Chapter 4

657 Words
III Conseils d’une mère Philinne, sa mère. LA MÈRE Es-tu folle, Philinne ? Qu’avais-tu donc hier pendant le souper ? Diphile est venu me trouver ce matin tout en pleurs, il m’a raconté tout ce qu’il a eu à souffrir de toi. Tu t’es enivrée, tu t’es levée au milieu du festin pour danser, malgré sa défense, ensuite tu as été caresser Lamprias, son ami ; et comme Diphile en paraissait mécontent, tu l’as quitté et tu es allée t’asseoir à côté de Lamprias que tu as embrassé, et ton amant était en rage de tout cela. Cette nuit même encore, je le sais, tu n’as pas voulu coucher avec lui ; et, sans égard pour ses pleurs, tu as mieux aimé aller reposer seule sur un lit de camp voisin du sien, et tu t’es mise à chanter pour lui faire de la peine. PHILINNE Il ne t’a pas dit, ma mère, tout ce qu’il m’a fait, lui ; autrement tu ne prendrais pas le parti de cet insolent. Il m’a laissée pour aller causer avec Thaïs, la maîtresse de Lamprias, lequel n’était pas encore arrivé ; et comme il voyait que cela me faisait de la peine et que je le lui faisais comprendre d’un signe, il a pris Thaïs par le bout de l’oreille, et, lui faisant pencher la tête en arrière, il s’est mis à la b****r avec tant d’emportement qu’elle a eu de la peine à dégager ses lèvres. Je pleurais, il s’est mis à rire, à parler tout bas à l’oreille de Thaïs, et sans doute contre moi, car Thaïs souriait de temps en temps en me regardant. Enfin, quand ils furent fatigués à force de se b****r, et comme Lamprias entrait, j’allai me coucher à côté de Diphile, pour qu’il n’eût, dans la suite, aucune excuse. Alors Thaïs se leva et, la première, se mit à danser. Elle avait soin de se retrousser et de montrer ses jambes toutes nues le plus qu’elle pouvait, comme si elle était la seule à les avoir belles. Quand elle eut fini, Lamprias garda le silence ; mais Diphile prodigua les plus grands éloges à Thaïs, vanta ses grâces, sa légèreté, la précision et la justesse de ses pas qui s’accordaient toujours aux sons de la cithare, se récria sur la beauté de sa jambe, et mille autres choses. On eût dit, en vérité, qu’il admirait la Sosandrede Calamis, et non pas une Thaïs. Tu la connais, ma mère, elle a plus d’une fois pris le bain avec nous. Mais ne voilà-t-il pas qu’elle prend de là occasion de me railler ? « Si certaine personne, dit-elle, ne craignait pas de nous montrer une jambe sèche, elle se lèverait et danserait à son tour. » Je me levai aussitôt et je dansai. Je ne pouvais faire autrement. Fallait-il souffrir et accréditer sa raillerie ? Fallait-il laisser Thaïs régner en souveraine dans le festin ? LA MÈRE Tu es trop vaniteuse, ma fille. Il ne fallait pas faire attention à cette plaisanterie. Mais, ensuite, comment les choses se sont-elles passées ? PHILINNE Tous les convives m’ont comblée d’éloges ; Diphile seul, couché sur le dos, regardait au plafond tandis que je dansais, jusqu’au moment où la fatigue m’a obligée de m’arrêter. LA MÈRE Mais est-il vrai que tu as donné des baisers à Lamprias, que tu as quitté ton lit pour aller l’embrasser ?… Que veut dire ce silence ? Voilà qui est impardonnable. PHILINNE Mais, ma mère, je voulais rendre à Diphile tout le chagrin qu’il m’avait causé. LA MÈRE Et c’est pour cela que tu n’as pas voulu coucher avec lui ? et tu as chanté toute la nuit, tandis qu’il versait des pleurs et se désolait ? Ah ! ma fille, ma fille ! tu ne songes donc pas que nous sommes pauvres ; tu ne te souviens donc plus de tous les présents que nous avons reçus de Diphile ? Quel hiver nous eussions passé l’année dernière si Aphrodite ne nous eût envoyé ce jeune homme libéral ! PHILINNE Eh quoi ! faut-il pour cela que je supporte ses outrages ? LA MÈRE Témoigne-lui de la colère, mais non pas du mépris. Tu ne sais pas, sans doute, que l’amour méprisé s’éteint bientôt et se venge sur lui-même. Tu es trop susceptible avec cet homme. Prends garde, comme dit un proverbe, de rompre la corde à force de la tendre.
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