Récit à un amiCanzone
Puisque vous êtes curieuxEt voulez savoir qui sontCes deux femmes que j’ai menéesL’autre soir à l’osteria,Je vous le dirai : mais à la conditionQue la chose restera entre nous,Parce que tout ce que j’ai fait,Je ne le dis à nul qu’à vous.L’une était la Tonina,L’autre était sa belle-sœur :Toutes deux la tirelireMise en pièce et fracassée.Mais autrement, de figureEt d’aspect fort agréables ;Elles ont reçu en don de la NatureUne grâce noble et séduisante.L’une est blonde comme l’or ;Châtaine est la Tonina,Et son œil est si noirQu’à le voir il vous assassine.Toutes deux ont le front large,Toutes deux la peau blanche,Toutes deux la démarche majestueuse,Toutes deux la porte franche ;Non pas qu’avec un osellaOn s’en tire, ou avec un ducat ;Qui veut s’ouvrir leur guichet,Deux sequins, c’est le prix fait,Il faut de plus débourserLa prébende à Siora Mère,Et donner encore quelque choseÀ l’illustrissime Signor Père.De même à la soubrette,On lui donne deux pittonsPour écarter la portièreEt introduire chez ses Patronnes.La règle inflexible est établie,Si vous allez là le matin,De commander le chocolatPour la blonde et la Tonina.Après le dîner ou le soir,La Rosalia et les sorbets :Et une sorbetière n’y suffit pas,Non plus que six soucoupes !Il faut quatre, cinq ou six cafés,Pour les gens de la maison,Et peut-être bien plein un cabaretDe pandoli, pour qu’ils se taisent.Quand vous aurez pourvu à cela,Et c’est chose nécessaire,Toutes gentilles, toutes joyeuses,Elles vous invitent à changer d’air,Et un tantinet se promenantUn tantinet se mettant à courir,Elles vous mènent en folâtrantQuelque part, au fond de la cour ;Là est un petit casinoSolitaire, mais spacieux,Qui semble fait dans le seul butD’ébats luxurieux.Une senteur embauméeDès l’entrée vous console,Mêlées au citron et à l’orange,Vous sentez la rose et la violette.De peintures assez lascivesTout le mur est tapissé ;Ici, vous voyez deux beaux tétons,Et là un flanc bien tourné ;Ici est Thaïs, et là PhrynéSans corset ni camisole ;Ici Poppée, là Messaline,Qui bellement se font baiser.Ici est Vénus, qui, couchée,Fait des mamours au cher Adonis ;Et là Diane qui présenteSa fente à son Endymion.À regarder tout cet étalage,Qui est peint au naturel,Figurez-vous si la bosseDu machin se dessine !Socrate n’y résisterait pas,Je vous l’atteste sur ma foi,Et le bonhomme XénocrateSe laisserait choir aussi,D’autant plus que ces deux follesVous agacent et vous prientDe leur peloter les fesses,Et de leur tâter la boutique.Voyez-vous comment pourrait,À ces cajoleries, un pauvre diableFaire que les humeurs n’affluentEt que le cas reste tête basse ?Pour moi, je puis vous assurerQue je l’avais si dur(Dieu vous garde qu’il vous enfile !)Qu’il paraissait tout comme un clou.Je ne pouvais plus rester tranquille,Tout mon sang était en mouvement ;Je sentais certaine chaleurQui me faisait débourrer dessous.De la rage que j’éprouvais,Je me suis jeté sur un sofa,Et, je vous le jure, je pensaisMourir là coïonné,Quand s’aperçurent les petites fourbesQue je ne pouvais plus me retenir,Elles ont exhibé leurs tétonsEt se sont flanquées sur moi,Et me déboutonnant la braguette,En me lançant une œillade,Il me semblait qu’elles disaient :« Qui de nous deux va être baisée ? »Holà, oui, à faire le choixJe fus, par Dieu, embarrassé,Car si je prenais la plus svelte,La Tonina restait de côté.Et si je prenais la Tonina,Qui est Vénus toute crachée,Je ne jouissais pas de la blondine,Une si aimable créature.Je me souvins de cet amiQui empêché entre une mère et sa filleSe tira d’embarrasPar une belle galanterie,Et au fond du cœur résoluÀ satisfaire l’une et l’autre,Délibéra foutre la filleEt bulgariser la mère.Mais cet exemple plaisantNe m’a en rien servi de règle ;Car je n’ai jamais eu l’envieDe savoir ce que c’est que la poix.« Que ferais-je donc ? »Murmurais-je à part moi ;« À quoi me résoudrais-je ?Ô mon cher cas, choisis-toi !Toutes deux ont leur mérite,Toutes deux me conviennent,Ô digne cas et bien méritant,Prends celle que tu veux !Comme un nouveau Pâris,Fais mieux que l’autre avec sa pomme,Car faire un choix avec l’Oiseau,Ça me semble un vrai choix d’homme. »Je n’avais pas encore parlé,Qu’obéissant à l’instant même,Il embrocha la Tonina,Aussi rapide que le vent.Ce que ensemble nous avons fait,Je ne puis vous le raconter ;Il suffit de vous dire que ce folA été près de se noyer.Si je ne lui prêtais assistance,Il était si fort enragé,Qu’il se serait noyé plutôtQue de revenir en arrière.Avez-vous jamais vu un chien à taureauQui dans ses crocs a pris l’oreille ?Appelez Argante, appelez Moro,Il ne s’ôte plus de là.Cela fait juste votre compte,Car mon vit agissait de même :Il s’était si bien blottiQue je ne pouvais plus le trouver.Voyant le péril qu’il courait,Comme il restait là, obstiné,Je l’ai empoigné par un testicule,Et de force l’ai retiré.Tonina, la préférée,Resta sur le sofa,Tout comme une violetteDétachée de sa tige.Le visage languissant,Soupirant, la bouche entrouverte,Elle prit un mouchoirEt s’en essuya la clochette.Moi aussi, tout triomphant,D’un g***d qui se trouvait là,À mon vit encore fumantJ’essuyai le heaume et la visière.La blondine est venue ensuitePlaisanter sur l’évènement,Et, se gaussant de la Tonina,Elle se coucha près de moi.Ainsi toute la journée,Nous passâmes dans l’allégresse,Et quand la nuit fut avancée,Je les menai à l’osteria.Je ne vous conte pas le menu,Point par point et en détailCe qui après est survenu ;Je le ferai une autre fois.Pour l’instant contentez-vousDe ce peu que je vous écris ;Conduisez-vous en honnête hommeEt ne dites pas ce que je vous ai dit.Car il est certaines gensSi capricieux et si fantasquesQue si l’on parle de cas et de moniches,Ils vous tiennent pour hérétique ;Et quand même on en parleraitEntre personnes mariées,Vous verriez certaines MarphisesEn rester scandalisées.Celles-là sont justement faitesComme tant d’autres bonnes âmesPour qui leur peloter les fessesN’est qu’une affaire de rien du tout ;Mais dire « un cas » en discourant,Serait-ce même pour plaisanter,C’est un crime si horrible,Que cela les fait frissonner.Patience ! Que les femmesAient cette affectation,Qu’elles veuillent feindre d’être des saintes,Le rosaire pendu au côté ;Mais qu’il y ait aussi des hommesPossédés de ce vice maudit,Ne tenant point pour galant hommeQuiconque parle net et franc !Et si par hasard avec ces melonsVous laissez seulement une chatte,Il n’y a plus de chaste Joseph,La bougrerie est consommée.Pour cette raison chez moi,Je ne veux point de papelards,Et je m’écarte à plus de six millesDe ces Saints Dupe-Coïons.Réglez-vous donc là-dessus,Mon cher et ami béni,Et je vous en prie, ne soyez causeQue je perde ma bonne réputation.C’est que le monde est tout pleinDe ces gens, dignes des galères,Qui ne font pas une once de bienEt veulent être des saints sur terre.Donc, de tout ce que je vous ai ditNe parlez à qui que ce soit,Mais, plutôt, ces miennes pagesDéchirez-les aux quatre vents.