Ce matin-là, je me suis réveillée tôt, plus tôt que nécessaire, une boule dans l'estomac. J'ai choisi avec soin ma tenue, et sortis un corsaire en jeans et un débardeur blanc de mon armoire ainsi qu'un caraco crème en fines mailles qui m'aiderait à affronter la fraîcheur du matin. J'ai attaché mes cheveux qui me tombaient sur les épaules, en une queue-de-cheval, et ayant choisi ma paire de lunettes assortie à mes sandales à talons, je suis descendue prendre mon petit-déjeuner. Comme la veille, Tamy était là et m'a servi un verre de lait, un autre de jus d'orange, des œufs et du bacon.
- Comment te sens-tu ? M'a-t-elle demandée en me tendant mon assiette.
- Nerveuse. Merci, tout cela m'a l'air délicieux.
- Tu t'es levée tôt, le lycée n'est qu'à dix minutes d'ici en voiture.
- Oui, mais j'appréhende toujours les rentrées quand je ne connais personne, et je dois prendre le bus, j'ai dû vendre ma voiture avant mon départ d’Albuquerque, et je ne connais pas les horaires de passages.
- Ta mère m'a dit en partant travailler qu'elle avait garé ta voiture dans l'allée du garage. Je croyais que tu le savais ? Elle m'a dit hier qu'elle l'avait commandée en même temps que la maison, elle a été livrée ce matin.
- Non, je ne le savais pas. Je me demande comment elle a fait pour organiser notre arrivée aussi parfaitement, d'ailleurs… J'ai la vague impression qu'elle me cache quelque chose, mais je n'arrive pas à savoir pourquoi.
Tamy faisait mine de ne pas avoir entendu.
Mon petit-déjeuner avalé, elle m'a tendu mon déjeuner qu'elle avait enveloppé dans un sac en papier brun.
- Bonne journée et bon courage !
- Merci, j'en aurai bien besoin, bonne journée.
Devant la porte d'entrée, j'ai hésité une seconde en me demandant ce qui se passerait quand je poserais la main sur celle-ci, et puis… Rien. Je me suis dirigée vers le garage et là, dans l'allée, une magnifique BMW décapotable, d'un fabuleux bleu nuit métallisé, flambant neuve, m'attendait majestueusement.
Il est vrai qu'entre l'argent du divorce, la vente de la maison, les actions en bourses de maman, l'héritage que m'avaient laissé mes grands-parents paternels et le métier de juge de ma mère, nous étions plus que riches et ne risquions de ne manquer de rien, mais je trouvais qu'elle exagérait un peu. Nous n'avions jamais vécu dans un tel luxe auparavant (même si cela n'était pas pour me déplaire !) Le plus étrange, c'était que ma mère semblait penser que tout cela était nécessaire.
Mes réflexions mises à part, je me suis installée dans mon carrosse et j'ai démarré. Le moteur était tellement silencieux que j'en ai été surprise.
J'ai également été heureuse de constater que le lycée était très bien indiqué. Comme Tamy me l'avait précisé, je n'ai guère mis plus de dix minutes pour atteindre les imposants bâtiments que constituait le lycée de « Blue Lagoon High School », dont le nom était écrit en grosses lettres dorées, juste sous l'horloge. Je n'avais jamais entendu parler de cet établissement, pas même sur internet, mais les bizarreries qui m'entouraient depuis un mois se faisaient tellement nombreuses, que je me suis jurée de ne plus y prêter autant d'importance. Il fallait que je me concentre sur cette première journée qui risquait de ne pas être de tout repos.
Comme j'étais partie tôt, le parking était encore à moitié vide et j'ai facilement trouvé une place située pas trop loin de l'entrée et avec l'avantage de rester à l'ombre une bonne partie de la journée. Étant donné qu'avant, je possédais déjà une décapotable, certes moins luxueuse, mais que j'adorais, j'ai conservé mes bonnes habitudes, en refermant la c****e et rentrant les rétroviseurs. J'avais adopté ces résolutions un jour que, en sortant du lycée, il s'était subitement mis à pleuvoir et ma voiture en avait été inondée ce qui avait coûté une petite fortune à mes parents pour les dégâts causés. Et dès lors que Mary et Jason s'étaient fait arracher un rétro sur le parking du lycée, la seule et unique fois que leurs parents leur avaient confié leur voiture, je m'étais jurée d'éviter à tout prix ces désagréments.
Ceci accomplit je me suis dirigée vers l'accueil pour me présenter et demander les renseignements nécessaires à ma journée. Derrière le comptoir se tenait une dame au visage rond, les cheveux coupés très courts bruns aux reflets auburn. Sur son nez pointait une chic paire de lunettes. Quand elle m'a vu, un sourire immense s’est élargi sur son visage :
- Une tête que je ne connais pas, tu dois être la nouvelle élève ? Bonjour, je suis Mme Olive !
- Oui, bonjour, je suis Sélena Lane !
- La fille de la juge Vanessa Lane ?
- Euh, oui… Vous connaissez ma mère ?
- Bien sûr ! Elle est très réputée, dans son travail. Mais nous en parlerons une autre fois, viens me voir quand tu veux. Pour l'instant, voici ton formulaire d'entrée que tu feras signer à ta mère et me rapporteras demain, ton emploi du temps, un plan du lycée, ainsi que ta fiche de présence que tu feras remplir à chaque cours de la journée par tes professeurs. Ramène-la-moi à la fin de la journée s'il te plaît.
- D'accord, merci beaucoup.
Je m'apprêtais à sortir quand elle me dit :
- Attends ! Le proviseur souhaiterait te rencontrer avant le début des cours.
- Mais je risque d'être en retard…
- Ne t'inquiète pas, m'a-t-elle coupé, il te remettra un mot d'excuse. Tu vas jusqu'au fond du couloir et c'est la deuxième porte à droite. Vas vite ! Bonne journée !
- Merci. À ce soir.
Cette Mme Olive était vraiment adorable, j’ai espéré ne jamais avoir à la contrarier, cela aurait été dommage.
Les couloirs ont commencé à se remplir, les élèves affluaient de tous les côtés, mais j'ai réussi tant bien que mal à atteindre l'autre bout du couloir, et tourné à droite dans celui indiqué d'une pancarte « Administration ». Sur la deuxième porte à droite se trouvait une petite plaque indiquant « Proviseur Summers ». J'ai frappé deux coups et :
- Entrez !
- Bonjour, je suis Sélena Lane, Mme Olive m'a averti que vous souhaitiez me voir avant le début des cours.
- Bonjour, bienvenue parmi nous Sélena, je suis M. Summers, et je ne suis pas seulement un proviseur grincheux qui est là pour vous ennuyer, je reste à la disposition de mes élèves en toutes circonstances alors n'hésitez pas à faire appel à moi. La seule chose que je vous demande en retour, c'est que vous soyez sérieuse dans votre travail. Étant donné votre dossier exemplaire et vos facultés d'apprentissage, je tenais personnellement à vous remettre une carte d'accès à la bibliothèque sans limites d'horaires, accessible également le week-end et pendant les vacances. Et voici la clef de votre casier, que j'avais oublié de donner à Mme Olive. Avez-vous des questions ?
- Euh, non, merci, vous avez été très explicite.
- Parfait dans ce cas, je vous laisse aller en cours, donnez ceci à votre professeur. Bonne journée !
Il m'a remis un mot d'excuse et m'a raccompagné à la porte.
La porte du bureau était tout juste refermée derrière moi, que la deuxième sonnerie, indiquant le début des cours, a retenti. Retard inévitable. J'ai sorti mon plan du lycée afin de trouver ma classe, tout en rejoignant le couloir principal.
- Eh, toi ! Qu'est-ce que tu fais à traîner encore dans les couloirs ? !
Je me suis retournée et j'ai aperçu un surveillant, faisant déjà sa ronde, qui s'adressait à moi.
- Je sors du bureau du proviseur, et comme je suis nouvelle, je consulte le plan pour rejoindre ma classe et remettre le mot d'excuse à mon professeur ! Dis-je légèrement irritée par son ton accusateur.
- Oui, et bien ne fait pas ta maligne et dépêche-toi !
J'ai tourné les talons sans même lui répondre et j'ai trouvé la bonne salle au détour d'un couloir. Le professeur, M. Barnett, qui enseignait l'Histoire, avait dû être prévenu, parce que j'ai trouvé la porte encore ouverte. Le cours ayant déjà commencé, j'ai frappé et suis entrée sans attendre une réponse.
- Bonjour, Mlle Lane, voici une fiche récapitulative de la leçon, vous viendrez me voir à la fin du cours pour me parler du programme que vous suiviez dans votre ancien lycée. Il y a une place de libre au fond, allez vite vous installer que l'on puisse continuer.
- J'ai pris la fiche de leçon, lui ai tendu le mot du proviseur, qui s'est avéré inutile puisqu'il l'a jeté sans le lire, ainsi que ma feuille de présence qu'il a signée, puis je suis allée m’asseoir pendant qu'il reprenait son cours. Par chance, je n'avais pas encore étudié cette leçon et me concentrer m'a permis de faire abstraction des regards qui se posaient sur moi. À la fin du cours, je suis allée faire mon rapport à M. Barnett concernant les sujets déjà assimilés.
- Il s'avère que nous avons étudié des chapitres que vous n'avez pas encore vus et inversement, je vais aller en parler au proviseur et si cela vous convient, je vous ferai parvenir des fiches récapitulatives des sujets que vous n'avez pas abordés, que vous étudierez chez vous. Vous serez dispensée de cours quand nous aborderons des sujets déjà vus.
- Cela me convient.
- Je reste à votre disposition si vous avez des questions, et vous confirme notre programme au cours de demain.
- Merci, à demain.
Jusqu'à la pause du déjeuner, les cours se sont passés de la même manière et les professeurs ont tous été autant agréables et disponibles que le proviseur et Mme Olive. (Mais combien de temps cela allait-il durer ? Avec la poisse qui me courait après ces derniers temps, je ne me faisais pas d'illusions.) L'inconvénient était que je n'avais pas encore eu le temps de faire connaissance avec qui que ce soit.
- À l'heure du déjeuner, je m'apprêtais à m'installer à une table vide, quand quelques voix m'ont interpellées :
- Sélena !
Je me suis retournée, étonnée que quelqu'un sache qui j'étais.
- Tu t'appelles bien Sélena ?
Je fis signe que oui, pas certaine de savoir ce que ces quatre amis me voulaient.
- Viens t’asseoir vers nous, ne reste pas toute seule.
Le garçon qui m'avait invité à leur table, était blond, les cheveux en bataille et légèrement efféminé. Il m'a paru tout à fait sympathique et sincère, mais quelque chose chez lui me rappelait quelqu'un, mais qui ?
- Avec plaisir, merci. Je n'ai pas eu l'occasion de faire de nouvelles connaissances ce matin. Je m'appelle Sélena Lane, et vous ? Répondis-je en m'installant à leur table.
- Moi, c'est Rowan Kôl, m'a-t-il répondu, je suis dans ta classe en maths, tu me montreras ton emploi du temps, nous avons peut-être d'autres cours en commun. Et je te présente Lie Welche, Sam Foley et Kalsy Milton ma petite amie.
Lie était assez petite, avec une bouille de bébé. Ses cheveux blonds raides comme des baguettes de tambour lui descendaient jusqu'au milieu du dos et étaient parsemés de mèches bleues assorties à ses yeux. Sam était plutôt grand et trapu, le t-shirt moulant qu'il portait laissait apparaître sa musculature, les cheveux bruns et les yeux noisette, il était assez sexy. Quant à Kalsy, ses boucles brunes reposaient sur ses épaules, avec le teint rose de sa peau délicate et ses yeux bruns, elle ressemblait à une poupée de porcelaine. Et moi, je faisais tache dans le décor, avec mes lunettes, ma peau blafarde et mes cheveux ternes malgré tous les soins que j'avais pu essayer.
- Salut ! Lancèrent-ils en cœur.
- Enchantée de vous connaître.
Ils étaient tous très joyeux et rieurs, ils m'inspiraient le bonheur que je n'avais pas ressenti depuis longtemps. Nous nous sommes immédiatement appréciés, nous avons constaté que je partageais le cours de maths et de sciences avec Rowan et Kalsy, celui d'anglais et d'histoire avec Lie et celui de physique, sport et l'option français avec Sam. J'étais tellement stressée à l'idée de partir de zéro, dans une nouvelle ville, un nouveau lycée, que je ne les avais pas remarqués pendant les cours de la matinée. Soudain, j'ai compris pourquoi j'avais hésité quand Rowan m'avait interpellé, il ressemblait étrangement, avec quelques années de plus certes, à mon frère Peter ! Tout le monde semblait remarquer mon désarroi et s'est inquiété :
- Sélena, ça va ? M'a demandé Kalsy.
- Tu es toute blanche, a fait remarquer Lie.
- Elle est toujours blanche, a rétorqué Sam.
- Oui, mais si on l'a fait pas respirer, elle sera translucide !
- Non… Ça va aller, ne vous inquiétez pas… Balbutié-je.
En me voyant reprendre mes esprits Sam a repris :
- Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? Tu nous as foutu la frousse !
- Rien ça va mieux, je vous assure, dis-je péniblement.
- On est tes amis maintenant, fais-nous confiance, si quelque chose ne va pas tu devrais nous le dire, ont insisté Rowan et Kalsy.
- Peu importe vous me prendriez pour une folle.
- Et alors ? Ça ne fera qu'aggraver un peu plus la réputation de notre groupe, ce n’est pas grave, on a l'habitude !
Ils riaient.
- Comment ça ?
- Tu remarqueras très vite que Rowan est cinglé, Lie a parfois une case en moins, moi, je suis à tendance paranoïaque et Kalsy… Ça dépend. Désolé de ne pas t'avoir prévenue que nous ne sommes pas la clique de rêve du lycée !
- Sympathiques ! Dis-je en riant, ne vous inquiétez pas, ce sera déjà quatre personnes en moins qui ne me persécuteront pas, et tant que la vie au lycée se passe bien, le reste m'importe peu.
- Super alors, on commencera à se méfier quand ça n'ira plus !
Tout le monde a ri de bon cœur et en a oublié mon petit malaise. La suite du déjeuner s'est déroulée plus calmement, je leur ai raconté les raisons de mon débarquement parmi eux, j'ai appris que Rowan et Kalsy étaient ensemble depuis six mois, que Sam était gai et Lie une grande rêveuse.
À treize heures, nous sommes retournés en cours, Rowan et Kalsy en histoire, Lie en physique, et Sam et moi en sport où je me suis contentée d'assister aux matchs de basket, puisque Sam, soucieux de ma santé avait prévenu le prof que j'avais fait un malaise au déjeuner.
Quand la sonnerie a annoncé la fin du cours, Lie m'attendait devant le gymnase.
Le prof d'anglais n'est pas là, tu peux rentrer chez toi si tu veux.
- Et toi, tu ne rentres pas ?
- Je n'ai pas de bus avant trente minutes.
- Tu veux venir faire tes devoirs chez moi, je pourrais t’aider ?
- Oh oui ! Ça serait chouette !
- Je dois juste déposer ma feuille de présence à l'accueil et j'arrive.
Pendant que nous retournions à la voiture, Lie a prévenu ses parents que je la ramènerais vers dix-neuf heures.
- Wha ! Elle est superbe ta voiture !
- Oui et tu n'as encore rien vu, depuis qu'on a emménagé, ma mère me fait vivre comme une princesse.
Elle l'a constaté d'elle-même en visitant la maison, puis nous nous sommes mises à ses devoirs, ma leçon d'histoire ayant été enregistrée durant le cours de sport, j'étais toute disponible.
- Pourquoi as-tu un programme privilégié ? M'a-t-elle soudain demandé.
- Je ne comprends pas ?
- Oui, j'ai entendu une partie de ta conversation avec M. Barnett ce matin.
- Eh bien, depuis que je suis petite, j'ai toujours été capable de comprendre tout, en une seule foi, donc mes professeurs ont estimé que seul le travail en classe m'était nécessaire pour appliquer une leçon et qu'il était inutile de me donner des devoirs supplémentaires, et ne pas assister à des cours que je connais déjà, me permettra d'occuper mon temps à plus utile que l'ennui. Tu me suis ?
- Oui, c'est tout de même une sacrée chance !
- Le proviseur doit donner son accord, mais compte tenu de ce qu'il m'a dit ce matin, je pense que c'est dans la poche. Mais je n'échappe pas aux devoirs sur table, sur les sujets que je n'ai pas encore étudiés et ceux que je dois rattraper.
- Si c'est si facile pour toi, pourquoi ne pas avoir sauté une classe ?
- Parce que si chaque école, respecte mon fonctionnement, je ne m'ennuie pas. J'apprends vite, mais je ne sais pas tout. De plus je vais bientôt commencer les examens avancés.
- Qu'est-ce que c’est ?
- Des examens qui me permettront peut-être d'avoir mon bac plus vite. Aller, finis tes maths, qu'on puisse aller se baigner et faire bronzette avant que tu rentres !
- T'as de la chance, tu pourras faire ça tous les soirs maintenant.
- Et tu sais comment faire pour en profiter…
- Merci c'est gentil de ta part. Au final moi aussi, j'ai de la chance, ce n'est pas tout le monde qui a une amie comme toi !
- Nous avons ri un moment, et j'ai deviné que nous allions être de bonnes amies.
J'ai ramené Lie après avoir dîné, et filé me vautrer sur mon lit pour repenser à cette première journée, qui ne s'était pas si mal déroulée si l'on faisait abstraction de l'incident de midi. Ma mère est rentrée vers vingt et une heures et est venue me voir pour connaître les moindres détails de ma journée, j'en ai profité pour lui faire signer mon papier.
- Je vois que tu es exténuée, je vais te laisser dormir, mais je suis contente que tu te sois fait de nouveaux amis, j'avais peur que tu t'empêches d'en avoir à cause de Mary et Jason.
- Voyons maman, c'est ridicule !
- Je sais.
Elle m'a souri, m'a embrassé et s'en est allée rejoindre ses propres oreillers.