LVIIIl s’éleva un vent frais. Hélène eut froid et demanda à rentrer. Maurice fut choqué qu’elle s’aperçût de cette incommodité ; lui qui fût resté toute la nuit sur le pic d’une haute montagne, couché sur la neige, sans savoir qu’il fît froid, pourvu qu’Hélène fût auprès de lui.
Il sentit qu’il fallait la quitter, et, comme elle s’appuyait sur son bras pour traverser le jardin, il marchait le plus lentement possible ; de temps à autre, s’arrêtait pour la regarder, soupirait, et recommençait à marcher.
– Pourquoi nous quitter ce soir ? pensait-il. Elle m’aime, elle est à moi ; pourquoi nous séparer quand nous sommes si heureux ensemble !
Cependant, il ne voulait rien dire, car, s’il eût demandé à Hélène à rester près d’elle, et qu’elle l’eût refusé, ce refus l’eût profondément blessé, et d’ailleurs tant qu’il n’avait rien demandé, il pouvait espérer ce qu’il désirait ; en parlant il craignait d’avoir trop tôt la certitude d’une séparation qui lui était si douloureuse.
Il attendait, et cependant tirait du moindre mouvement d’Hélène des inductions favorables ou contraires. Il remarquait si le côté de l’allée qu’elle prenait était plus près de la maison ou plus près de la porte qui conduisait dehors – en approchant, un léger frisson d’Hélène fut par lui interprété de deux manières différentes.
Elle partageait son regret de cette séparation.
Ou elle éprouvait cette émotion mêlée de crainte que toute femme ressent au moment de s’abandonner aux caresses de l’homme même qu’elle aime le plus.
Comme ils étaient arrivés au pied de l’escalier de pierre qui conduisait à la maison, Maurice s’arrêta, serra la main d’Hélène, et les yeux fixés sur les siens, avec un regard suppliant, il ne prononça qu’un mot :
– Hélène !
Mais, dans ce mot, il y avait et l’aveu de ses craintes et de ses désirs, et une prière éloquente.
– Qu’avez-vous ? dit Hélène.
– Faut-il nous séparer ? dit tristement Maurice.
– Et pourquoi ? répondit-elle ; me croyez-vous une femme coquette et sotte qui, considérant comme une défaite le moment où elle se donne à son amant, le retarde par mille petits artifices, et se donne en détail, aujourd’hui la main, demain les joues, ensuite le cou, puis les lèvres !
Pour de telles femmes, l’amour n’a pas d’excuse, puisqu’il est si peu puissant qu’il leur permet de semblables gradations ; ce sont d’ignobles créatures qui donnent facilement leur âme et marchandent pour donner leur corps.
Du moment où je vous ai dit : Je vous aime ! j’étais à vous, mon corps et mon âme, ma vie tout entière. Vous appartenir est un triomphe pour moi autant que pour vous ; loin de refuser de vous donner quelque chose, je voudrais être plus belle ; je voudrais réunir en moi les charmes de toutes les femmes, non par vanité, mais pour te donner plus de plaisirs : je ne mettrai pas ma gloire à te résister, mais à t’appartenir, mais à te voir heureux. Quand je t’aurai tout donné, je gémirai de t’avoir tout donné… mais parce que je n’aurai plus rien à te donner. Cherche, imagine, invente des bonheurs que je puisse faire pour toi, et ce sera moi qui serai heureuse et fière, et qui te remercierai.
Ils entrèrent dans la maison ; Maurice marchait en suspendant ses pas pour empêcher le parquet de crier. Une femme de chambre entra. Maurice voulut se lever pour qu’elle ne le vît pas, Hélène le retint doucement et donna quelques ordres sans aucun embarras.
On servit une collation : puis Hélène passa dans un cabinet où une autre femme la déshabilla ; ensuite elle entra avec Maurice dans sa chambre à coucher. – La femme de chambre plaça les bougies et se retira.
Maurice ne comprenait pas qu’Hélène ne prît pas plus de précautions. Il s’attendait à entrer la nuit mystérieusement, par-dessus les murailles, et c’était à la connaissance des domestiques qu’il passait la nuit dans la chambre d’Hélène.
Les bougies s’éteignirent, et la chambre ne fut plus éclairée que par la clarté douteuse que jetait la lampe d’albâtre suspendue au plafond.