CHAPITRE III - Les ogres

524 Words
CHAPITRE III Les ogres Elle aperçut, à travers les fenêtres de la salle à manger, de grands êtres épouvantables, dont elle n’avait jamais eu l’idée. Ils étaient d’une stature gigantesque ; leur tête et leur poitrine étaient couvertes de cuivre, et une longue et noire crinière flottait sur leurs larges épaules. Noémi toute tremblante alla se cacher sous l’escalier, derrière la fontaine ; de là elle pouvait entendre parfaitement tout ce qu’ils disaient. Leur grosse voix était si terrible, que Noémi frissonnait à chacune de leurs paroles. Malgré son effroi, elle conservait de la présence d’esprit, et repassait dans sa mémoire si elle n’avait pas trouvé dans ses livres la description de quelque monstre qui ressemblât à ceux qu’elle avait en ce moment devant les yeux. Un mot que dit l’aubergiste en passant devant elle l’éclaira subitement. – En vérité, s’écriait-il de mauvaise humeur, je ne sais avec quoi je vais rassasier tous ces ogres-là. Noémi tressaillit. – Ce sont des ogres, pensa-t-elle ; ô ciel ! que vais-je devenir ! Vous n’auriez point dit cela, mes chers neveux ; vous auriez dit : – Voilà de bien beaux cuirassiers, et vous auriez eu raison ; car c’était, en effet, de fort beaux cuirassiers. L’un d’eux sortit de la salle à manger, et comme l’odeur de la cuisine se faisait sentir : – Oh ! s’écria-t-il, ça sent la chair fraîche ! Noémi, à ces mots, se rappelant l’ogre du Petit Poucet, se cacha encore plus loin derrière la fontaine, et ne douta pas que l’ogre ne s’empressât de la chercher. Cependant il rentra dans la salle à manger ; et pendant le repas des ogres, qui fut assez long, elle prêta l’oreille à leurs discours. Excepté quelques mots, tels que oui, non, elle ne comprit rien de ce qu’ils disaient ; il y avait surtout de grandes exclamations qui leur échappaient chaque fois qu’ils frappaient du poing sur la table, qu’elle ne pouvait s’expliquer, et qui la remplissaient de terreur. Enfin, la porte de la rue s’ouvrit, et un ogre de la même espèce, mais qui paraissait commander à ceux-là, vint demander à l’aubergiste s’il n’avait pas vu une petite fille entrer dans l’auberge avec sa bonne. On lui répondit que cette petite fille était allée dans le jardin, et qu’on ne savait pas ce qu’elle était devenue. Comme l’ogre en chef paraissait inquiet de ne pas trouver l’enfant, tous les ogres se mirent à courir dans le potager, à qui découvrirait le premier la petite fille. Noémi avait beau se coller contre le mur, il y avait toujours un coin de sa vilaine robe qui passait ; aussi elle fut bientôt aperçue. – La voilà, la voilà, mon capitaine ! s’écria le plus laid des ogres en saisissant Noémi, qui voulait s’enfuir. À moi, camarades ! l’ennemi fait résistance. – Puis, voyant que Noémi se débattait pour s’échapper : – Qu’est-ce que vous avez donc à vous démener comme ça, mamzelle ? lui dit-il ; n’avez-vous pas peur qu’on vous mange ! – Ces paroles confirmèrent Noémi dans son erreur ; elle répondit : – Pas aujourd’hui, peut-être, vous venez de déjeuner ; mais demain !… Elle ne put achever ; ses sanglots la suffoquèrent ; alors le soldat poussa un grand éclat de rire qui ramena tout le monde de son côté. – Mon capitaine, dit-il, voilà mademoiselle votre fille qui nous prend pour des ogres ! Le père de Noémi accourut vers elle, et il l’embrassa si tendrement, qu’elle fut bientôt rassurée : il était si affectueux, si caressant, ce bon père, qu’il n’était pas possible que ce fût un ogre, ou du moins, ce devait être un bien excellent ogre.
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