CHAPITRE 3LE DOCTEUR DOMBRE arriva en consultation vers quatorze heures et reconnut dans la salle d’attente le trio infernal qu’elle avait reçu trois semaines auparavant. Elle ne put réprimer un froncement de sourcils agacé. Ainsi, elle ne les avait pas découragés ! Elle s’installa dans son bureau et jeta un coup d’œil sur la liste de ses rendez-vous. Monsieur Adrian Dibra y figurait, mais à quinze heures. Et en plus, ils se présentaient une heure en avance ! Comme s’ils voulaient lui mettre la pression…
Elle prit exprès tout son temps pour recevoir les deux premiers patients, mais ceux-ci ne la retinrent guère et il était tout juste quinze heures lorsqu’elle ouvrit la porte pour appeler l’Albanais et ses sbires.
Les trois hommes entrèrent avec un bref signe de tête. Séverine installa de nouveau le petit tabouret d’appoint et prit place derrière son bureau.
Elle attaqua d’un ton rogue :
– Vous avez les résultats ?
– Oui, Docteur, tous les examens faits, répondit Dark Ice en lui tendant une épaisse chemise.
De plus en plus agacée, Séverine constata que le bilan était effectivement complet. Elle regarda les analyses biologiques. La situation n’avait pas évolué. Au moins échappait-on à la dialyse en urgence. Mais le répit serait de courte durée.
Pourquoi ces gens s’obstinaient-ils à revenir la voir, elle ?
Le reste des examens ne montrait aucune contre-indication à la greffe d’un rein. En particulier, le cœur semblait encore en assez bon état malgré l’hypertension ancienne. Il n’y avait aucun signe de maladie infectieuse en évolution. L’analyse des groupes sanguins et tissulaires ne révélait pas de problème particulier : l’Albanais avait des groupes assez fréquents.
Comme au cours de la précédente consultation, le silence s’éternisait dans la pièce et mettait Séverine de plus en plus mal à l’aise. Pour faire diversion, elle entreprit d’examiner le patient et de vérifier sa tension artérielle. L’appareil affichait 15/9. Peut-être y avait-il un facteur d’anxiété la fois dernière ? Ça arrivait souvent lors du premier rendez-vous.
Adrian Dibra portait toujours des vêtements simples mais propres. On avait du mal à l’imaginer roulant sur l’or. Et pourtant, il se promenait avec deux gardes du corps et venait de réaliser sans sourciller un bilan coûteux, à ses frais. Et cette dépense ne représentait presque rien par rapport à ce qui l’attendait s’il persistait à vouloir se faire soigner en France.
Séverine regrettait de ne pouvoir communiquer directement avec cet homme. La présence immuable des deux colosses la hérissait et l’inquiétait.
Elle sortit un instant de la pièce pour aller chercher un imprimé à l’accueil, puis s’installa à nouveau derrière son bureau et brisa le silence.
– Bon, le bilan est complet et on pourrait théoriquement l’inscrire sur liste d’attente de greffe, mais…
– Mais quoi ? répliqua Blue Ice, assis sur son tabouret préféré.
– Je vous ai déjà expliqué. Il va falloir organiser une consultation avec divers spécialistes : urologue, anesthésiste, psychiatre, avant de l’inscrire officiellement sur liste d’attente. Et ensuite, les délais sont très longs. À mon avis, s’il veut attendre en France, il faudra commencer la dialyse au préalable, avec les conséquences financières que ça implique. Vous allez devoir fournir de nombreux papiers pour la dialyse, comme pour la greffe. Tout ça me paraît difficilement réalisable, à moins que quelqu’un de sa famille habite ici et que vous demandiez l’Aide médicale d’État… A-t-il des parents en France ?
Elle espérait les avoir découragés, mais en fut pour ses frais.
– Ça, notre problème, répondit l’homme d’un ton soudain plus dur. Et pas dialyse, on vous a dit. Greffe.
– Mais enfin, s’emporta Séverine, exaspérée, je vous le répète, les délais d’attente sont longs ! Au moins deux ans. Les donneurs ne se trouvent pas au coin de la rue ! Et il y a des règles de priorité précises. On ne peut y déroger.
– Donneur pas un problème, on aura donneur vivant.
– Donneur vivant ? Vous savez que ce donneur doit être quelqu’un de la famille ou un proche pouvant apporter la preuve d’une relation affective étroite et stable avec le receveur depuis au moins deux ans ? Il doit être soumis lui aussi à un bilan approfondi pour s’assurer qu’il est en parfaite santé, passer devant un comité de cinq personnes pour vérifier la bonne compréhension des informations reçues et devant le tribunal de grande instance… Il y a des pays où on est moins regardant, mais en France, ça ne rigole pas ! Vous avez fait le mauvais choix.
– Docteur, ça notre problème, reprit le g*****e impassible mais glacial. Donnez-nous autre rendez-vous dans un mois et tout sera prêt, vous verrez. Et vous, récompensée.
– Va pour le rendez-vous, je vous ai expliqué les contraintes, maintenant c’est votre affaire. Hors de question pour le reste. Ne me parlez plus jamais de ça !
Adrian Dibra assistait à cet échange tendu d’un air un peu contrarié, sembla-t-il à Séverine.
Alors qu’elle reconduisait le trio, Dark Ice la retint par le bras et lui chuchota à l’oreille :
– Docteur, nous attendons bien sûr grande discrétion de votre part. Il serait si regrettable que votre fils Vincent ait accident imprévu…