DEUXIÈME ÉPISODE
Amara regardait fixement Mme Delacroix, hésitante. Cette dernière lui lança un dernier regard dur avant de s’élancer vers l’escalier. Les escarpins de la dame frappaient le sol avec une résonance inquiétante, chaque pas semblant faire écho à un secret longtemps enfoui dans les murs de la maison. Chaque bruit, chaque mouvement semblait plus lourd que le précédent, comme si la maison elle-même était consciente de ce qui se tramait à l’intérieur.
Amara resta immobile quelques instants, son cœur battant la chamade, l'adrénaline montant dans ses veines. Ce cri l’avait ébranlée. Ce n’était pas un cri comme les autres. Il avait quelque chose de primitif, de sauvage. C’était un cri de terreur, un cri que l’on n’oublie jamais, un cri qui résonnait encore dans ses oreilles comme une cloche métallique. Comment Mme Delacroix pouvait-elle prétendre que ce n’était rien de plus qu’un accident ? Amara n’arrivait pas à l'accepter. Il y avait quelque chose de bien plus sombre qui se cachait dans cette maison.
Elle fit quelques pas nerveux dans le salon, ses yeux scrutant les ombres dansantes sur les murs, projetées par les faibles lueurs des bougies vacillantes. Les rideaux bougeaient doucement, comme si un vent froid soufflait dans la pièce, bien que toutes les fenêtres fussent fermées. Un frisson parcourut son échine. La température semblait avoir chuté d’un coup. Elle se sentait prise au piège, comme si la maison elle-même se refermait autour d’elle. L’air était lourd, oppressant, presque palpable.
Un bruit sourd se fit entendre, suivi de voix étouffées venant de l’étage. C’était une sorte de grondement, suivi de murmures indistincts.
Qu’est-ce qu’elle fait là-haut ? pensa Amara, une boule d’angoisse se formant dans son estomac. L’incertitude, la peur, l’adrénaline se mêlaient dans une danse frénétique à l’intérieur de son corps. Elle ne pouvait plus rester là, à écouter sans rien faire. Elle devait savoir ce qui se passait. Elle devait savoir si ce cri, ce bruit, signifiait quelque chose de plus sinistre.
Elle s’approcha de l’escalier, posant une main tremblante sur la rampe. Le bois était vieux, usé, lisse au toucher, mais il semblait émettre un léger grincement, comme un avertissement. Chaque pas qu’elle faisait semblait plus lourd que le précédent, chaque mouvement plus difficile à accomplir. Son cœur battait plus vite. Elle monta une marche, puis une autre, son court souffle. Le silence autour d’elle était assourdissant. La maison semblait retenir son souffle, comme si elle attendait quelque chose, comme si elle savait déjà ce qui allait se passer.
Arrivée au palier, Amara aperçut une faible lumière vacillante provenant de la chambre de Mme Delacroix. La porte était à demi ouverte, laissant entrevoir une lueur fragile qui dansait dans l’obscurité. Elle s’approcha, son esprit en proie à mille interrogations.
Pourquoi cette lumière ? Pourquoi cette porte entrouverte ? Le doute, la peur, se mêlaient dans son esprit, se transformant en une nébuleuse d'incertitude. Elle s'approcha encore, essayant de ne faire aucun bruit, aussi silencieuse qu’une ombre. Mais le sol en bois craquait légèrement sous ses pas. Un bruit faible, presque imperceptible, mais qui semblait résonner dans l’air lourd.
Elle s’arrêta un instant, écoutant les murmures. Ils étaient à peine audibles, mais chaque mot perça l’air comme un coup de poignard. C’était une voix grave, autoritaire, qu’Amara ne reconnaissait pas.
— "On ne peut pas laisser cela comme ça," dit la voix, presque un grognement, mais rempli d’une détermination glaciale. L’intensité de ces mots la frappa de plein fouet, comme si quelque chose d’énorme se préparait derrière cette porte.
— "Ce n’est rien. Il suffit de nettoyer et de faire disparaître les preuves," répondit Mme Delacroix. Sa voix, normalement calme et posée, était désormais tranchante, acerbe, comme si elle s’efforçait de dissimuler une terreur qu’elle ne voulait pas montrer.
Amara sentit son cœur manquer un battement. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Des preuves ? De quoi parlaient-elles ? Elle voulait se retirer, fuir, mais ses pieds étaient comme cloués au sol, incapables de bouger. L’angoisse la saisit, l’empêchant de réfléchir clairement. Ses yeux scrutaient la pièce, cherchant des indices, cherchant des réponses à ses questions.
Elle s’avança encore un peu et aperçut Mme Delacroix, debout près du lit. Ses mains étaient fermement posées sur la tête du lit, comme si elle s'efforçait de ne pas se laisser emporter par l’angoisse. Face à elle, une silhouette masculine, grande et imposante, se tenait droit, comme un spectre de l’ombre. Son visage était obscurci, mais sa posture dégageait une autorité naturelle. Amara se figea. Une traînée sombre, noire et visqueuse, s’étendait sur le sol, serpentant jusqu’à l’endroit où la silhouette se tenait. La tache s’arrondissait autour du lit, se dirigeant vers les pieds du meuble, là où se trouvait l’obscurité la plus profonde.
Un bruit sec fit sursauter Amara. Son pied avait heurté un vase posé contre le mur. Le son, bien qu’étouffé, semblait déchirer le silence comme un coup de tonnerre. Les voix s’arrêtèrent net. La tension monta d’un cran, et Amara sentit la chaleur s’échapper de son corps, laissant place à une froideur glaciale qui lui glaçait les os.
— "Qui est là ?", aboya l’homme d’une voix autoritaire, froide et menaçante. La menace était évidente, palpable. Son ton était celui d’un homme qui ne tolérerait aucune forme d’opposition.
Le souffle d’Amara se coupa. Elle n’eut même pas le temps de réfléchir. Son instinct de survie entra en action. Elle se précipita dans une pièce voisine, se faufilant dans l’obscurité, son corps frémissant de terreur. Elle ferma la porte derrière elle en silence, le verrou s’enclenchant dans un léger cliquetis qui semblait trop bruyant dans ce silence lourd.
Elle se retrouva dans une pièce sombre, une bibliothèque. L’odeur du vieux bois et de l’encre se mêlait à l’air vicié de la maison. Les étagères, pleines de livres anciens, semblaient l’enserrer, la presser, comme si elles cherchaient à l’engloutir. La lumière de la lune filtrait faiblement à travers la fenêtre, projetant des ombres qui semblaient danser sur les murs. La bibliothèque, avec son calme inquiétant, lui offrait un répit, mais c’était un répit précaire. L’angoisse persistait, lancinante, grondant dans son ventre comme une bête prête à surgir.
Elle se laissa glisser contre la porte, ses jambes tremblant sous elle. Le souffle court, le cœur battant à tout rompre, elle chercha un endroit où se cacher. Mais ses yeux, attirés par une étrange force, se posèrent sur une table, où un carnet usé reposait, ouvert. Elle s’approcha lentement, chaque pas plus lourd que le précédent, comme si le sol sous ses pieds voulait l’aspirer dans les abysses. Ses doigts tremblaient lorsqu’elle toucha le carnet, comme si elle avait peur de ce qu’elle allait découvrir.
Elle lut les quelques lignes griffonnées sur la page ouverte, et un frisson glacé parcourut son échine : "La maison porte en elle les cris du passé. Chaque secret dévoilé en engendre un autre. La clé est dans le silence."
Les mots se figèrent dans son esprit, lourds de sens, lourds de menaces. Qu’avait-elle découvert ? Elle avait l’impression que tout ce qu’elle pensait savoir se brisait autour d’elle. La clé du mystère était là, dans ces mots, mais elle ne savait pas comment l’utiliser.
Soudain, un grincement se fit entendre derrière elle. La porte de la bibliothèque s’ouvrit lentement, presque imperceptiblement, comme si quelqu’un l’avait poussée doucement, tout en cherchant à ne pas se faire remarquer. Amara se figea, son regard rivé sur la porte qui s'ouvrait. Elle avait verrouillé cette porte, elle en était certaine. Pourtant, elle s’ouvrait lentement, comme une menace implacable. La lumière de la lune caressa les contours de la pièce, projetant une silhouette sombre, indistinct.