pile sous le nez de Miles, comme il s’apprêtait à réitérer son ordre. De nouveaux murmures s’élevèrent alentour entrecoupés de sifflets admiratifs. Cette femme avait une classe folle. Il était indéniable que la robe de daim qu’elle portait, ceinturée de perles, brodée, frangée jusque sur ses pieds chaussés de bottes souples, mettait magnifiquement ses formes généreuses en valeur. Ses longues tresses, même, ornées de fourrure et de plumes encadraient joliment son visage à l’ovale sans défaut. Mais ce qui clouait l’officier sur place, c’étaient ses yeux d’un vert transparent de pierre précieuse qui le transperçaient malgré les larmes. Miles avait pour vis-à-vis une créature de rêve. Il déglutit, s’éclaircit la voix en toussotant avant de dire : - Votre calvaire est terminé, Madame Anderson. Edwina écarquilla les yeux, stupéfaite : - Mon calvaire ? répéta-t-elle. Ai-je l’air d’une captive, colonel ? Non, cette jeune femme n’avait rien d’une captive, c’était évident, en disant cela, Miles s’en était rendu compte. Il avait à plusieurs reprises pu libérer, lors d’assauts dans les tribus, des prisonnières blanches et, force lui était de constater qu’il n’y avait aucune comparaison entre ces pauvres souillons en guenilles, pouilleuses, sales, hébétées, maigres à faire peur et la femme qu’il avait sous les yeux. C’était une reine. Le guerrier à qui elle appartenait devait la révérer. Douchée quelque peu par le ton de son amie, Allison Demming postée en retrait de l’officier, s’avança timidement, remisant dans son réticule un carnet et un crayon. Elle ouvrit grand les bras pour embrasser Edwina en lançant gaiement : - Ô Edwina, Edwina, quelle joie, je suis si heureuse ! J’ai tout arrangé avec père et mère, ils sont d’accord pour que tu viennes vivre chez nous. Edwina recula, refusant les effusions et rétorqua froidement : - Moi je ne suis pas heureuse et je n’ai que faire de venir vivre chez tes parents. C’est avec Fils d’Aigle, mon époux, que je suis heureuse et ma vie est avec lui et notre enfant. Miles et Allison s’entre-regardèrent, décontenancés. Kelly Demming porta ses mains jointes devant sa bouche, visiblement choquée. Ryan, son mari ricana méchamment. Tout à coup, l’officier comprenait mieux. Le jeune chef devait en effet vouer un amour absolu à son épouse pour qu’elle soit vêtue de la sorte. En revanche, la détention de captifs blancs, hommes ou femmes, par les tribus avait toujours été formellement interdite, bien que la loi soit couramment contrée. Mais grâce aux réserves, il y serait mis bon ordre. Miles s’interrompit dans ses réflexions. Fils d’Aigle approchait menant par la bride une splendide jument à la robe neigeuse. Il avait perdu toute illusion et savait que c’en était fini pour sa compagne et lui, mais en aucun cas on ne l’empêcherait de s’adresser à elle une dernière fois. Deux tuniques bleues braquèrent leurs fusils sur lui mais Miles leur commanda de le laisser aller ; désarmé, tout danger était écarté. - Que désires-tu, Fils d’Aigle ? demanda l’officier arborant un sourire indéfinissable. - Cette haquenée est à mon épouse, répondit-il en anglais, parvenu à la hauteur d’Edwina, je veux qu’elle l’emmène et je veux lui parler. Edwina chercha sa main. Après un temps, soutenant le regard aigu du jeune chef, qu’il sentait atteint par cette séparation, il répliqua sur un ton où pointait le sarcasme : - Tu veux, tu veux, barbare… il me semble que tu n’es plus trop en mesure de vouloir quoi que ce soit, de plus cette femme ne t’appartient plus. Mais soit, j’accède à tes exigences, pour elle, pas pour toi, acheva-t-il en désignant Edwina du menton. Fils d’Aigle bouillait à l’intérieur. Avec quel plaisir féroce il aurait occis ce petit gradé qui se jouait de ses sentiments et en jouissait certainement. Le jeune chef visait juste, car c’était exactement comme cela que Miles voyait les choses. En le séparant de la femme qu’il aimait profondément, il devenait plus vulnérable. On le materait plus aisément lui et son peuple. Le guide fragilisé, le peuple le serait forcément, il bénéficierait d’un moins bon soutien. Ne s’occupant plus de personne, Fils d’Aigle délaissa la bride d’Éclat de Lune et se tourna face à Edwina. Il prit ses mains dans les siennes, appuya son front contre le sien. Une bulle hors du temps les enveloppa tous les deux, les éloignant du tumulte général, des réflexions, du racisme, de l’intolérance, des larmes hypocrites que provoquait leur couple mixte qui forçait cependant l’admiration par sa magnificence. Cet homme et cette femme incarnaient la beauté absolue.
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