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L'Oeuvre amoureuse de Lucien de Samosate

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Extrait : "GLYCÈRE - Connais-tu, Thaïs, ce soldat acharnien, qui entretenait autrefois Àbrotonon, et qui fut ensuite mon amant ; cet homme, toujours habillé de pourpre, et vêtu d'une chlamyde? Te le rappelles-tu, ou bien en as-tu perdu le souvenir ?"

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

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Chapter 1
Introduction « En toutes les chambrées de la philosophie ancienne, ceci se trouvera qu’un même ouvrier y publie des règles de tempérance et publie ensemble des écrits d’amour et de débauche. » Ces paroles de Montaigne semblent écrites pour Lucien de Samosate, auquel elles s’appliquent à merveille. Ce doux sceptique, cet ironiste sans fiel est, parmi les écrivains grecs, un de ceux qui ont le plus brillamment opéré cette fusion, particulière au génie hellène, de la philosophie et de l’érotisme. Gardons-nous cependant de juger avec notre raison, avec notre sensibilité de chrétiens, la civilisation ancienne. Nous ne pouvons la comprendre qu’en éliminant complètement les idées admises, les conventions établies en matière de pudeur. Les anciens s’exprimaient en toute liberté sur les sujets que, après les avoir qualifiés d’érotiques – comme pour rendre hommage au petit dieu malin – nous rejetons comme indécents. La Grèce eut des chroniques précises du b****r charnel, des livres traitant des qualités aphrodisiaques, des recueils d’attitudes amoureuses. Sur la scène, à Athènes, les personnages d’Aristophane se livraient aux manifestations les plus tendrement conjugales ; les femmes pouvaient déclarer qu’elles préféreraient passer par le feu plutôt que de se priver « de ce qu’il y a de plus doux au monde », plutôt que de s’endormir sans une mentule à leur côté. Elles pouvaient confesser leur bonne volonté passionnelle, leur ardeur dans le combat d’amour. Elles épilaient soigneusement leur s**e à la flamme d’une lampe ou au rasoir, et le disaient tout haut. Elles fréquentaient et recherchaient des magiciennes de Thessalie, capables de leur conserver ou de leur ramener des amants vigoureux, inlassables. Au reste, l’art grec, fidèle miroir de la société, n’a pas eu plus de scrupules que la littérature. Vers 1830, on a découvert dans l’île d’Égine un petit édifice souterrain de forme ronde, sur les murailles duquel étaient dessinés au pinceau des groupes d’hommes et de femmes extrêmement lascifs. Ces peintures furent malheureusement, par ordre des magistrats, couvertes d’une couche de plâtre avant qu’on en pût prendre un dessin. Ces sujets érotiques, on les retrouvait dans le cabinet de l’Aphrodision, réduit consacré uniquement au culte de Vénus et toujours orné d’images obscènes. Les peintres Polygnote et Parrhasius sont cités par Pausanias et Pline comme ayant excellé dans ce genre de composition. Zeuxis, Philoxène, Apelle même s’amusèrent à des gravures priapesques. Suétone conte que Tibère reçut en legs un tableau de Parrhasius « où Atalante prostituait sa bouche à Méléagre », et le fit placer dans sa chambre à coucher. Sur les vases peints, désignés sous le nom de vases étrusques, on voit souvent des compositions très libres dans un dessin du style le plus élevé et le plus pur, exécutées de façon extrêmement élégante et soignée. Le b****r charnel, avec toutes ses lubricités, était d’ailleurs purifié par le culte ; car les Grecs, loin d’attacher une idée libertine à la représentation de l’organe de la génération, lui donnaient une haute signification symbolique. Priape est adoré comme le « sauveur du Monde », et les femmes apportent à son autel, sans rougir, des phallus en plâtre ou en bois, pour marquer leur reconnaissance émue des jouissances qu’elles doivent au dieu superbement membré. Elles portent d’ailleurs aux oreilles et au cou, sous forme d’amulettes, des colliers faits de têtes de phallus. Sans doute, à l’époque où Lucien de Samosate écrit ses dissertations, au IIe siècle après Jésus-Christ, le sentiment religieux a perdu de son intensité, de sa pureté surtout, de sa sincérité. Lucien lui-même raille la mythologie grecque ; et c’est peut-être à cette satire que nous devons la conservation de ses œuvres, les Pères chrétiens, gardiens sévères de la pudeur, ayant jugé à propos de préserver de la destruction des œuvres battant en brèche par l’arme terrible du rire les fables païennes. Mais il n’importe : le satiriste n’en a pas moins conté, avec une simplicité qui ressemble à de la foi, les légendes phalliques des temples de Syrie. Et pour ce qui est des mœurs amoureuses du peuple grec, elles sont décrites par Lucien avec une verve et un pittoresque hauts en couleur. Ainsi les Dialogues des Courtisanes sont considérés à juste titre comme le tableau définitif, éternel, de la vie des filles t********t de leur beauté, de leurs baisers. Leurs intrigues, leurs manèges sont classiques : les courtisanes d’aucun temps, d’aucun pays ne les pourraient renier. Toujours Myrtale chassant Dorion, l’amant de la veillé, lui reprochera sa ladrerie. Toujours Soesse, trompant son amant Lysias, aura les meilleures raisons pour le convaincre de son innocence. Et quelle est la fille folle de son corps qui n’ait, à un moment de sa vie, son petit Chéréas préféré (nous disons aujourd’hui son amant de cœur), comme Mousarion ? Quelle est celle qui n’a jamais eu recours à la magie des sorcières de Thessalie… ou aux tireuses de cartes, comme le fait Mélitte, pour ramener à elle un amoureux qui la fuit ? Reconnaissez-vous bien encore la morale éternelle du « lâchage » dans ce monde ondoyant ? La petite Glycère vient d’être abandonnée de son beau soldat d’Acharnie : elle l’avait elle-même enlevé à Abrotonon, Gorgone le lui a soufflé. Ce sont là, n’est-ce pas, choses communes chez les hétaïres. À quoi bon s’inquiéter ? la délaissée saura bien dénicher quelque autre pigeon aux plumes dorées. Ce qu’il y a d’admirable en ces tableautins, ce sont les mères des courtisanes : elles ont un relief saisissant. La mère de Philinna, la mère de Mousarion, et aussi Crobyle, la mère de Corinne, jouent leur rôle avec une impudeur superbement naïve. Elles dirigent les pas de leurs filles dans la voie du vice rémunérateur, avec maîtrise et autorité. Elles savent donner à point le sage conseil, émettre l’apophtegme précieux, – « la corde trop tendue peut rompre » – mettre en garde une jeunesse irréfléchie contre les emballements ruineux du cœur, faire vibrer au besoin la corde filiale… Mme Cardinal, notre type national, a mis dans ses fonctions plus de dignité superficielle sans doute, mais au fond elle a peu inventé. Elle avait dû lire Lucien. Pour les vices hors nature, dont nous trouvons l’indication en ces pages exquises, ils n’ont point cessé d’être de mode. Chez les courtisanes, le lesbianisme est comme une revanche des servitudes masculines souvent répugnantes ; il est comme le prolongement fatal d’intimités étroites de la chair. Quant à l’amour socratique, aujourd’hui dénommé homosexualité, le dixième dialogue de Lucien en fait le privilège des philosophes, mais sans établir en leur faveur un monopole. Il fut en Grèce d’usage courant, familier, oserons-nous dire, peut-être à cause de la beauté saisissante du type masculin. Et s’il nous est permis de manifester, au gré de notre tempérament propre, quelque dégoût ou quelque mépris pour ces pratiques, nous n’avons pas le droit de les considérer comme inexistantes. La discussion établie par Lucien sur ce sujet dans les Amours est une des plus curieuses, des plus complètes. Le lecteur saura la dégager de son appareil sophistique et trop souvent métaphorique pour y voir, selon qu’il lui plaira, une condamnation ou une apologie du vice homosexuel. À moins qu’il ne préfère – et peut-être sera-t-il plus près de la vérité – y découvrir un reflet du pyrrhonisme reposant de Lucien, de cette douce indifférence qui ne saurait attribuer qu’une importance relative à un acte quelconque de l’humanité médiocre. Les divinités d’ailleurs n’en valent guère mieux. L’Olympe n’est plus, au temps de Lucien, qu’une région élevée où les privilèges servent seulement à accuser, à mettre en relief les licences audacieuses. Le puissant Jupiter se transforme en aigle pour enlever le berger Ganymède et satisfaire sur lui ses passions pédérastiques, au grand désespoir jaloux de Junon. Vénus et Mars se laissent surprendre en pleine action adultérine par Vulcain, le forgeron boiteux. Junon, Minerve et Vénus, vêtues seulement de leur admirable et voluptueuse nudité, font une cour vraiment effrontée au berger Pâris, pour obtenir le prix de la beauté, la pomme chèrement disputée. Et tout cela est écrit sur le même ton ironiste, sans jamais une parole plus haute que l’autre, sans intention d’injure ou de blasphème. L’observation y est juste, mais sans pédantisme ; la gaieté y est malicieuse, jamais méchante ; les saillies y sont fines, jamais vraiment grossières. Seul même Lucien pouvait traiter, sans tomber dans l’obscénité, un sujet aussi délicat que la gymnastique d’amour entre Lucius et l’accorte suivante Palestre, ou encore effleurer le récit des amours anormales d’une grande dame avec un âne. « Ce sont évidemment des tableaux de pure imagination, a dit Paul-Louis Courier, mais où néanmoins chaque trait est d’après nature. » Voilà précisément le grand charme de ces pages, qui deviennent en même temps, ainsi considérées, des documents de prix inestimable. Voilà enfin pourquoi nous nous sommes déterminé à les présenter au public sous cette forme et dans toute leur saveur originale. B. de V. Dialogue des courtisanes

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