IV

523 Words
IVCet homme, extraordinaire et oraculaire, qui voit l’avenir et le prédit sans se tromper jamais et qui prédit le sien, dans le roman, à la princesse d’Este, est plus qu’un de ces magiciens, comme on en trouve dans toute époque de décadence, depuis Apollonius de Tyane jusqu’à Cagliostro. Lui, c’est bien plus qu’un magicien… Il n’y a que ceux qui veulent déshonorer le magisme, cette science sacrée de la vieille Assyrie, qui appellent les mages des magiciens. Mérodack est plus qu’un magicien, c’est un mage. M. Joséphin Péladan a, pour les besoins dramatiques de son œuvre, composé le personnage, dans le Vice suprême, avec beaucoup d’art, de sérieux et même de bonne foi ; seulement, on est bien tenu de le lui dire, pour un catholique qu’il est, partout ailleurs, dans son livre, et qui fait du catholicisme la seule certitude de salut qui reste aux nations latines décrépites, c’est là une redoutable inconséquence, et même, c’est beaucoup plus… Magisme ou magie, quel que soit le nom qu’on préfère, sont des erreurs absolument contraires à l’enseignement de l’Église qui les a condamnées, à toutes les époques de son histoire, pour les raisons les plus profondes et l’Église est toujours prête à effacer sous son pied divin, depuis la grande tour de Babel, toutes les petites qu’on veut recommencer contre elle. Or, la magie est une de ces taupinières… Et, d’ailleurs, cette invention presque impie d’un homme, surnaturel par la Science, qui n’a plus les proportions humaines et dont l’action sur les évènements est irrésistible, n’est pas meilleure ni plus vraie en littérature qu’en théologie, car une telle création supprime cet intérêt que tout roman a pour but d’exciter. Les hommes, en effet, ne s’intéressent qu’à ceux qui leur ressemblent, et c’est la raison qui les fait s’émouvoir et se passionner aux œuvres dans lesquelles ils ont affaire à des hommes comme eux. Les enfants seuls font exception parce qu’ils ont la naïveté et la foi de l’enfance. Ils croient à tout ce qu’on leur raconte, ogres ou fées, mais ce sont là des contes et non pas des romans ! L’imagination des hommes est plus difficile. Elle peut accepter ce qui l’étonne et ce qui lui est supérieur, mais elle ne veut pas de ce qui l’écrase – et on l’écrase, quand on veut la faire s’intéresser à des créatures hors nature, et qui ne sont plus en proportion avec elle. Alors, du coup, les sources de l’émotion et du pathétique sont taries… Balzac lui-même, l’omnipotent Balzac, qui croyait pouvoir tout oser, s’est heurté à cet écueil contre lequel M. Péladan pourrait se briser. Plusieurs fois, Balzac est sorti de la nature humaine. Dans Séraphitus-Séraphita où il a peint l’androgyne céleste de Swedenborg, dans sa Peau de chagrin dont la donnée est orientalement fabuleuse, et dans Ursule Mirouet où le magnétisme moderne joue un rôle qu’on n’y voudrait pas voir et que M. Péladan, dans son Vice suprême, a exagéré. Eh bien ! malgré l’imposant exemple de Balzac, c’est toujours une tentative téméraire et dangereuse, car elle permet tout, que d’introduire un merveilleux extrahumain dans la réalité des choses telles qu’elles existent ou telles que nous les connaissons. Avec un pareil procédé, l’art est trop facile. Et si les trois romans que j’ai cités saisissent l’imagination, pourtant, avec la force des chefs-d’œuvre, c’est que l’intérêt humain, diminué par l’impossibilité du sujet, se trouve dans la beauté transcendante des détails. Mais le procédé de composition n’en reste pas moins inférieur, quoique magnifiquement couvert par la supériorité du génie.
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