IV - Le testament d’un comédien – Une arrestation-2

1003 Words
Un coup v*****t est frappé à la porte-cochère. – C’est bien ici qu’ils viennent, murmure madame Bertholin ; mais à qui en veulent-ils ?… Ô mon Dieu !… Et déjà la pauvre mère entourait son fils de ses bras, comme pour empêcher qu’on ne lui enlevât ; tandis que le jeune républicain, cherchant à rassurer sa mère, reprend son air calme, en lui répondant : – Ne craignez donc rien… D’ailleurs, nous nous trompons peut-être ; ce n’est sans doute pas pour cela qu’on a frappé. Mais déjà la porte-cochère est ouverte, car cette fois le portier n’a pas fait attendre. On aurait dit qu’il était prévenu qu’on allait venir et qu’il avait l’oreille au guet. Maxime et sa mère se sont approchés de la fenêtre qui donne sur la cour ; ils entendent les pas de plusieurs hommes, puis le nom de Derbrouck est prononcé d’une voix forte, et Goulard répond d’un ton patelin : – C’est ici, citoyens…, c’est au premier…, l’escalier à droite, au fond. Les hommes ont traversé la cour et sont montés ; il y a des gendarmes avec eux ; il n’y a plus à douter du motif qui les amène. – Ils viennent arrêter le banquier hollandais ! s’écrie madame Bertholin, en cachant sa figure dans ses mains ! Ô monstre de Goulard !… il a effectué ses menaces, il a dénoncé son bienfaiteur !… Et sa femme…, sa pauvre femme, qui nourrit son enfant ! quel réveil, grand Dieu ! et quel va être son désespoir !… Un si bon ménage…, des époux si unis ! – Non…, non…, ce n’est pas possible ! s’écrie Maxime. Puis il s’élance à la porte, traverse la cour et monte aussi l’escalier, tandis que sa mère lui crie de rester, et de ne pas se compromettre inutilement. Mais déjà le jeune homme est arrivé au premier étage, devant la porte de l’appartement occupé par le banquier et sa famille. Cette porte est gardée par trois gendarmes, mais on laisse entrer Maxime, qui traverse une antichambre et entre dans un petit salon au moment où celui que l’on venait arrêter au milieu de la nuit, troublé et surpris dans son sommeil, se présentait devant les agents de l’autorité, après avoir passé quelques vêtements. La figure de Derbrouck n’exprimait que la surprise, elle était toujours confiante et noble, et c’est presque en souriant qu’il dit à ceux qui se trouvent dans son salon : – Qu’y a-t-il, citoyens, et quel motif vous amène chez moi au milieu de la nuit ? – Nous avons l’ordre de t’arrêter, répond d’une voix dure un homme revêtu d’une ceinture tricolore et qui semble commander aux autres. – M’arrêter !… moi !… Et pour quelle raison ?… qu’ai-je fait ? – Oh ! ce n’est pas ici qu’on te le dira… tu t’expliqueras devant le tribunal révolutionnaire… quand on te jugera… – Mais, citoyens, ce ne peut être qu’une erreur… le n’ai rien à me reprocher… – Oh ! non, s’écrie Maxime, en courant prendre la main de Derbrouck qu’il presse avec force dans les siennes ; non, le citoyen Derbrouck n’a rien fait pour être arrêté… Sa conduite est pure comme ses principes, j’en répondrais, moi ! et l’on sait bien que je ne presserais pas la main d’un traître. Il faut qu’il y ait là-dessous quelque méchanceté, quelque secrète dénonciation. – Tout cela ne nous regarde pas ! répond l’envoyé du comité ; nous avons l’ordre d’arrêter le citoyen Derbrouck, banquier hollandais, revenu en France depuis quelques mois seulement… C’est bien toi ? – Oui, citoyen. – Alors, il faut nous suivre… après toutefois qu’on aura mis en ta présence les scellés chez toi… – Faites, citoyen ; mais ma femme repose…, et si du moins on pouvait respecter son sommeil !… En cet instant, un cri parti d’une pièce voisine annonce que la femme du banquier ne dort plus, et qu’elle sait pourquoi on est venu troubler son sommeil ; elle accourt pâle, éplorée, tremblante, et à peine couverte d’une robe, d’un châle dont elle s’est enveloppée à la hâte ; elle se précipite dans les bras de son mari, en s’écriant : – Est-il vrai ?… Ils viennent pour t’arrêter ?……Ô mon ami !… mais je ne te quitte pas alors… Je veux qu’on m’emmène avec toi… Oh ! je veux partager ton sort. – Calme-toi, ma chère amie, reprend le Hollandais en pressant tendrement sa femme sur son cœur. On vient m’arrêter parce que quelque méchant, quelque lâche m’aura dénoncé ! Mais tu sais bien que je n’ai rien à me reprocher…, que ma conscience est pure… Je ne dois donc rien craindre… Mes juges, je n’en doute pas, reconnaîtront facilement qu’on les a trompés, que je suis innocent, et bientôt je te serai rendu. Madame Debrouck pleurait amèrement ; l’air calme de son mari ne la rassurait pas ; Maxime s’efforce de ramener aussi l’espoir dans son âme, en disant : – Ce ne peut être qu’une erreur, citoyenne, ou la suite d’une vengeance particulière ; mais j’irai au tribunal, et si, comme je l’espère, mon témoignage est de quelque poids, le citoyen Derbrouck recouvrera bien vite sa liberté. Ces paroles n’ont pas le pouvoir d’arrêter les larmes qui coulent des yeux de la pauvre femme, et sa bouche ne cesse de murmurer : « L’arrêter !… Ô mon Dieu !… voilà ce que je craignais ! » Cependant les agents du tribunal ont achevé de mettre les scellés, et celui qui commande dit tout en écrivant : « Nous nommons gardien des scellés le citoyen Goulard Léonidas, portier de ladite maison et membre de la section de Bonne-Nouvelle. » Au nom de Goulard, la jeune femme a frissonné, et le front du Hollandais se couvre d’un sombre nuage ; il se penche alors vers sa femme, et lui dit à l’oreille : – Retourne à Passy… ; ne reste pas ici…, tu y aurais trop à souffrir. – Sommes-nous prêts ? dit l’envoyé, en faisant signe au banquier de suivre les gendarmes. – Oui, citoyens, répond Derbrouck, je vous suis… Cependant, avant de partir…, permettez-moi d’embrasser mon enfant. Madame Derbrouck n’a pas laissé achever ces paroles à son mari. Déjà elle a couru dans la pièce voisine, d’où elle revient bientôt, tenant dans ses bras la petite fille qu’elle nourrit, et qui est alors plongée dans un profond sommeil. Le Hollandais contemple quelques instants son enfant, en murmurant de manière à ce que Maxime seul l’entende : – Pauvre enfant !… qui n’a que quelques mois d’existence !… qui ne peut encore connaître son père !… Peut-être est-elle destinée à ne le voir…, à ne jamais le connaître !… Mais je lui laisse un nom sans tache…, et ce nom…, un jour…, quelque chose me dit qu’on sera fier de le porter. Malgré sa fermeté, Derbrouck sentait des larmes venir mouiller sa paupière : mais surmontant bientôt sa faiblesse, il dépose un b****r sur le front de sa petite Pauline, embrasse tendrement sa femme, puis s’arrache de ses bras et sort de l’appartement en s’écriant : Partons, citoyens. La femme du Hollandais serait tombée évanouie, si Maxime ne l’avait pas soutenue dans ses bras. Déjà Derbrouck traverse la cour au milieu des gendarmes. Alors Goulard se place contre la porte-cochère et sourit d’une manière infernale, en voyant passer celui que l’on vient d’arrêter.
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