Chapitre IIILa prison. – Nuit affreuse que passe Jean-Paul sur la paille humide des cachots. – Une tête sans corps lui apparaît. – Qu’est-ce ?
Quand Jean-Paul se vit seul, il s’abandonna à tout l’emportement de sa colère : il pesta, cria, blasphéma ; il mit en poudre sa cruche ; il renversa son petit banc : c’étaient les deux seuls meubles qui ornassent sa prison ; il frappa de grands coups de pied dans la muraille ; puis il grimpa jusqu’à l’œil-de-bœuf, son unique fenêtre, et, passant péniblement sa tête entre les barreaux de fer qui la garnissaient, il fit de là ses plus laides grimaces à la troupe d’enfants qui étaient restés dans la rue, et qui l’assaillirent d’un redoublement de moqueries.
Ce qu’il y eut de plus cruel pour Jean-Paul, c’est que, l’instant d’après, il ne put qu’avec beaucoup de peine retirer sa tête d’entre les barreaux où il l’avait glissée, et qu’il resta forcément exposé aux insultantes risées de la foule.
Aussi, quand il fut parvenu à se dégager, non sans écorchures aux oreilles, se lança-t-il comme un furieux au travers de la chambre. Il alla, vint, courut, cherchant d’un œil égaré quelque chose de facile qu’il pût lancer à ses railleurs ; et, n’ayant trouvé rien, il se jeta, en grinçant des dents, sur la botte de paille qui devait lui servir de lit ; il frappa du poing, hurla, s’agita en tous sens ; enfin, n’ayant réussi qu’à se donner à lui-même quelques douloureuses taloches, il se prit à pleurer de rage, mais à pleurer si abondamment, que cela le calma un peu.
Ce fut en ce moment que le père Roquille vint lui apporter sa première ration de vivres ; repas non savoureux, qui consistait en un morceau de pain bis.
« Allons, allons ! dit-il au prisonnier, sur la face de qui l’extrême abattement avait remplacé déjà l’extrême exaltation ; je vois avec plaisir, mon garçon, que vous êtes plus tranquille maintenant. Oh ! je ne demande pas un mois pour que vous soyez très attaché à votre nouveau domicile.
– Un mois ! s’écria Jean-Paul, que ce mot tira de sa rêverie.
– Hélas ! oui, mon jeune farceur. À moins toutefois qu’avant l’arrivée de la gendarmerie et votre transfèrement au chef-lieu, vous vous ressouveniez enfin du nom de monsieur votre papa. Vous le rappelez-vous déjà un peu, le nom de monsieur votre papa ?… Non ?… Allons, cherchez bien, ça viendra. En attendant, voici votre souper. Il n’est pas très friand, et je conçois que quelques cerises ne le gâteraient pas, surtout de celles que vous savez… qui pendaient si gentiment à ce fameux cerisier, là-bas, hein ?… mais, que voulez-vous ? les festins se suivent et ne se ressemblent pas. »
Le père Roquille sortit en hochant la tête, selon sa moqueuse habitude.
À peine avait-il disparu, que Jean-Paul, ne pouvant plus contenir sa fureur, saisit le morceau de pain et le lança, par bravade, du côté de la porte. Nouvelle sottise ! Le dépit s’en va, mais la faim reste.
Jean-Paul s’en aperçut trop tard. Et qu’arriva-t-il ? qu’il fut obligé de manger son souper, tel qu’il venait de se l’accommoder lui-même, c’est-à-dire tout sali de poussière.
Et puis, quand il voulut arroser son pain bis, il ne possédait plus une seule goutte d’eau, car il avait brisé sa cruche. Il lui fallut garder sa soif.
C’est ainsi que, dans les petites choses, non moins que dans les grandes, on est puni toujours par les conséquences mêmes du mal qu’on a pu faire.
Jean-Paul n’était pas d’ailleurs au terme de ses mécomptes.
La nuit vint, amenant avec elle toutes les angoisses de la peur.
Naturellement poltron, ce qui est un bien laid défaut, songez à ce qu’il dut éprouver de sueurs froides, quand il se trouva seul dans une complète obscurité. Le moindre bruit, soit du dedans, soit du dehors ; le trot des rats qui couraient sur le plancher, l’enfantin miaulement des chats du voisinage, le bruissement de la paille qu’il froissait de son poids, le silence même, qui succédait par intervalles et dans lequel son oreille bourdonnante entendait de vagues mugissements, d’étranges tintements, des sons lugubres et lointains ; tout cela le faisait tressaillir comme une feuille au vent d’orage.
Mais le moment le plus terrible fut celui où quelque chose d’éblouissant et de rougeâtre se posa tout à coup sur sa pâle figure. Jean-Paul jeta un cri, détourna la tête, et, fermant les yeux, repoussa des deux mains ce quelque chose d’insaisissable.
Le peureux ! c’était la lune, qui, se levant toute grande, lui jetait ses premiers rayons. Mais la frayeur dénature ainsi les plus simples choses.
Jean-Paul en retira cependant quelque profit.
Oh ! comme il regretta la maison paternelle, et ses nuits paisibles !
Quelle différence entre son isolement présent et cet excès peut-être de tendresse maternelle, qui allait jusqu’à laisser à ses côtés, la nuit, une veilleuse allumée, pour le préserver, en cas de réveil, de toute sinistre image !
Le bon lit qu’il avait quitté pour quelques brins de paille, les friandises qu’il avait troquées contre un pain noir et sec, ses joyeuses soirées auprès de ses petites sœurs, et même, il faut le dire à sa louange, les caresses de sa bonne mère, tout ce qu’enfin il avait sacrifié se représenta dans sa mémoire, alors qu’il n’en pouvait plus jouir.
Toutefois, s’il regrettait déjà sa coupable équipée, ce n’était, comme on le voit, qu’un repentir d’égoïste ; il était fâché d’avoir quitté la maison paternelle, en raison des chagrins qu’il s’était attirés, et non de ceux dont il pouvait affliger les autres. Ce n’était donc pas encore ce louable repentir qui seul redonne des droits à l’indulgence.
En effet, dès qu’au lever du soleil Jean-Paul fut délivré des terreurs de la nuit, il oublia bien vite et son père, et sa mère, et ses jolies petites sœurs. Son unique pensée fut de sortir de prison. Il secoua la serrure, il tacha d’ébranler les barreaux de la fenêtre. Vaines tentatives. La colère déjà faisait place à l’espoir, quand tout à coup il aperçut une tête, une tête sans corps, qui lui rendait visite par la chatière !
Les cheveux de Jean-Paul se hérissèrent.
Cependant, comme, par une singularité de la nature humaine, on regarde malgré soi l’objet qui fait horreur, Jean-Paul, qui avait reculé d’effroi jusqu’au fond de la chambre, jeta de nouveau les yeux dans la direction de la porte.
Il y rencontra de nouveau ceux de la fatale tête, lesquels, fixes et mobiles, le suivaient avec acharnement, quelque part qu’il allât, comme le regard circulaire d’un portrait.
Jean-Paul eut encore peur ; mais enfin, observant que la tête, toujours présente à la chatière, ne semblait pas vouloir s’avancer jusqu’à lui, il se remit assez pour l’examiner attentivement.
Qu’était-ce ?