Chapitre 5

891 Words
CHAPITRE 5LE MARDI SUIVANT, vers dix heures, le téléphone de Séverine sonna alors qu’elle faisait la visite dans l’unité de transplantation. C’était Martine, sa secrétaire. – Je suis désolée de vous déranger, mais j’ai en ligne une personne du service de la Répression des fraudes, je crois, qui voudrait vous parler. – La Répression des fraudes ? Passez-les-moi, répondit Séverine, surprise. La voix de sa correspondante était plutôt sèche. – Docteur Dombre, bonjour. Ici Madame Grami, de la DGCCRF1. Nous souhaiterions vous entendre pour une affaire vous concernant. – Une affaire me concernant ? Je ne comprends pas… – Je ne peux vous en dire plus au téléphone. Pourriez-vous nous rendre visite ? Nous sommes au 8 rue Froissart, dans le IIIe. – Bon… Séverine sortit son agenda. Est-ce possible pour vous jeudi prochain vers quinze heures ? – C’est parfait. Nous vous attendrons. Faites-moi appeler par l’hôtesse d’accueil. Elle raccrocha, contrariée et un peu inquiète. Elle était fonctionnaire : que pouvait-elle avoir à raconter à cette émanation du ministère de l’Économie ? – Il y a un problème ? s’enquit avec un brin de curiosité Chrystel, une jolie infirmière aux cheveux blonds coupés court et aux yeux noisette. – Non, rien. Un rendez-vous avec la banque. L’infirmière n’insista pas, mais elle avait entendu la réponse de Séverine et comprit qu’elle mentait. Elle jeta un coup d’œil intrigué au médecin, puis haussa les épaules. Après tout, ça ne la regardait pas. * Séverine jura. Depuis la fermeture de la voie sur berge rive gauche, la circulation dans Paris était infernale. De plus, le stationnement dans ce foutu quartier du Marais s’apparentait à mission impossible et le caducée ne protégeait plus des contredanses. Elle regretta de ne pas avoir pris le métro. Elle était partie très en avance, heureusement car elle tourna une vingtaine de minutes avant de trouver une place, assez loin de sa destination. Situé au coin de la rue Froissart et de la rue Commines, l’immeuble de la DGCCRF avait un aspect sinistre, avec sa façade gris béton : un blockhaus. Séverine s’annonça à l’entrée et ne patienta que quelques minutes. Une blondinette de petite taille, serrée dans une robe moulante, mais à l’air aussi aimable qu’un agent des services d’immigration américains, apparut dans un claquement régulier de talons aiguille. – Docteur Dombre ? Je suis Madame Grami. Suivez-moi, je vous prie. Elle fit aussitôt demi-tour. Séverine se dépêcha de lui emboîter le pas, quelque peu irritée par la désinvolture de cet accueil. Après une marche rapide dans un dédale de couloirs, toujours précédée de la petite blonde, elle arriva dans un bureau sans fenêtres et garni d’un mobilier à peu près aussi avenant que la façade du bâtiment. Une femme plus âgée l’attendait. Visage ingrat, corps épais, grosses lunettes d’écaille peu seyantes. Elle ne se leva même pas pour l’accueillir. – Docteur Dombre, merci d’être venue. Je suis Madame Murat. Asseyez-vous, dit-elle en désignant une chaise qui avait connu des jours meilleurs. Auriez-vous une pièce d’identité à nous montrer ? Le médecin s’exécuta tandis que Madame Grami s’installait à côté de sa collègue et ouvrait une chemise cartonnée. Face aux deux agents de la Répression des fraudes, Séverine se sentait en position d’accusée. Mais de quoi, grands dieux ? – Allez-vous enfin m’expliquer ce qui se passe ? lança-t-elle, incapable de se retenir plus longtemps. – C’est plutôt vous qui allez nous expliquer, rétorqua sèchement Madame Murat. – Encore faudrait-il que je sache de quoi il s’agit ! – J’y viens, j’y viens. Il semblerait que vous ayez favorisé une société pour un achat de matériel hospitalier concernant votre service. Stupéfiée, Séverine réfléchissait à toute vitesse pour tenter de comprendre. – Mais c’est impossible. Les achats de matériel se font via des appels d’offres. – Eh bien apparemment non, pas celui-ci, en l’occurrence, il s’agit de… – elle consulta le document que lui tendait madame Grami – d’azote liquide. Le docteur Dombre resta un instant sans voix, incrédule, puis éclata de rire. – C’est une plaisanterie ? – Je n’en ai guère l’impression, dit madame Murat, de plus en plus sévère, mais déconcertée par la réaction du médecin. – Eh bien, je vais vous expliquer, dit Séverine, qui avait retrouvé toute son assurance. L’azote liquide est utilisé en petites quantités chaque semaine, lorsque nous effectuons des biopsies rénales. Il sert à congeler les fragments de tissu prélevés. Il n’y a effectivement pas d’appel d’offres pour une fourniture dont le coût demeure modéré. De plus, il n’y a à ma connaissance qu’une seule entreprise qui puisse assurer une livraison régulière. Si j’avais voulu favoriser une société en espérant en retirer quelques bénéfices personnels, j’aurais choisi un secteur plus lucratif ! C’est grotesque. Cette fois, ce fut au tour des deux agents de la DGCCRF de rester muets. La déclaration du médecin semblait empreinte de sincérité et son argumentation sans faille. Après des toussotements gênés et quelques précisions supplémentaires, l’ambiance se détendit dans le bureau et Séverine se redressa. Son honneur était sauf ! – Mais si je peux me permettre, d’où venait cette information ? – Lettre de dénonciation, répondit madame Grami. Nous fonctionnons un peu comme les impôts. Nous sommes obligés de les prendre en compte. – Je comprends, vous faites votre travail, dit la néphrologue, magnanime. Et vous n’avez aucune idée de la personne qui est à l’origine de cette machination ? – Il s’agit d’un courrier anonyme, c’est tout ce que je puis vous dire. Et même si nous en connaissions l’auteur, nous ne serions pas autorisées à vous révéler son identité. Le départ de la DGCCRF fut presque chaleureux, comparé à l’arrivée. Séverine eut même droit à une ébauche d’excuses – et à une poignée de main. Elle reprit la route, en proie à de multiples interrogations. Qui pouvait lui en vouloir au point d’envoyer une lettre de dénonciation à la DGCCRF ? Même si elle avait du mal à y croire, elle suspectait quelqu’un de l’hôpital. Car il était clair que l’auteur de cette lettre connaissait le service. 1. Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
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