Une semaine après mon arrivée, je prenais goût à cette vie qui me permettait d'aller à la plage et à la bibliothèque quand je voulais. Je passais la plupart de mon temps avec Sam et Lie, Rowan et Kalsy étant dans leur bulle amoureuse, ils ne partageaient que nos repas. (Et encore, c'était tout juste s'ils s'apercevaient de notre présence…)
En revanche, ce qui me pesait, c'était le regard que les élèves d'ici posaient sur moi. Je ne comprenais pas cette différence notable entre ici et Albuquerque. Je n'avais pourtant pas changé ? Ici personne ne connaissait mon histoire et pourtant ils me regardaient comme si j'étais une bête de foire ou plutôt, une épine sous leur pied. J'ai pensé que c'était dû au fait que j'étais nouvelle, jusqu'à ce que la teigne du lycée, Ambre Watson, qui avait été absente la semaine de mon arrivée, me prenne pour son bouc émissaire dès notre première entrevue. Tous les jours, j'avais le droit à des remarques sur ma tenue, mon maquillage, mes cheveux, un nouveau surnom, des critiques sur mes fréquentations, etc. Cette fille était devenue mon enfer personnel.
Un mois après, c'était toujours pareil, et ça devenait difficile à supporter. Alors chaque fois que je pouvais échapper à l'enceinte du lycée, j'en profitais. Et ce que je préférais, c'était aller au centre commercial avec Sam pour faire du shopping, il avait plus de goût que Lie. Je me souviens encore de la première fois où j'ai dit à ma mère que je sortais en compagnie de Sam.
- Ma chérie, je suis si contente pour toi ! Mais attend, nous avons plein de choses à aborder, et puis es-tu sûr de lui ? Il est gentil ? Il faudra que tu me le présentes.
Elle avait dit tout ça si vite que j'avais eu du mal à intervenir.
- Maman, arrête !
- Non, non, il faut qu'on en parle…
- Mais on en a déjà parlé des centaines de fois ! Tu me refais la même scène chaque année !
- Oui, mais jusqu'à présent, tu n'avais pas de petit ami.
- Sam n'est pas mon petit ami.
- Vraiment ? (Tout en elle laissait paraître qu'elle ne me croyait pas d'un pouce.)
- Maman il est gai ! Et puis même, il ne m'intéresse pas de cette façon !
- Oh !
- C'est un ami ! Il est super, et c'est plus sympa de faire les boutiques avec lui, qu'avec n'importe quelle fille !
- Je vois, me dit-elle un tantinet septique.
- Ça suffit maman le débat est clos.
Elle avait ri et retrouvé son sang-froid en ayant lu dans mes yeux que j'étais sincère. Ceux-ci ne pouvant tricher puisque j'étais une piètre menteuse. Depuis, elle avait rencontré Sam, elle adorait lui demander des conseils quand elle en avait l'occasion et lui était ravi. Ce n'était pas une situation très habituelle, mais je m'y étais faite et par la suite, je n'y faisais plus attention. Lie devenait jalouse parce qu'il faisait comme chez lui quand il venait à la maison et parce qu'il passait plus de temps qu'elle avec moi ! Alors, nous faisions souvent des soirées chez moi pour compenser. Elle était la reine du bal et pouvait profiter des bienfaits de mon jacuzzi ou de ma piscine, de l'écran plat de ma chambre ou encore de la plage privée, à sa guise pendant quelques heures.
Je téléphonais régulièrement à Mary et Jason, mais les nouvelles n'étaient jamais très bonnes en ce qui concernait nos projets de vacances. Ils n'avaient déjà pas pu venir pour les vacances de Pâques qui s'étaient terminées la semaine d'avant, et pour l'été cela paraissait bien mal parti.
- Désolée Sélena mais nos parents ont promis à la famille que nous passerions un peu de temps chez eux, puisque c'est le premier été où nous sommes assez proches de tout le monde, m'a annoncé Mary.
- Mais nous avons presque trois mois de vacances !
- Oui, a repris Jason, mais comme nous aurons dix-sept ans, maman nous oblige à travailler déjà pendant un mois, puis nous partirons deux semaines avec nos parents, deux autres chez nos grands-parents maternels et les deux dernières chez nos grands-parents paternels ! « Il ne faut pas faire de jaloux » nous ont-ils dit.
- Et nous n'avons pas eu notre mot à dire, a ajouté Mary.
- Dommage, soupirais-je. Je dois vous laisser Sam et Lie vont bientôt arriver et je dois prévenir Tamy des dernières volontés de Lie pour le dîner.
- OK, on se rappelle bientôt.
Tamy était arrivée pendant que j'étais pendue au téléphone.
- Salut Tamy ça va ?
- Bien merci, tu es monté sur ressorts, y a-t-il « une soirée Lie » à l’horizon ?
- Oui, je ne sais pas ce qu'elle va encore inventer, et ça me tracasse, la dernière fois elle nous a obligés à nous déguiser en Égyptiens et se prenait pour Cléopâtre ! Bon, au moins pour le repas, elle n'exige rien de compliquer.
- Tu me le jures ? Parce que la dernière fois, j'ai dû aller chercher un plateau de crustacés à la fermeture des magasins parce qu'elle s'était décidée à la dernière minute ! Or de question que cela se reproduise.
- Pardonne-moi, je te promets que ça ne se reproduira plus, elle avait exagéré.
- Alors, pour ce soir ?
- Pizzas, pop-corn et fraises à la sauce chocolat.
- OK super, quand arrivent-ils ?
- Dix minutes environ.
- Ce sera prêt dans trente minutes alors !
- Merci t'es un ange.
Je ne savais pas quoi faire, je tournais en rond en attendant Sam et Lie, quand j'ai pris conscience que j'avais perdu la notion exacte du temps.
- Tamy, quel jour sommes-nous ?
- Mercredi.
- Oui, ça, je le sais, mais quelle date ?
- Le quatorze, je crois, pourquoi ? Tu as l'air inquiet.
- Je n'ai guère fait attention aux dates ces derniers temps, à tel point que je n'ai même pas réalisé que c'est la veille de mon anniversaire !
- Oui, et alors, quelque chose ne va pas ? Tu as encore le temps d'organiser une fête pour ce week-end, si c'est ça qui t'embête.
- Non ce n'est pas ça, d'autant que je ne comptais rien faire de plus que d'habitude avec Sam et Lie. C'est juste que Peter est né le lendemain de mes huit ans et chaque année qui a suivi, la veille de mon anniversaire, je demandais à maman de passer du temps avec lui. C'était en quelque sorte mon cadeau pour lui. Quand il était bébé, nous jouions plus tard qu'à l'ordinaire dans la soirée, à partir de ses quatre ans, nous regardions un dessin animé à la télé en mangeant du pop-corn et l'an dernier, nous sommes allés manger une pizza et regarder un film au ciné. C'était notre façon à nous de ne pas s'oublier. Ça aurait dû être notre soirée ce soir, et il n'est pas là. Je suis un peu nostalgique.
- Ne le soit pas, tu es à un tournant de ta vie, dix-sept ans ce n'est pas : rien ! Profite de ta soirée !
Ding, Dông !
C'étaient eux. J'allais pour leur ouvrir, mais comme à l'ordinaire, Sam était déjà à l'entrée de la cuisine. Lie sur les talons.
- Alors quels sont les caprices de mademoiselle ce soir ? Lui demandais-je en rigolant.
- Puisque demain, c'est ton anniversaire, que pensez-vous de flâner sur la plage pour le dîner et de regarder un film dans ta chambre après ?
- Ça me convient.
- Moi aussi.
Sam et moi, nous nous jetâmes un coup d’œil soulagé.
Après avoir armé nos serviettes de bain, nous sortîmes sur la plage, pour profiter du soleil couchant.
- Vous restez dormir à la maison ? Je n'ai pas envie de me réveiller toute seule, demain matin.
- C'était bien notre intention, me dit Sam en appréciant les rayons du soleil sur sa peau.
- Super !
- Dites, vous avez entendu parler de l'arrivée du nouveau ? Lança Lie tout à trac.
- Je croyais que c'était moi la nouvelle !
- Plus à partir de demain, renchérit Sam.
- Avec un peu de chance, Ambre me laissera tranquille alors.
- Sauf s'il est super mignon, elle voudra éliminer toute concurrence !
- Moi ? Une concurrente ? Non mais vous m'avez bien regardé ? Chacun de vous, ferait une meilleure concurrente que moi. Trêve de plaisanterie, si j'allais chercher les pizzas ?
- Je viens avec toi, je prendrai les fraises, me dit Sam.
Nous avons dîné sur la plage, tout en continuant à imaginer à quoi pouvait bien ressembler le nouveau, ou si je paraîtrai plus vieille demain. Sam m'a proposé différentes tenues que je pourrais porter le lendemain, pendant que Lie me proposait plusieurs films pour la suite de la soirée. Chacun étant agacé parce que je ne l'écoutais pas. Nous avons fini par choisir Titanic, Lie s'est occupée d'aller chercher les pop-corn pendant que Sam m'aidait à remballer nos affaires. Une fois installés dans le canapé, nous n'avons plus entendu un souffle jusqu'à ce que nous nous transformions en fontaine au moment où Jack meurt.
Le film terminé, nous nous sommes apprêtés à aller nous coucher, mais j'ai réalisé que j'avais oublié de demander à ma mère des matelas supplémentaires. Et nous avons fini tous les trois dans mon lit, qui grâce à sa taille complètement déraisonnable nous offrait un espace confortable pour chacun, ce qui nous a fait rire. Le plus risible était le pyjama de Sam, à rayures roses, Lie et moi n'avons pu nous retenir de pouffer en le regardant. Lui arborait un sourire très fier, ce qui a amplifié notre hilarité. Nous nous sommes endormis ainsi.
J'ai été réveillée par un b****r sur chaque joue et le « Bon anniversaire ! » de mes amis. Sam s'est fait un plaisir de choisir ma tenue, mes chaussures et mes lunettes, Lie m'a maquillé et m'a coiffé. Fins prêts, nous sommes descendus prendre notre petit-déjeuner, préparé avec attention par Tamy. Sur la table de la cuisine, devant mon assiette plusieurs paquets attendaient d'être déballés. Le premier que j'ai ouvert, m'était offert par Tamy, un double bracelet d'or blanc surmonté de trois pierres d'un bleu étincelant, une grosse centrale et de chaque côté, une plus petite. Je l'ai remercié, les larmes aux yeux. Le second paquet était de la part de Lie.
- Tamy et moi, nous sommes concertées, me dit-elle quand je soulevais le couvercle. J'espère qu'il te plaira.
- J'ai découvert un collier assorti au bracelet, tout aussi magnifique.
- C'est parfait, merci beaucoup.
L'émotion me submergea.
Dans le troisième paquet, offert par Sam, j'étais folle de joie en voyant la veste en cuir devant laquelle j'avais bavé d'envie, un jour en faisant du l***e-vitrines avec lui. Et le dernier paquet, celui offert par ma mère, contenait le dernier I Phone dont je rêvais et dont Sam s'est fait un plaisir de le mettre en route pendant que nous engloutissions notre petit-déjeuner, afin que je puisse l'utiliser le matin même.
Avant de partir, j'ai fait honneur aux présents que j'avais reçus en les portant tous.
- Ma puce, tu es magnifique ! S'est exclamé Sam.
- Splendide ! Renchérit Lie.
- Tout à fait ravissante, a conclu Tamy.
- C'est grâce à vous, merci !
Nous voilà partis pour le lycée, moi avec ma voiture, Lie et Sam dans la voiture de ce dernier.
Alors que nous rejoignions nos classes, une voix a interpellé Sam :
- M. Foley, attendez s'il vous plaît !
C'était Mme Olive.
- Voici votre nouvel emploi du temps, votre demande a été acceptée.
- Oh, merci beaucoup !
- Mais pourquoi as-tu fait changer ton emploi du temps ? Lui demandais-je une fois Mme Olive partit.
- Parce que je trouvais que nous ne passions pas assez temps ensemble au lycée, alors maintenant, je partage deux cours de plus avec chacune de vous !
- Tu viens en histoire et en anglais avec nous ? ! Nous sommes nous toutes deux exclamées d'une même voix.
- Eh oui les filles ! Dit-il d'un air fier en passant un bras sur les épaules de chacune.
C'est avec une joie explosive et un entrain presque alarmant que nous nous sommes rendus tous les trois à notre cour d'histoire. Sam s'est installé à côté de Lie, à l'avant-dernier rang, juste devant moi, qui étais à ma place de prédilection. Être toute seule à ma table, au fond de la classe, me permettait de ne pas faire trop remarquer que je n'assistais pas à tous les cours.
Contrairement à son habitude d'être toujours à l'heure, aujourd'hui M. Barnett était en retard. Dix minutes après la seconde sonnerie, alors que nous nous apprêtions à envoyer quelqu'un à la pêche aux infos, le professeur a fait enfin son apparition.
- Veuillez m'excuser de mon retard, je vous remercie d'avoir patienté, dit-il en s'installant à son bureau. Certain d'entre vous doivent savoir qu'un nouvel élève vient d'arriver à Blue Lagoon, et M. Summers tenait à m'entretenir. Il faut croire que notre établissement attire les élèves particulièrement doués, ajouta-t-il en me jetant un coup d’œil, que j'ai soupçonné être suspicieux, après tout ce n'était probablement que les effets de ma paranoïa abusive.
Il s'est retourné vers la porte et alors que quelqu'un entrait, il s'adressa à nous :
- Je vous présente Kelan Harris, je compte sur vous pour l'accueillir comme il se doit. Sélena, je te demanderai de faire une copie des récapitulatifs que je t'ai transmis à ton arrivée, et de les remettre à Kelan. Vois avec lui pour son programme.
Alors ça, c'était la meilleure ! Surprise par ce que je venais d'entendre, je fixais le prof sans avoir fait attention une seule seconde au nouvel arrivant. J'étais peut-être moins intéressante que ce type, mais j'avoue que j'étais un peu jalouse ; on ne m'avait pas accueillie comme ça moi ! Pour commencer, je me suis fait engueuler par un surveillant, je n'ai pas été présenté à ma classe, mais expédiée au fond (même si cela ne me dérangeait pas et même m'arrangeait, il y avait mieux comme accueil !), et si Rowan, Sam et Lie n'avaient pas fait attention à moi au déjeuner, aujourd'hui, je serais cantonné dans mon coin avec la peste qui s'amuserait à me lancer des tomates ! Et aujourd'hui c'était à moi de me coltiner le chouchou !
Ma colère avait fait surface tellement vite que je n'avais toujours pas pris le temps de le regarder, et j'avais dû laisser transparaître mes émotions parce que M. Barnett m'a demandé :
- Un problème Mlle Lane ?
- Euh… Non, non M. Barnett, tout va bien.
- Alors on est d'accord ?
- Oui bien sûr, il n'y a aucun problème, dis-je dans un soupir.
- Parfait, dans ce cas M. Harris, vous pouvez aller vous installer, il y a une place de libre à la table de Mlle Lane.
- Manquait plus que ça ! Marmonné-je à voix basse.
En entendant les dernières paroles de M. Barnett, j'ai enfin posé les yeux sur le fameux Kelan Harris au moment même où il s'est tourné vers moi et avançait dans ma direction. Je ne vis rien d'autre que ses yeux. Deux opales d'un bleu océan, qui scintillaient de mille feux. Si tendres et pourtant si agressives ; ma tête m'a violemment brûlée, ma vision s'est troublée et j'ai été obligée de vivement me détourner. Encore une chose d'étrange…
Il a tiré sa chaise, s'est installé et a sorti son livre, un carnet et un stylo de son sac, et les a posés sur la table. J'ai soigneusement évité de le regarder, mes maux de tête devenant insoutenables.
J'ai appuyé mes doigts sur mes tempes et les ai massées en formant de petits cercles. Tentative peu concluante pour apaiser la douleur.
- Salut, dit-il d'une voix douce, telle une berceuse. Alors c'est toi Sélena Lane.
- Exact. Et pour ta gouverne, je me fiche de ce que tu peux bien penser de moi, alors abstiens-toi de réflexions et moi, je me contente de faire ce que le prof m'a demandé. Tiens d'ailleurs, ça, c'est le programme, en vert ce que j'ai déjà vu, en rouge les cours que je dois suivre, et en bleu ce que j'ai dû rattraper. J'ai fait glisser la feuille jusqu'à lui, en me gardant bien de croiser son regard. Dis-moi ce que tu as besoin de rattraper, je te ramènerai les copies demain.
Je me suis moi-même étonnée de la sécheresse de mes propos.
- Merci. Saches que je ne pense rien de toi, je ne te connais pas.
- Pourtant tu as l'air d'avoir déjà entendu parler de moi. Moi qui ne soupçonnais pas ton existence jusqu'à hier soir ! Dis-je avec amertume.
- Oui, c'est vrai le directeur m'a parlé de toi quand je suis arrivé ce matin. Il semblerait que tu sois particulièrement douée en cours.
- On peut dire ça comme ça.
- Je me trompe ou tu ne m'aimes pas ?
- Tu te trompes.
- Alors peut-être que tu n'es juste pas de bonne humeur…
- C'est ça.
- En tout cas, bon anniversaire ! Dit-il en déposant un petit objet sous mes yeux, que je n'avais pas relevé une seule fois de toute la conversation. C'était une minuscule statuette d'ange, taillée dans une opale de la même couleur que ses yeux.
Je n'osais pas en estimer la valeur de peur d'en avoir le vertige. J'étais stupéfaite, choquée, perdue, je ne savais plus quoi penser et avant même de pouvoir dire quelque chose, M. Barnett rappela la classe à l'ordre et commença la leçon. La seule chose que j'ai été capable de souffler à Kelan, c'est un pauvre « Merci… ».
À la fin du cours, (heureusement celui-ci a été plus court à cause du retard du prof.) au lieu de me dépêcher de rejoindre Rowan et Kalsy pour aller en maths, j'ai attrapé de justesse le bras de Sam, qui a immédiatement remarqué mon malaise.
- Ça ne va pas ?
- Accompagne-moi… Jusqu’au… Parking s'il te plaît, balbutié-je, et appelle Tamy… Pour qu'elle… Vienne me chercher.
Il n'a pas discuté, et m'a rattrapé avant que je tombe à la renverse. J'ai juste eu le temps d'entendre Sam demander sur un ton accusateur, à Kelan, pourquoi il n'avait pas prévenu pendant le cours que je me sentais mal. Avant de sombrer.