II
Enceinte
Myrtion, Pamphile, Doris.
MYRTION
Tu te maries donc, Pamphile, avec la fille de Philon, le patron de vaisseau ? On dit même que tu l’as déjà épousée. Tant de serments que tu m’as faits, tant de larmes que tu as versées pour moi, tout cela s’est évanoui en un instant. Tu oublies à présent ta Myrtion ; et cela Pamphile, lorsque je suis à mon huitième mois de grossesse. C’est donc tout ce que m’a valu ton amour, d’avoir un si gros ventre. Bientôt il me faudra nourrir un enfant ; quelle charge pour une courtisane ! car ne crois pas que j’expose celui dont j’accoucherai, surtout si c’est un garçon ; je l’élèverai, je le nommerai Pamphile, il sera la consolation de ma tendresse ; et, quelque jour, il te reprochera, en t’abordant, d’avoir été infidèle à sa malheureuse mère. La fille que tu épouses n’est cependant pas si belle ; je la vis dernièrement aux Thesmophories avec sa mère, et je ne savais pas que bientôt elle serait la cause que je ne verrais plus Pamphile. Mais, de grâce, regarde-la bien auparavant, examine sa figure et ses yeux, et prends garde de te repentir un jour d’avoir pris une femme dont les yeux verts louchent en se regardant l’un l’autre. Ou, plutôt, tu as vu Philon, le père de cette belle prétendue, tu connais sa figure ; regarde-le bien, tu n’auras pas besoin de voir sa fille.
PAMPHILE
Entendrai-je longtemps tes discours insensés, Myrtion ? Que veux-tu dire avec ces filles de pilote et ces mariages marins ? Sais-je, moi, si cette prétendue est belle ou camuse ? ou si Philon d’Alopèce (car c’est de lui, sans doute, que tu veux parler) a une fille en âge d’être mariée ? Mais, d’ailleurs, il n’est point du tout l’ami de mon père ; je me souviens que, dernièrement, ils ont eu un procès ensemble pour quelque affaire de marine. Il devait, je crois, un talent à mon père, et ne voulait pas le lui payer : mon père le cita au tribunal de la marine ; Philon eut bien de la peine à s’acquitter, et encore ne l’a-t-il pas fait entièrement à ce que j’ai su. Si j’avais un si grand envie de me marier, épouserais-je la fille de Philon, après avoir refusé celle de Déméas, qui est ma cousine du côté de ma mère, et dont le père commandait notre armée l’année dernière ? Mais d’où as-tu appris cette nouvelle ? n’est-ce pas toi-même, Myrtion, qui a forgé ces chimériques inventions contre lesquelles se débat ta jalousie ?
MYRTION
Quoi ! tu ne te maries pas, Pamphile ?
PAMPHILE
Tu es folle, Myrtion, ou tu es ivre ; cependant nous ne nous somme pas grisés hier.
MYRTION
C’est Doris qui m’a causé ce chagrin. Je l’avais envoyée m’acheter quelques étoffes de laine pour mon ventre et faire en même temps des vœux pour moi dans le temple de Lucine : à son retour, elle m’a dit qu’elle avait rencontré Lesbie… Mais dis-lui plutôt toi-même, Doris, ce que Lesbie t’a raconté : à moins que tu n’aies inventé cette histoire.
DORIS
Que je sois écrasée, ma maîtresse, si je vous ai menti d’un seul mot ! J’arrivais au Prytanée, lorsque Lesbie m’aborda en souriant et me dit : « Eh bien ! Pamphile, votre amant, se marie donc avec la fille de Philon ? » Elle ajouta que si j’en doutais, je n’avais qu’à regarder en passant dans votre ruelle, que je verrais les couronnes de guirlandes, les joueuses de flûte, tous les apprêts tumultueux d’une noce, et même des personnes chantant l’hyménée.
PAMPHILE
Eh bien ! as-tu regardé, Doris ?
DORIS
Certainement, et j’ai vu tout ce qu’elle me disait.
PAMPHILE
Ah ! je comprends maintenant ce qui a causé votre erreur. Lesbie ne t’a pas absolument trompée, Doris, et ce que tu as rapporté à Myrtion est vrai ; mais vous avez pris l’alarme mal à propos, car il n’y a pas de noce chez nous. Je me rappelle que ma mère me dit hier au soir, lorsque je vous eus quittées : « Pamphile, ton camarade Charmide, le fils d’Aristénète, notre voisin, se marie déjà. Voilà qu’il se range ; et toi, quand cesseras-tu de vivre avec une courtisane ? » Je fis semblant de ne pas l’entendre et j’allai me coucher. Ce matin, je suis accouru ici dès la pointe du jour ; voilà, sans doute, pourquoi je n’ai rien aperçu des apprêts que Doris a vus. Mais si tu en doutes, retournes-y, Doris ; examine avec attention, non pas la ruelle, mais la porte même, et vois laquelle est couronnée de guirlandes, tu trouveras que c’est celle de nos voisins.
MYRTION
Ah ! tu me rends la vie, cher Pamphile ; car je serais morte de désespoir si un pareil malheur m’était arrivé.
PAMPHILE
Il ne saurait arriver : je ne suis pas assez insensé pour oublier Myrtion, surtout lorsqu’elle porte dans son ventre le fruit de nos amours.