Nous y étions. Vendredi vingt-six février, seize heures, ma mère venait me prévenir que nous allions bientôt partir.
- Chérie es-tu sûr d'aller bien ?
Depuis qu'elle m'avait annoncé que nous partions pour la Californie, ma mère s'inquiétait sans arrêt à mon sujet. Heureusement que j'avais évité de lui parler de la situation au lycée, elle aurait été pire.
- Oui maman, tu n'as pas à t'inquiéter. C'est juste un peu de nostalgie, et j'ai peur que Peter pense que je l'ai abandonné…
Cette dernière phrase ne rassura pas ma mère, bien au contraire.
- Sélena, Peter ne peut pas…
- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire ! La coupais-je rapidement avant qu'elle me fasse consulter un psychologue, en pensant que je devenais folle ou je ne sais quoi d'autres. C'est juste que je ne veux pas perdre son souvenir en partant, il me manque beaucoup, tu sais ! C'est tellement injuste…
- Je te comprends, me dit-elle soudain soulagée de tout son être. Je ressens la même chose, mais ne t'inquiète pas tout se passera bien. Dépêche-toi de finir, nous prenons l'avion dans trois heures et nous devons être partis dans vingt minutes.
Elle avait enchaîné cette dernière phrase si précipitamment, que cela m'a mis la puce à l'oreille. Pourquoi ma mère avait-elle dit « tout se passera bien » alors que j'avais besoin d'entendre un truc comme « on n'oublie pas un être aimé » ou bien « il restera toujours dans ton cœur »… Je devenais peut-être paranoïaque, mais je me demandais si ma mère et mon frère ne partageaient pas un secret par hasard… N'importe quoi, j’avais l'impression de devenir complètement cinglée !
Enfin bref.
J'ai fait une dernière fois le tour de la maison en essayant d'imprimer dans ma mémoire un maximum de souvenirs. Dans les écuries, j'ai fait le tour des huit box, brossant une dernière fois chacun des chevaux que j'avais montés, et pour certains, j'avais aidé mon père à les faire naître. Et je suis revenue juste à temps à l'avant de la maison pour accueillir la famille Hathaway qui venait nous dire une dernière fois au revoir. Mary et Jason avaient insisté pour que l'on se voie jusqu'à la dernière minute, en pensant que nous partirions en même temps. Mais ma mère avait avancé notre départ de deux jours parce qu'elle voulait que je puisse m'installer dans ma nouvelle chambre avant de commencer les cours et tenait absolument à ce que je commence le lundi suivant. J'avais répliqué :
- Maman, je vais dans un nouveau lycée où personne ne me connaît, ce n'est pas grave si je rate quelques jours et ne commence qu'en milieu de semaine !
- Non Sélena, je tiens à ce que ta vie ne soit pas perturbée, et que la transition soit fluide.
Je n'ai pas su qu'elle mouche l'avait piquée quand elle m'avait déballé ce charabia, mais elle était si convaincue que je n'ai pipé mot.
Mary, Jason et moi avons beaucoup pleuré en nous quittant et nous sommes promis de s'appeler et de s'envoyer des mails tous les jours pour se raconter tous les détails de notre nouvelle vie.
À présent, maman et moi étions dans l'avion et d'ici au lendemain après midi, nous nous serions installées dans notre superbe maison de luxe au bord de l'océan.
C'est seulement quand ma mère m'a réveillée pour manger que je me suis rendu compte que je m'étais assoupie. À travers le hublot, il faisait nuit noire, je ne percevais même pas les nuages. Dans l'avion flottait une ambiance très sereine et joyeuse. J'ai regardé ma mère, et j'ai constaté pour la première fois depuis un mois, qu'elle était heureuse et se sentait bien. Ses boucles brunes qui lui tombaient sur les épaules et descendaient jusqu'à la taille étaient, à nouveau, belles et soyeuses, son visage qui avait été terni par le chagrin avait retrouvé son teint crème et ses joues roses, le bleu de ses yeux était si magnifique qu'il en était presque turquoise et ses cernes avaient disparu.
- Maman, dis-moi, qu'est-ce qui te rend si heureuse et si belle ? Lui demandais-je, avec un sourire qui n'était pas apparu sur mes lèvres depuis plus d'un mois. Ce qu'elle remarqua aussitôt.
- Ton sourire pour commencer, et j'ai le sentiment que les derniers mots que ton frère t'a laissés sont un fabuleux cadeau, tu me crois ?
- Étrangement, oui.
Cela a été les seuls mots que nous ayons échangés durant notre voyage, mais je me sentais bien et apaisée. J'ai donc profité du voyage pour dormir du sommeil du juste. Ce qui ne m'était pas arrivé depuis plusieurs semaines et que je sentais bien mérité. Quand l'hôtesse vint nous réveiller, je constatai que les fauteuils de première classe avaient également eu raison de ma mère, ce qui m'a fait rire puisque j'ai dû aider l'hôtesse de l'air, qui commençait à s'impatienter, à réveiller ma mère qui ronflait comme une tronçonneuse.
- Oh !....Oh ! Désolée ! Je rêvais de l'océan, dit-elle en ouvrant les yeux, penaude, en voyant l'hôtesse penchée au-dessus d'elle.
- Ne vous inquiétez pas, ça arrive souvent. Nous sommes arrivés. Bienvenue à Los Angeles !
- Merci.
Nous sommes descendus de l'avion, et après avoir récupéré nos bagages, nous avons passé la nuit à l'hôtel de l'aéroport. Un taxi nous emmènerait le lendemain, jusqu'à une fantastique villa donnant sur la plage.
- Maman, es-tu sûr de ne pas t'être trompée d’adresse ?
- Oui, oui, c'est bien la bonne adresse, ainsi que notre nouveau « chez nous », bienvenue à la maison !
- Mais elle est beaucoup trop grande !
- Elle ne te plaît pas ? Me demanda ma mère tout à coup inquiète.
- Si, si bien sûr, mais elle est si vaste que…
- Oui, je sais mais… Cela me paraissait nécessaire, tu auras plus d'indépendance et d'intimité. Aller, entrons adopter les lieux, le camion de déménagement ne devrait plus tarder.
Je lui ai reconnu cette autorité indiscutable, qui apparaissait en ce moment à chaque fois qu'elle ne tenait pas à s'étendre sur un sujet, mais à laquelle je ne voyais aucun intérêt à discuter.
Une allée de pierres plates conduisait jusqu'à l'entrée, elle était bordée de vastes pelouses qui semblaient tout droit sorties d'un pays enchanté, tellement les couleurs de l'herbe et des fleurs qui y poussaient étaient fabuleuses. Nous avons monté trois marches pour arriver sous le porche, qui abritait une large porte de bois sculpté, tout à fait extraordinaire. Au premier abord, elle m'a intriguée seulement par la majesté qu'elle dégageait, puis quand j'ai posé la main dessus et l'ai poussé pour l'ouvrir, j'ai ressenti un picotement sous mes doigts, et quelques paillettes flottaient autour de ma peau. C'était étrange, mais je me suis dit que ce n'était que le fruit de mon imagination.
Depuis l'entrée qui donnait sur le salon, je pouvais voir les immenses baies vitrées qui remplaçaient le mur du fond, et à travers, la plage et l'océan. Au sol, un carrelage blanc étincelant. La cuisine sur la droite tout aussi immense, et équipée plus que nécessaire, était ouverte sur le jardin, où trônaient une piscine quasi olympique et un jacuzzi. Derrière les baies vitrées du salon, une magnifique terrasse avec un escalier descendant sur la plage. Dans le salon, un escalier de verre menait au premier étage où je découvris deux chambres, l'une dans les tons blancs tel un cocon de nuages, et l'autre, qui m'a incitée à entrer, et que j'ai choisi en reconnaissant bien l’œuvre de la décoratrice de ma mère qui me connaissait par cœur, dans les tons de roses pastel et fuchsia.
Celle-ci était composée de trois espaces bien définis. Un premier qui donnait lieu d'espace convivial, où un vaste canapé en velours fuchsia trônait déjà, ainsi qu'un écran plat et une table basse en bois, sculpté de la même manière que la porte d'entrée. Le mur du fond était constitué de grandes baies vitrées ouvrant sur un balcon qui donnait sur la plage. Le deuxième espace, que je pouvais fermer à l'aide d'épais rideaux assortis au canapé, serait l'espace intime de ma chambre avec mon lit tout aussi imposant que le reste de la maison, certainement la raison pour laquelle ma mère avait absolument tenu à m'en racheter un, celui que j'avais à Albuquerque étant plus rustique et d'une seule place. Ces deux espaces étaient recouverts au sol d'une moquette épaisse et moelleuse, rose pastel, qui m'a poussée à enlever mes sandales et à apprécier la douce sensation sous mes pieds nus. Dans le dernier espace, ma salle de bain privé ! ! Ma douche, ma baignoire… Tout en blanc et doré, je me serais cru dans une salle de bain royale.
- Alors, qu'en penses-tu ?
- Maman, merci, c'est fabuleux, j'ai l'impression d'être une princesse !
C'était tellement incroyable que je ne savais plus où donner de la tête, jusqu'à ce que j'entende le klaxon annonçant l'arrivée de nos meubles et autres effets personnels. Je me suis précipitée dans l'escalier, ma mère sur les talons, toutes deux pressées de pouvoir enfin s'installer dans notre nouveau paradis.
Nous nous sommes affairées jusque tard dans la soirée en aménageant la cuisine et le salon, déballant vaisselle, bouquins, bibelots et DVD s. Nous avons installé le bureau de ma mère pour qu'elle soit prête à reprendre le travail dans de bonnes conditions. De ce fait, nous avions négligé nos chambres, et nous avons seulement fait nos lits avant de nous coucher. Nous avons décidé de nous occuper du reste le lendemain, les pièces communes étant accueillantes au cas où nous aurions de la visite - ma mère avait toujours insisté pour que nous ayons une maison présentable, peu importaient les conditions - et que pour ce soir, il était temps de souffler. J'ai donc décidé d'aller me rafraîchir en me promenant sur la plage, les pieds dans l'eau.
Le clair de lune qui se reflétait sur l'eau était fabuleux, doux et réconfortant, mais également nostalgique. J'avais été euphorique toute la journée sans vraiment réaliser que tout cela était dû à la perte de mon frère Peter. J'aurais aimé partager tout cela avec lui. Je me suis débarrassée de mes sandales et je suis entrée dans l'eau jusqu'aux mollets, l'eau était tiède et rafraîchissante à la fois. Soudain, comme si j'avais provoqué une bourrasque en entrant dans l'eau, plusieurs vagues se sont formées sans jamais m'atteindre pour autant, c'est alors que j'ai aperçu le reflet de la lune dans l'eau qui se modifiait, le temps d'une minute, pour que je puisse y lire « DESTINÉE ». Puis tout est redevenu calme. Je suis sortie de l'eau un peu chamboulée, ai récupéré mes sandales et, lasse, je suis allée me coucher.
Une fois avoir pris ma douche et m'être apprêtée pour la nuit, je me suis glissée sous la couette. Mais il m'était impossible de trouver le sommeil malgré mon épuisement. Le lendemain, j'aurais toute la journée pour ranger ma chambre, alors autant réfléchir à ma décoration maintenant et avoir un peu de temps libre, avant d'angoisser pour ma rentrée dans mon nouveau lycée. Seulement, une chose me tracassait, une chose à laquelle je n'avais pas fait attention auparavant. Avant, il y avait parfois cette voix dans ma tête qui résonnait, « destinée », qu'est-ce que ce mot pouvait bien avoir à faire avec ma vie ? Ce soir, je ne l'avais pas entendu, je l'avais vu ! Cela faisait maintenant trois choses qui ne pouvaient être mon imagination : les paillettes autour de mes doigts au toucher de la porte d'entrée, les vagues qui ne m'atteignaient pas et se formaient sans la moindre brise à l'horizon, et le reflet de la lune. Sans compter ma mère qui commençait à dire des choses qui auraient dû n'avoir aucun sens, et pourtant, même si je ne les comprenais pas, je sentais qu'elles en avaient un. En pleine réflexion, je me suis enfoncée doucement dans le sommeil.
C'est le soleil qui pénétrait dans ma chambre par les baies vitrées et qui venait caresser ma peau de sa douce chaleur matinale qui m'a réveillé. Ayant dormi d'un sommeil sans rêve, je me sentais pleinement reposée. J'ai attrapé mon téléphone et me suis rendu compte qu'il était déjà dix heures passées. Je me suis aussitôt levée, j'ai enfilé vite fait un survêtement et un t-shirt et je suis descendue à la cuisine pour préparer le petit-déjeuner. En traversant le salon, je me suis aperçue que ma mère dormait toujours sur le divan où elle s'était sûrement endormie la veille en regardant un film. J'ai poussé un cri en arrivant dans la cuisine, avant de l'étouffer avec mes deux mains :
- Oh ! Bonjour, je suis Tamy, votre mère m'a engagé comme gouvernante. Vous devez être Sélena ?
- Oui… Bonjour… Dis-je hésitante.
Votre mère n'a pas dû avoir le temps de vous parler de moi, je suis désolée de vous avoir fait peur, j'ai la clef de la maison et comme votre mère dormait toujours, je n'ai pas voulu la réveiller, vous avez dû avoir une grosse journée hier, non ?
- Oui en effet, dis-je légèrement perturbée, ce que Tamy a remarqué.
- Je comprends que tu te méfies de moi, je suis désolée, j'aurais peut-être dû téléphoner avant de venir, dit-elle embarrassée par mon comportement.
Je me suis aussitôt ressaisie.
- Non ne vous inquiétez pas, c'est juste que nous n'avions pas l'habitude d'avoir une gouvernante quand nous étions à Albuquerque, mais je dois avouer que ce n'est pas la seule chose qui a changé, alors je devrais m'attendre à avoir d'autres surprises de ce genre ! Je lui ai souri et j'ai vu son enthousiasme revenir à grandes enjambées.
- Tiens voilà ton petit-déjeuner, prends des forces, tu en auras certainement besoin, la maison ne doit pas être complètement rangée ?
Elle m'a tendu un bol de céréales, un grand verre de jus d'orange et deux tartines de confiture. Je me suis étonnée moi-même en constatant que j'avais tout englouti.
- Merci beaucoup Tamy, j'en avais bien besoin, surtout quand je vois le travail qui m’attend !
- Je peux t'aider si tu le souhaites ?
Tamy était une jeune femme tout à fait charmante, agréable, très jolie avec ses cheveux châtains, sa peau mate et ses yeux dorés. Et efficace. Me sentant en confiance, c'est avec joie que j'ai accepté sa proposition.
Nous avons passé la fin de la matinée à organiser mon coin chambre et ma salle de bain. Ma marmotte de mère a émergé du sommeil quand nous sommes descendus pour préparer le repas.
- Tamy, Sélena, pourquoi ne m'avez-vous pas réveillée ?
- Ce n'est rien maman, tu avais besoin de te reposer. Et ça m'a permis de faire connaissance avec Tamy.
- Il est treize heures, nous allions manger, souhaitez-vous vous joindre à nous ? Lui a demandé Tamy joyeuse.
- Avec plaisir, je vais avoir besoin de prendre des forces, après avoir gâché la moitié de ma journée à dormir, il va falloir que je me rattrape !
À la fin du repas, Tamy est venue m'aider à terminer la décoration du coin détente de ma chambre, puis elle est allée prêter main-forte à ma mère, pendant que je profitais de ma fin d'après-midi pour aller me détendre et bronzer sur la plage.