Où ils travaillent

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Où ils travaillentIls écrivent dans tes encyclopédies, dictionnaires, biographies, à deux liards les cent lettres, dans les journaux de demoiselles, à trois francs la colonne. Ils font, pour les compositeurs de la rue, des paroles de romances, gaies, tristes, sentimentales ou polissonnes. Pour 15 francs, ils livrent une pièce au Café des Aveugles ; pour 20, ils envoient une chronique hebdomadaire à la feuille la plus lue de Monaco. J’en connais qui font des brochures pour des Valaques, d’autres des sermons pour les curés de la banlieue. Un autre a la réputation pour les exposés de système, les prospectus de charlatans, les visions d’illuminés. Toasts pour banquets, mots drôles, oraisons funèbres, sonnets pour femme, oncles et grands-parents, ils brochent tout cela si l’occasion se présente. Compliments, épigrammes, chansons pour Paris et les départements ; – deux louis pour quatre couplets contre la femme du notaire ou sur la bonne du juge de paix. Et le courant !… les volumes qu’on lave, ceux qu’on blanchit, thèses, souvenirs, voyages, impressions d’idiots… Une préface aux poésies d’un petit jeune homme, c’est vingt francs ; au bouquin d’un maniaque, c’est quarante. Il y en a qui font les livres des autres, tout entiers, pour un morceau de pain, six mois de nourriture, deux termes payés ! Ceux qui ont une belle main vont copier chez Panisse ou chez Capitaine ; en travaillant onze heures, on se fait cent sous. Enfin deux industries fameuses, celles des passeurs et des bondieusards. Les passeurs, des lis de boulanger qui veulent bien, à six cents francs, passer le baccalauréat pour des vicomtes, se substituer à eux pour leur avoir ce parchemin qu’ils ne peuvent gagner eux-mêmes ; métier dangereux depuis que la cour d’assises s’en mêle ! Les bondieusards, profession qui n’est pas dans le dictionnaire, ni dans le paroissien. La BONDIEUSERIE, cependant, a fait vivre plus d’un chrétien. N’importe qui pouvait faire cela, pourvu qu’il ne fût pas peintre. Il s’agissait de colorier les images qu’on vend dans les campagnes : agneau pascal, cœur de Jésus, brebis du Seigneur,… Un bondieusard habile pouvait faire ses six douzaines dans un jour. Un bondieusard passable, ni trop coloriste, ni trop voltairien, pouvait gagner son salut dans l’autre monde et ses quarante sous dans celui-ci. Il y avait des commençants qui ne connaissaient ni les couleurs, ni l’Évangile ; ils faisaient des saint Joseph jaunes et des enfers roses. À côté des bondieuseries, le BONDIEUTISME, la religion des gens qui se convertissent en hiver et redeviennent impies en été ! J’en ai connu plusieurs qui, à l’époque des grands froids, se réfugiaient dans les bras de la religion, – près du réfectoire, autour du poële. Ils engraissaient là dans l’extase ! Quand ils avaient deux mentons, et qu’ils voyaient, à travers les barreaux de la cellule, revenir les hirondelles, ils sortaient et allaient prendre l’absinthe au caboulot !
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