C’est dans cette vieille chapelle que, pendant près de trois siècles, il fut d’usage de conduire l’homme et la femme qui avaient failli à l’honneur, pour les marier souvent contre leur gré. Trait curieux qui peint bien les mœurs du Moyen Âge, quelquefois ils étaient amenés par deux sergents en présence du curé. C’est là seulement, et pas ailleurs, que pouvaient se marier les filles-mères, car la bénédiction nuptiale leur était refusée partout. Ce triste privilège se rattache à la légende de sainte Marine si injustement calomniée par une fille qui avait failli. Pour les humilier, l’église n’avait pour elles que des escabeaux de bois grossiers, et le curé leur passait au doigt un anneau de paille (symbole de la fragilité de leurs amours illicites), et faisait ensuite aux nouveaux époux un sermon dans lequel il les engageait à vivre en paix et amitié, pour réparer la faute qu’ils avaient faite, racheter l’honneur de leurs familles et sauver leurs âmes de la damnation éternelle.
Cet usage dura jusqu’au dix-septième siècle. Des magistrats, des prélats obtinrent en 1627, que l’anneau de paille serait remplacé par un anneau d’argent, et les mariages des fines-mères se continuèrent à l’église Sainte-Marine avec cette modification jusqu’en 1760 ou 1765. Dans les soties et farces représentées par les clercs de la bazoche, les confrères de la Passion ou les Enfants sans souci, comédiens d’alors, il était parlé plusieurs fois, eu termes dérisoires, de l’anneau de paille de Sainte-Marine.
Par une coïncidence singulière et comme pour continuer cette comédie ridicule, un montreur de marionnettes s’était établi au moment de la révolution dans la nef morcelée et défigurée de cette curieuse chapelle.
C’est sous les dalles armoriées de l’une des chapelles du côté droit de Sainte-Marine que fut couché, après, trépas, le célèbre lieutenant civil d’Henri IV, l’éminent édile de 1604 qui édifia une façade de l’hôtel de ville – le parloir aux bourgeois, abandonné par les officiers municipaux, avait été démoli en 1589 ; – vous l’avez nommé, François Myron. Lui, aussi il bouleversa le vieux Paris de Philippe-Auguste pour l’embellir et le rendre prospère. Il jouissait d’une grande popularité ; parce que, tout en étant lieutenant civil et prévôt des marchands ; il était en même temps le type le plus remarquable du bourgeois de Paris dans la plus large acception du mot.
François Myron rendit célèbre dans l’histoire de Paris un nom qu’illustra encore après lui son neveu, prévôt des Marchands sous Louis XIII ; c’est Robert Myron, qui fit paver les ruelles de la bonne ville de Paris. De son temps il n’y avait encore de dallées que les quatre grandes voies aboutissant aux principales entrées de la ville. Ces entrées étaient les portes Saint-Honoré, Saint-Denis, Saint-Antoine et Saint-Jacques. On appelait ces voies la croisée de Paris, parce qu’elles formaient une croix en se rencontrant. Elles avaient été dallées sous Philippe-Auguste en 1184 ; c’est Girard de Poissy, un financier de l’époque, qui contribua volontairement pour 11 000 marcs d’argent à cette dépense qui s’éleva à 22 000 marcs. Ces dalles avaient de 13 à 14 pouces de longueur, 3 pouces d’épaisseur ; on empierra une cinquantaine de rues avoisinantes, et dans les autres ruelles le sol fut battu.
Les nobles et les hauts bourgeois hantèrent les voies dallées ; le commerce habita les rues empierrées et le populaire s’entassa dans les ruelles boueuses et infectes qui occasionnaient régulièrement des épidémies sévissant avec une telle rage qu’il fallait repeupler certains quartiers, notamment sous Louis XI. Et de quelles menues gens se composait ce recrutement municipal ? de mendiants, de truands, de voleurs de province. C’est là, faisons-le remarquer en passant, l’origine du mauvais renom de certains quartiers parisiens, mauvaise réputation qui existe encore aujourd’hui, quoique habités par de tout aussi honnêtes gens que les quartiers aristocratiques, qui ne jouissent de leur belle réputation qu’à cause de l’injuste préférence qu’eurent pour eux les édiles du vieux Paris.
Cette défaveur injuste révolta le bon Myron.
« De par Dieu ! dit-il un jour, les pauvres habitants des rues de l’Orberie, du Marché-Palu, des Calendreurs et des Morteliers sont nos enfants comme les beaux seigneurs de la place Royale et de la rue Saint-Antoine. Dieu leur a donné pour étoffe semblable une même peau. Ores, il ne faut pas que les uns restent plus longtemps étouffés dans la fange de leurs ruelles, tandis que les autres se promènent sur de belles et de bonnes dalles ; cecy seroit déshonorant pour la prévosté. Messieurs de la ville, baillez-moi de l’argent, et j’aviseray. »
On lui bailla 200 900 livres et il fit payer les quartiers populeux déshérités. Le nouveau pavé qu’employa l’entrepreneur Marie était à peu près de la dimension du pavé actuel. Certaines rues ont encore des pavés de cette époque.
Les Parisiens toujours fidèles à leurs habitudes gouailleuses et frondeuses chansonnèrent le prévoyant magistrat :
Robert Myron
Est un oison.
Son seul espoir
Est de nous voir
Sur le pavé.
…
Mais, ce ne fut pas tout ; le vent tournait à la sédition. Ils étaient prêts déjà à faire des barricades avec les pavés, avant même qu’ils ne fussent enchaussés dans le sol. Il fallut que le capitaine des gardes plaçât des archers au coin des rues pour protéger les ouvriers contre les mutins.
Lors des démolitions de la maison portant le n° 13 de la rue d’Areole, élevée sur les fondations de l’église Sainte-Marine, on a trouvé le sarcophage de François Myron. La bière en plomb a la forme d’une ellipse étranglée à l’une de ses extrémités, comme les boîtes mortuaires dans lesquelles sont emprisonnées les momies égyptiennes. L’épitaphe était effacée. Quand on souleva le couvercle du cercueil, on ne trouva qu’un squelette entouré d’une suie noirâtre mélangée de poussière et de plantes aromatiques ayant servi à l’embaumement. Chose singulière, on ne retrouva ni les insignes de sa charge, ni son épée ni son anneau, etc., ni même des traces de ses armoiries : de gueules, au miroir rond (Myron, miroir rond, armes parlantes) d’argent garni et pommelé d’or. La commission des beaux-arts, par la bouche de ses experts, déclara que c’était bien le grand édile parisien, et ses reliques illustres furent descendues dans les caveaux de Notre-Dame.
LA RUE DES MARMOUSETS. Cette rue doit son nom à une maison qui s’appelait dans les anciens titres : Domus Marmosetorum, à cause de sa sculpture représentant des marmousets (enfants en bas âge).
Sous Charles VI, le peuple avait stigmatisé les conseillers de ce roi, renommé par sa faiblesse, du sobriquet dédaigneux de Marmousets.
D’après un acte qui date de 1206 les clercs de matines payaient dix livres à chaque mutation de doyen, au prieur de Saint-Éloi, pour amortissement de quelques maisons sises dans cette rue.
Louis, fils du roi Philippe Ier, avait fait abattre, de son autorité privée, partie d’une maison de cette rue, près de la porte du cloître, qui appartenait au chanoine Duranci. Elle saillait trop à son gré et rendait le passage incommode. Le chapitre de Notre-Dame réclama ses privilèges et ses immunités. Louis reconnut son tort, promit de ne plus faire d’attentat semblable, et consentit à payer un denier d’or d’amende. Afin que cette réparation fût plus éclatante, on choisit le jour où Louis, qui était monté sur le trône, Épousa Adelaïde de Savoie. Il la fit avant de recevoir la bénédiction nuptiale, qui ne lui aurait pas été octroyée sans cela, et consentit à ce qu’il en fût fait mention dans les registres du chapitre.
La maison des Marmousets fut rasée par un arrêté du parlement, pour un crime célèbre dans les annales parisiennes.
À cette maison qui faisait le coin de la rue des Marmousets, et de celle des Deux-Hermites, pendait l’enseigne d’un barbier juif. Son voisin était un pâtissier.
Parmi les pratiques qui entraient chez le barbier, plusieurs n’en sortaient pas. Lorsqu’il avait affaire à des clients d’un embonpoint respectable ou d’un âge encore tendre, au lieu de les raser il faisait jouer une bascule qui les envoyait au fond d’une oubliette où ils étaient tués et livrés encore chauds au pâtissier voisin, son associé, qui vendait des pâtés, d’une délicatesse renommée à sa clientèle anthropophage sans le savoir.
Mais il arriva que le chien d’un client qui ne sortait pas, s’obstina à rester à la porte, attendant son maître. On avait beau le chasser, il revenait toujours et poussait des hurlements lamentables.
La femme du pauvre diable, en cherchant de tous côtés, rencontra le chien, qui ne voulait pas quitter son poste et qui la tirait par sa mante, comme pour la faire entrer chez le barbier. Un horrible soupçon traversa son esprit ; elle alla conter l’affaire au lieutenant criminel qui ordonna des perquisitions chez le barbier. On descendit dans la cave, et là on trouva, sur un monceau d’ossements humains, les débris de la dernière victime à moitié dépecée par le pâtissier.
Un poète de carrefour, Poirier, dit le Boiteux, rappelle cet évènement tragique dans ces vers de complainte :
Puis, rue des Deux-Hermites,
Proche des Marmouzets,
Fut deux âmes maudites
Par leurs affreux effets :
L’un, barbier sanguinaire,
Pâtissier téméraire,
Découverts par un chien,
Faisant manger au monde,
Par cruauté féconde,
De la chair de chrétien.
Le barbier et le pâtissier furent brûlés vifs, chacun dans une cage de fer, et leur maison rasée. L’effigie du chien fut reproduite sur une borne qu’on voyait encore il y a quelques années, comme monument commémoratif de cette tragique aventure.
On n’a pas de preuve positive de cet horrible événement ; mais il est constant que, pendant plus d’un siècle il y a eu dans cette rue une place vide par autorité de justice, et dont le terrain appartenait à Pierre Belut, conseiller au Parlement, qui demanda à François Ier l’autorisation d’y bâtir.
Seulement Poirier, dans sa Chronique rimée, se trompe de date en plaçant le fait en 1260. Il a confondu avec l’histoire du chien d’Aubry de Montargis. Le duel de ce chien avec le chevalier Macaire, assassin de son maître, et dont le nom est devenu si célèbre, eut lieu sous Philippe-Auguste, dans un terrain vague de l’île Saint-Louis.
Les archevêques d’Embrun avaient autrefois un hôtel dans la rue des Marmousets, au coin de celle de la Licorne.
LA RUE DU HAUT-MOULIN. En 1204, elle se nommait rue Neuve-de-Saint-Denis-la-Châtre, à cause de l’église qui était située au coin. Selon les récits légendaires, c’était en cet endroit que Saint-Denis fut emprisonné avec ses compagnons ; ils y souffrirent les plus rudes tourments. On montra longtemps dans un coin du chevet de cette antique église une grosse pierre carrée grandement vénérée des pèlerins. Elle était percée vers le milieu d’un trou circulaire. La tradition raconte qu’elle servit au supplice du patron des Parisiens. Forcé par ses bourreaux à passer sa tête par ce trou, il fut contraint de faire le tour de la cité avec la pierre sur ses épaules et frappé de verges comme le Christ flagellé.
Une partie prit le nom de Saint-Symphorien, à cause de l’église bâtie par Eudes de Sully. Éléonore, comtesse de Vermandois, donna pour l’entretien de ses chanoines de quoi acheter le four banal de la ville de Paris, qui, à cause de sa profondeur, fut surnommé le four d’enfer. L’entrée donnait dans cette rue, qui prit ensuite, dans toute sa longueur, le nom de rue du Haut-Moulin.
LA RUE PERPIGNAN, se nomma d’abord au XIIe siècle Charauri. Ce nom de Charauri vient d’un fait historique digne d’être rappelé. Cette rue fut dépositaire du pennon des rois de France, lequel, en temps de paix, avait coutume d’être renfermé dans l’enceinte de l’île et proche du Palais. Ce palladium blanc, avec une croix rouge au milieu, flottait au bout d’un grand mât surmonté d’une croix dorée. Ce pennon royal était attaché à un grand char attelé de huit bœufs couverts de housses écarlates. Un chapelain disait tous les matins la messe au pied de cet étendard et huit preux d’un renom sans tache, accompagnés de huit trompettes, en cas d’alarme, veillaient à sa garde nuit et jour. En temps de guerre, ce char était conduit au centre du camp royal. C’est de ce dépôt que cette rue tira son nom primitif Charauri : Char d’or. Au quinzième siècle elle prit le nom de Champrose, Champrosay, Champflori, pour deux raisons :
C’était dans cette rue, presque hideuse, étroite et infecte, que se tenaient les marchands de chapels de roses, bouquets, mais verts, et ceux qui fournissaient la moisson odorante de la baillée des roses ; cette reine des fleurs était de toutes les fêtes.
C’était aussi dans un jardin planté de roses que les dames et damoiselles de la cité dansaient de belles caroles à certaines fêtes de l’année. C’est au milieu de ces fleurs que l’on contait fleurettes.
D’où son nom si poétique qu’on est tenté d’y chercher l’adresse de Vénus. L’amour avec son carquois montait la garde à la porte de l’hôtel de Cythère.
Son troisième nom de Perpignan vient du jeu de paume : c’est dans les jardins de rosiers de cette rue que fut établi le premier jeu de ce genre qu’on vit à Paris. Il était très fréquenté surtout par les princes et les nobles ; on poussait la pelote avec le poing (per pugnum), d’où Perpignan par corruption. Au quinzième siècle on avait commencé à se ganter ; puis on prit des cordes roulées et serrées autour de la main, et, plus tard, la raquette, afin de rejeter la balle avec plus de roideur. Alors ce jeu royal devint très populaire à Paris. Sous Henri II, Charles IX et Henri III, le jeu de paume fut très en vogue. Sous Henri IV, cette fureur augmenta, parce qu’il amena avec lui des Béarnais qui étaient de grands joueurs.
Parmi les récits lugubres qui circulaient dans le populaire de Paris au quinzième siècle, il en est un qui eut pour théâtre le jeu de paume de la rue de Perpignan.
Un bâtard d’Armagnac, grand enjôleur de fillettes, querelleur, détrousseur de bourgeois et joueur enragé, fréquentait ce jeu de paume, jurant et trichant, prêt à mettre flamberge au vent à la moindre résistance, portant des défis à tout le monde dans ce carrousel pacifique ; c’était un vrai Robert le Diable de carrefour.
À l’extrémité de l’esplanade où les joueurs luttaient d’adresse, une niche gothique toujours parée de roses abritait la madone du jeu de paume, car, plaisirs comme douleurs, nos bons aïeux mettaient dévotement tout sous la protection d’un saint ou d’une Notre-Dame.
L’impie s’amusait souvent par bravade et forfanterie à lancer des pelotes sur le sein de la Vierge, jurant quand il manquait son but, et riant quand il l’atteignait d’une manière indécente.
Un pareil sacrilège devait avoir son châtiment.
Or, il arriva qu’un jour de défi, en présence d’une grande foule, il était sur le point de gagner la partie, quand soudain toutes les balles qu’il lançait, au lieu de prendre la direction qu’il leur donnait, allèrent, poussées par une force invisible, se loger dans le manteau de la madone.
La foule, sous le coup du pressentiment qu’il va s’accomplir quelque évènement miraculeux, resta frappée d’étonnement. Les cris et les murmures s’arrêtèrent ; elle tomba à genoux et, tournée vers la vierge, pria tout bas pour l’impie, car elle avait deviné que la colère de Dieu s’était tournée vers lui.
Mais lui, seul debout, honteux de se voir le jouet d’une image de pierre, blasphéma davantage, vomit les plus horribles sacrilèges que lui souffla le mauvais ange et prit une balle pour la lancer directement sur la Vierge.
Il vise et lève le bras en criant : « au cœur. »
Mais à peine a-t-il levé la main qu’il tombe foudroyé.
La foule, folle de terreur, se précipite dans la rue, fuyant ce damné et craignant d’être témoin d’autres malheurs plus terribles.
La nuit suivante, le corps du bâtard, couvert de fientes et ordures, fut traîne sur une claie, par ordre de l’évêque, jusqu’au port Saint-Landry et jeté dans la Seine, qui se chargea de conduire au diable le cadavre du maudit.
Les rues Haute, Basse et du Milieu des Ursins tirent leurs noms de Jean Juvénal des Ursins, qui cumula, en 1389, les doubles fonctions de prévôt de Paris et des marchands, après la révolte des Maillotins. Son hôtel, situé dans ces rues, avait une entrée sur chacune d’elles ; il fut démoli au milieu du quinzième siècle. Jean Juvénal prit le nom des Ursins, de l’hôtel qui lui fut donné par la ville en récompense de ses nombreux et loyaux services. Cet homme de bien, qui mit les affaires de Paris en très bonne police et prospérité pendant sa prévôté, échappa en 1393, à un complot ourdi sournoisement contre lui.
Sur les plaintes des mariniers parisiens, il rétablit le libre parcours de la Seine et de la Marne obstruées par la grande quantité de moulins échelonnés sur les deux rives. Il s’y prit si bien qu’en une seule nuit toutes les digues furent détruites, il indemnisa les propriétaires en leur donnant le prix du produit pendant dix années. Ce bienfait public éveilla contre lui la malveillance des riverains, et le duc de Bourgogne, qui voulait priver le roi de ce sage ami, résolut d’en profiter pour le perdre. Il soudoya trente faux témoins qui déclarèrent l’avoir entendu, à diverses reprises, proférer des cris séditieux contre le roi.
Or, il advint que deux commissaires du Châtelet qui avaient rédigé les pièces fausses allèrent, de compagnie, boire, caqueter et prendre leurs aises en la taverne de l’Échiquier, rue de la Licorne, et les parchemins sur lesquels étaient griffonnés les preuves du prétendu crime posés sur le bord de la table, roulèrent à terre. Un chien croyant saisir un os se jeta avidement dessus pour les ronger et les traîna jusque dans la ruelle du lit. La ménagère du tavernier, en se couchant, trouva le rouleau et le remit à son mari qui ne put lire dans ce grimoire ; mais voyant le cachet du procureur du Châtelet, il s’effraya grandement, croyant que mauvaises gens le voulaient chicaner. Inquiet, il se leva vitement, courut à l’hôtel de ville, le concierge éveilla, et son affaire lui conta. Les pièces furent remises au prévôt lui-même qui fut moult joyeux de tenir les preuves des méchancetés criminellement et secrètement manigancées contre lui.
Le lendemain, au lever du soleil, un huissier d’armes vint l’ajourner à comparaître en présence du roi Charles VI et son conseil séant en sa grosse tour de Vincennes.
Le bruit de cet exploit faillit soulever une émeute dans la cité. Quatre cents des plus notables et bons bourgeois s’assemblèrent et lui firent cortège, prêts à sa défense en cas de méchef. Jean Juvénal se défendit honorablement et en beau langage ; il confondit les traîtres, et le Roi déclara, par sentence, que le prévôt des marchands était prud’homme et ceux qui avaient témoigné contre lui méchantes gens, et il termina en disant : « Allez en paix mon ami, et vous tous, bons bourgeois, aussi. »
Aux fêtes de Pâques suivantes, les accusateurs eurent repentance, et, pour obtenir l’absolution, furent obligés de faire amende honorable en une expiation publique. Ils vinrent donc, le Vendredi-Saint, de grand matin, tête baissée, nus, couverts seulement d’un long drap blanc, à l’huis de l’hôtel des Ursins.
Jean Juvénal les voyant en si piteux équipage leur demanda leurs noms, et, comme la honte enchaînait leur langue, il les nomma l’un après l’autre à haute voix et leur octroya bien doucement le pardon en versant sur eux des larmes d’attendrissement.
Au milieu des scènes tumultueuses des factions Armagnacs et Cabochiens qui bouleversaient la France et préparaient déjà sa décomposition, il resta ferme et inébranlable dans son amour pour son bon Roi, comme un roc au milieu de la tempête. Après quarante ans de bons et loyaux services, il trépassa le 1er avril 1431 et fut couché dans sa chapelle de Notre-Dame de Paris où on le vit longtemps représenté à genoux, les mains jointes, priant Dieu avec sa femme et ses enfants.