CHAPITRE IV - L’incrédulité

531 Words
CHAPITRE IV L’incrédulité Noémi voyagea quelque temps avec son père ; on la mit plusieurs mois en pension, et comme partout on se moqua de sa crédulité, elle finit par la perdre entièrement. À sa pension on racontait souvent, et en riant d’elle, comment elle avait pris son père pour un ogre ; comment elle voulut un jour causer sérieusement avec un chien, et mille autres niaiseries que son ignorance lui avait fait dire ; alors elle en conclut que la crédulité était une chose ridicule, et elle tomba dans le défaut contraire : elle douta de tout, des vérités les plus positives, et ce nouveau travers, bien plus dangereux que l’autre, l’entraîna dans une quantité de dangers et de malheurs. D’abord on s’amusa de ce nouveau défaut. On avait ri de lui voir ajouter foi à des choses impossibles ; on rit encore de ce qu’elle refusait de croire à des choses véritables. – Plante ce noyau de cerise, lui disait-on, et il poussera un cerisier à cette place ; ou bien : Enferme cette chenille dans une boîte, et tu auras un beau papillon. Noémi levait alors les épaules d’un air malin. – Vous vous moquez de moi, répondait-elle ; mais à présent je ne crois plus à tous ces mensonges-là. Si une grande personne lui disait : – Quand tu seras grande comme moi, tu feras telle ou telle chose. – Moi, grande ! reprenait-elle ; oh ! je sais bien que je serai toujours petite ; comment serait-il possible que je grandisse ? – Ainsi elle ne pouvait pas s’imaginer que l’on grandît jamais ; elle croyait que les hommes étaient comme les oiseaux ; qu’il y en avait de grandes espèces, mais que les enfants restaient toujours de petits hommes, comme les colibris restent toujours de petits oiseaux. Un jour, des maçons étaient venus réparer un mur dans le jardin, et ils y avaient creusé un trou rempli de chaux. – Prends bien garde, dit-on à Noémi, qui arrosait des fleurs à quelques pas de là ; ne jette pas d’eau sur cette chaux, tu te brûlerais. – Mais c’est de l’eau froide, dit-elle en riant ; comment pourrais-je me brûler avec de l’eau froide ? Persuadée qu’on se moquait de sa crédulité, elle répandit son arrosoir autour d’elle, et se mit à jouer avec la chaux. Bientôt elle jeta des cris effroyables, car elle s’était brûlée cruellement ; mais cela ne suffit pas encore pour la corriger. Son père l’emmena peu de temps après en Normandie, dans un vieux château situé au bord de la mer, dont il venait d’hériter. Noémi, qui entendait parler de son oncle qui était mort récemment, demanda ce que c’était que de mourir. Un petit paysan qui était près d’elle, entendant cela, lui dit : – Tenez, mamzelle, c’est d’être comme ce mulot que je viens de tuer ; j’ai beau le secouer, il ne remuera plus. Le soir, Noémi vint tout en larmes chez son père, en s’écriant : – Elle est morte ! elle est morte ! – Qui donc ? demanda-t-il alarmé. – Ma montre, répondit Noémi. En effet, la montre s’était arrêtée. Rien n’était si inquiétant pour le caractère de Noémi que cet esprit faux, ces croyances et ces doutes également mal placés. Comment enseigner la religion à cette jeune âme, si folle et si défiante ? comment lui faire adorer les mystères sublimes, qu’elle ne pourrait comprendre ? car c’est profaner un mystère que de vouloir l’expliquer ; et alors que deviendrait-elle sans religion, sans Dieu ? sans un Dieu à qui adresser sa prière, à qui demander des consolations ? La pauvre Noémi eût été bien malheureuse.
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