II - Une famille hollandaise-1

3003 Words
II Une famille hollandaiseUne demi-heure s’était écoulée depuis l’évènement de la croisée ; madame Bertholin s’était remise à travailler ; Euphrasie ne dansait plus, mais de temps à autre elle essuyait encore ses joues, en murmurant : – Picotin ne revient pas de la section… Je lui avais donné rendez-vous ici. Ton fils ne rentre guère vite… Et ce Roger qui devait venir lui dire adieu… Pauvre Roger !… il dit qu’il est content de partir… dame ! il était très amoureux de moi… et, il y a deux ans, lorsque j’ai épousé Picotin, il a eu bien du chagrin, quoiqu’il ait feint de prendre son parti. Moi, j’aimais assez Roger ; certainement il me plaisait plus qu’Anacharsis Picotin… D’abord, il est mieux de figure ; non pas que mon mari soit laid, mais il a l’air bête !… et ces airs-là ne font qu’augmenter avec les années ! Ma tante a voulu que je devinsse l’épouse de Picotin ; elle m’a dit : Il a quelque chose, c’est un homme établi, tandis que ton petit Roger n’a rien. J’ai obéi à ma tante. D’ailleurs je me disais : Quand je serai mariée, Roger viendra nous voir… je l’engagerai très souvent à venir dîner avec nous. Mais ce monsieur m’a gardé rancune ; il m’a boudée pendant dix-huit mois, en voilà seulement six qu’il revient chez nous ; et à présent il part pour l’armée ! C’est fort contrariant, ça me fera un vide et à mon mari aussi, qui aimait beaucoup Roger et qui faisait tous les soirs avec lui sa partie de dominos ! La mère de Maxime prêtait fort peu d’attention aux discours que lui tenait la jeune femme ; elle semblait livrée tout entière à ses réflexions ; mais, de temps à autre, elle poussait un gros soupir, murmurait le nom de François Brémont, puis essuyait les larmes qui tombaient de ses yeux. Tout à coup le bruit d’une voiture se fit entendre : bientôt il cessa devant la maison, et on entendit la voix du cocher demander qu’on ouvrît les deux battants de la porte-cochère. – C’est la voiture de monsieur… du citoyen Derbrouck, dit madame Bertholin ; il revient sans doute de Passy avec sa femme. – Qu’est-ce que c’est que le citoyen Derbrouck ? demande Euphrasie, après avoir été regardé la jolie voiture bourgeoise arrêtée devant la porte. – C’est un banquier hollandais établi en France depuis quelques années : ah ! c’est un bien brave homme, et aussi bon, aussi obligeant qu’il est honnête. – Comment ose-t-il encore avoir équipage dans un temps où tout le monde craint de paraître riche, de peur de passer pour un aristocrate ? – Il paraît que monsieur… que le citoyen Derbrouck n’a pas peur. C’est un homme qui est pour les idées libérales, qui aime le peuple, qui déteste l’oppression. Il est lié avec plusieurs membres du Comité de salut public : il reçoit chez lui Hébert, le général Ronsin, et beaucoup d’autres personnages marquants de l’époque. J’avoue que cela me surprend ! M. Derbrouck a l’air si doux, si aimable !… Comment peut-il faire sa société d’hommes dont les opinions sont si exaltées !… mais, comme dit mon fils, je n’entends rien à la politique. – Quel âge a ce banquier ? – Trente et quelques années : c’est un homme superbe, et une figure si remarquablement belle, que, dans le quartier, presque toutes les femmes et beaucoup d’hommes l’ont surnommé le bel Hollandais. – Ah ! je suis curieuse de le voir… Est-il marié ? – Oui ; sa femme est jeune, jolie et très bienfaisante, jamais elle n’a repoussé la prière d’un malheureux ; et maintenant que le pain est si cher et si rare, sans elle, j’en connais plus d’un qui en aurait manqué. Ce qu’il y a d’affreux, d’indigne, c’est que ce sont ceux qu’ils obligent qui sont les premiers à dire du mal de ce brave M. Derbrouck !… Ah ! cependant, il faut excepter Prosper. Oh ! pour celui-là, c’est un bon garçon, et malgré sa légèreté, son étourderie habituelle, je suis bien sûre qu’il irait… je ne sais où pour être utile à la famille Derbrouck… – Qu’est-ce que c’est que ça, Prosper ? – Un tout jeune homme… un garçon de dix-huit ans à peu près… Prosper Bressange est fils d’un marchand de soierie ; malheureusement, il est resté orphelin de bonne heure : son père avait amassé quelque argent, le jeune Prosper a eu bientôt dissipé tout cela ! À seize ans, ce monsieur donnait des dîners, traitait ses amis chez les meilleurs restaurateurs, puis faisait le diable, cassait les carreaux des maisons, insultait les passants, et quelquefois ne craignait pas d’aller au comité de la section pour rire et se moquer tout haut des orateurs lorsqu’il échappait quelque balourdise à ceux-ci, ce qui leur arrive assez souvent. – Ah ! oui… oui… Prosper Bressange… je m’en souviens… je l’ai vu ici… C’est un ami de ton fils ; il a même de fort beaux yeux… l’air un peu mauvais sujet… mais j’aime ça dans un homme ; au moins on s’attend à quelque chose. Comment ! il n’a que dix-huit ans ce garçon-là !… il en parait vingt-quatre ! Il est tout à fait formé… Et que fait-il à présent ? – Après avoir mangé ce que lui avait laissé son père, il a été bien heureux d’obtenir de l’ouvrage dans l’imprimerie où travaille Maxime ; mais encore ne travaille-t-il pas souvent !… Dès qu’il a un assignat, il court le dépenser… et puis, toujours des aventures, des disputes, des querelles… des gens battus, des carreaux cassés, et, sans M. Derbrouck, qui bien souvent l’a tiré de là, en payant pour lui, il y a longtemps que Prosper aurait été arrêté !… – Comment le banquier hollandais peut-il connaître ce garçon ? – Prosper demeure dans la maison… tout là-haut… une petite chambre dans les mansardes, et lorsque madame Derbrouck est accouchée, il y a six mois, Prosper ne s’est-il pas avisé de vouloir tirer un feu d’artifice dans la cour ? C’est ce jour-là qu’il s’est battu avec Goulard le portier, celui-ci a prétendu qu’il avait reçu une fusée dans l’œil ; je ne sais pas si c’est vrai, mais j’avoue que, depuis ce jour, son regard déjà faux et louche est encore plus hideux. – Madame Derbrouck a plusieurs enfants ? – Non, elle n’a que sa petite fille qui a dix mois et qu’elle nourrit. Oh ! elle est belle comme un ange… Mais pendant que nous jasons, il me semble que le portier n’ouvre guère sa porte-cochère. – Non, car la voiture est toujours dans la rue… – Je vais l’ouvrir alors, Goulard est peut-être absent. Il ne se gêne pas ! au lieu de garder sa porte, il va pérorer à la section… Il doit dire de jolies choses ! un homme si méchant ! En achevant ces mots, la bonne dame s’est levée, et ouvrant la porte de son appartement qui donne sur un petit palier, puis sur la cour, elle se hâte d’aller lever la barre de fer qui ferme les deux battants de la porte-cochère, et la voiture du banquier hollandais entre dans la maison. Un homme de trente et quelques années en descend ; la mère de Maxime n’avait point flatté le portrait qu’elle avait fait à Euphrasie ; il était difficile de rencontrer une plus belle figure unie à une taille plus élégante et aussi bien proportionnée ; un air à la fois noble, doux et affable ajoutait encore au charme répandu sur toute la personne du banquier hollandais. M. Derbrouck était habillé de noir et coiffé avec de la poudre ; cette toilette, bien que simple, était de trop bon goût pour l’époque, et formait un contraste remarquable avec toutes les carmagnoles que l’on rencontrait. Le Hollandais s’est empressé de donner la main à une femme de vingt-six à vingt-sept ans qui descend de la voiture, suivie d’une femme de chambre, qui porte sur ses bras un enfant en bas âge. Madame Derbrouck est mise avec goût, mais fort simplement. On voit qu’elle ne désire pas être remarquée pour sa toilette. C’est une femme plus jolie que belle, plus agréable que régulière ; elle est petite, blanche et mignonne : on s’étonne qu’elle ait la force de nourrir. Cependant à peine a-t-elle mis pied à terre qu’elle se hâte de reprendre dans ses bras l’enfant que portait la femme de chambre. Euphrasie s’était placée contre la fenêtre donnant sur la cour, et, quoiqu’il fit sombre, cherchait à voir les personnes qui venaient de descendre de voiture ; mais bientôt sa curiosité fut pleinement satisfaite, car, au lieu de monter sur-le-champ à leur appartement au premier, M. et madame Derbrouck se dirigèrent vers le rez-de-chaussée habité par la veuve Bertholin, et y entrèrent au moment où celle-ci posait sur la cheminée une chandelle qu’elle venait d’allumer. – Reçois mes remerciements, citoyenne Bertholin, dit le banquier en entrant dans la chambre. C’est toi qui as eu la complaisance de nous ouvrir la porte-cochère, car il me paraît que le portier est absent. – Oui, citoyen ; mais, mon Dieu ! cela ne valait pas la peine de t’arrêter pour me remercier et de faire entrer ici mada… la citoyenne qui va peut-être prendre du froid… et c’est dangereux quand on nourrit. – Oh ! il n’y a pas de danger ! répond en souriant l’épouse du Hollandais. Je suis trop couverte pour craindre le froid… Je suis très aise de profiter de cette occasion, citoyenne, pour te faire voir ma fille, ma petite Pauline… Tiens, comment la trouves-tu ? – Charmante ! oh ! quel joli petit cœur ! dit la veuve en considérant l’enfant qu’on lui présentait. Euphrasie s’est approchée alors, et, poussant un cri d’admiration, elle embrasse la petite fille en disant : – Oh ! oui. C’est un ange. Tu permets, citoyenne ?… J’aime beaucoup les enfants ! voilà comme j’en voudrais un ! Je ne cesse de dire cela à mon mari, depuis deux ans que je suis sa conjointe… mais, bah ! Picotin est si bête ! c’est comme si je chantais ! Enfin, ça viendra peut-être… avec le temps ! Ce n’est pas moi qui y mets opposition, toujours ! Madame Derbrouck souriait du bavardage d’Euphrasie, qui, tout en s’extasiant sur l’enfant, reportait à chaque minute ses yeux sur le père. – Et ton fils, citoyenne, travaille-t-il toujours à son imprimerie ? dit le Hollandais, lorsque madame Picotin eut cessé de parler. – Oui, citoyen, toujours. Oh ! Maxime n’est point un paresseux ; il est même allé ce soir à son ouvrage. – C’est un brave et digne garçon que ton fils, citoyenne, il est rempli d’instruction, de moyens, de capacité ! S’il voulait se pousser, je suis certain qu’il ne tarderait pas à avoir un emploi honorable, et cela serait à désirer pour la république : ce sont des hommes comme ton fils qu’il faudrait voir à la tribune, à la Convention… Ah ! tout n’en irait que mieux ! – Citoyen, je te remercie pour Maxime : mais mon fils n’est point ambitieux… pas assez peut-être… Depuis quelque temps, comme il trouve que cela ne va pas comme il l’espérait, il est triste, il fuit le monde, et, son travail achevé, revient près de moi, me lit l’Histoire romaine, l’Histoire grecque, et s’enflamme, s’anime, en s’identifiant avec les grands hommes de l’antiquité. – Eh bien, c’est comme mon mari, s’écrie Euphrasie : il a une fureur pour me lire ou pour me parler des Romains. Moi, ça ne m’amuse pas beaucoup, je l’avoue ; j’aimerais mieux des historiettes drôlettes… les Contes de la Fontaine, par exemple ; et je dis à Picotin : Lis-moi le Villageois qui cherche son veau, ça te sera bien plus avantageux, mais il me répond : Il faut connaître l’histoire romaine, puisque nous portons à présent des surnoms romains ; je dois connaître les aventures de mon patron Horatius Coque… Coque… Ah ! mon Dieu ! comment donc l’a-t-il appelé l’autre jour : Horatius Coculès ! Je lui ai même dit : Mon ami, tu as pris là un singulier parrain ; mais il ne faut pas disputer des goûts. – C’est très juste, répond M. Derbrouck en souriant. Puis, tirant une bourse de sa poche, il y prend plusieurs écus de six livres et les présente à la mère de Maxime, en lui disant : – Citoyenne Bertholin, tu as déjà eu la bonté de me faire connaître les pauvres honteux les plus nécessiteux de ce quartier ; mais depuis quelques jours je suis resté à Passy, et il doit y avoir de nouvelles infortunes par ici… le mal arrive si vite dans ces temps de troubles… La république veut le bonheur du peuple, mais il y a mille souffrances particulières qu’elle ne peut connaître, ou dont elle n’a pas la faculté de s’occuper. Tiens, veux-tu bien, citoyenne, te charger encore de distribuer cela de ma part à ceux dont les besoins sont les plus pressants ? – Ah ! citoyen Derbrouck que tu es bon ! répond la pauvre veuve, en prenant l’argent qu’on lui présente. Oui, sans doute, je me charge avec orgueil de ta commission, je serai heureuse de la remplir avec zèle et fidélité. Ah ! tout le monde devrait te bénir, et pourtant… La bonne femme a dit bien bas ces derniers mots, mais d’ailleurs Euphrasie se charge de couvrir sa voix en s’écriant : – Du numéraire ! Peste ! ça devient rare. Picotin prétend que les assignats valent mieux, autre boulette de mon mari ! Il voulait convertir en assignats tout ce que nous avions : bijoux, argenterie, meubles. Je crois, si je l’avais laissé faire, qu’il m’aurait fait coucher sur des assignats. Je m’y suis opposée ; je lui ai dit : Horatius Cocu… Coques… enfin n’importe, le nom n’y fait rien ; je lui ai dit : Cher époux, de bons matelas me semblent de première nécessité dans un ménage bien uni ! tes assignats, c’est superbe, mais on en dépense trop à la fois. Quand je vais acheter pour mon dîner un pot-au-feu de soixante livres, ou un poulet de quatre-vingts, je m’aperçois que l’on aimerait beaucoup mieux recevoir une pièce de vingt-quatre sous. M. Derbrouck et sa femme disaient adieu à la veuve Bertholin et se disposaient à monter à leur appartement, lorsque tout à coup la porte du carré est ouverte brusquement et un nouveau personnage entre dans la chambre. C’est un homme de trente et quelques années, petit, trapu, dont les jambes arquées et cagneuses supportent un corps presque aussi large que haut. La figure de ce personnage est d’une laideur repoussante, car, outre un nez plat et rentré, des cheveux roux et une bouche énorme, dans les deux petits yeux verts pâles, qu’il roule constamment autour de lui, se peint une expression de férocité qui se cache parfois sous un sourire faux et satanique. Cet homme a le costume des gens qui poursuivaient le petit vieillard suspecté d’être suspect ; un pantalon court et large, une carmagnole déboutonnée, une grosse chemise tout ouverte par-devant et laissant voir à nu une poitrine surchargée de longs poils roux ; enfin, pour coiffure, un immense bonnet en loutre avec une longue queue-de-renard retombant par-derrière et flottant sur ses épaules. Une grosse cocarde au bonnet, une pipe à la bouche, et les manches de la veste retroussées jusqu’au coude : tel était en ce moment Goulard Leonidas, le portier de la maison. – Qui est-ce qui s’est permis d’ouvrir ma porte-cochère ? s’écrie le portier d’une voix de Stentor, en entrant chez la veuve Bertholin sans saluer personne, et sans même porter la main à son bonnet. À l’aspect de Goulard, madame Derbrouck ne peut maîtriser un mouvement d’effroi et de dégoût, puis ses yeux se portent sur son mari, comme pour le supplier de se modérer et de ne point traiter cet homme comme il le mérite. Un regard du banquier rassure sa femme, tandis que la veuve Bertholin répond d’un air fort calme : – C’est moi qui ai ouvert la porte ; il le fallait bien, puisque tu n’y étais pas. – Non, il ne le fallait pas… Ma porte est mon département, je ne veux pas qu’on y touche !… Je suis à cheval sur mes droits, comme sur les droits de l’homme. – Diable ! citoyen Goulard, mais tu es bien despote pour un républicain, dit M. Derbrouck en tâchant de prendre un air riant. – D’abord, je ne suis plus Goulard ! je ne m’appelle plus Goulard ; mon nom est Léonidas ! On m’appellera comme ça quand on voudra que je réponde. – Léonidas, soit ! Eh bien, si tu avais été à ton poste, un autre n’aurait pas été obligé de se déranger pour m’ouvrir ta porte-cochère… Tu ne voulais pas sans doute que je restasse dans la rue avec ma voiture ? – Est-ce qu’on a besoin des voitures, des carrosses ? est-ce que sous la république une et indivisible, les bons patriotes n’ont pas des jambes pour marcher ? – Je crois que sous toutes les époques les hommes ont eu des jambes pour marcher ; mais lorsqu’on a un long chemin à faire, lorsqu’on ne veut pas se fatiguer, je ne vois pas pourquoi on ne se servirait pas d’une voiture quand on en a une… Il n’y a pas de loi qui défende cela. Au surplus, je suis trop bon de te donner toutes ces raisons, car je n’ai aucun compte à te rendre. C’est toi qui devrais t’excuser de ne pas avoir été à ta porte. On entendait au son de la voix de M. Derbrouck que la patience commençait à lui échapper et que ce n’était plus qu’avec peine qu’il retenait sa colère. Mais sa femme le regardait toujours d’un air suppliant ; et, tandis que la veuve Bertholin jetait sur le portier un regard de mépris, Euphrasie, pâle et tremblante, avait entièrement perdu l’usage de la parole. – M’excuser de ne pas avoir t’été à ma porte ! répond le portier en faisant un mouvement d’épaules. Ah ! ben !… le plus souvent que je vais m’excuser ! Est-ce que je ne dois pas t’être au comité de ma section quand j’ai des rapports à faire… ou des motions à proposer pour la fraternité et l’égalité… de l’indivisibilité ! Et d’ailleurs, je n’aime pas les voitures, moi, je ne veux pas me gêner pour les aristocrates. – Qui vous a autorisé à m’appeler ainsi ? s’écrie M. Derbrouck. Le portier allait répondre, lorsque la veuve Bertholin se place entre lui et le Hollandais, et dit à Goulard : – En vérité, citoyen Léo… Léonidas, je ne comprends rien à ta conduite… Comment, tu sembles vouloir provoquer le citoyen Derbrouck !… Mais tu oublies donc que ce brave homme a été aussi ton bienfaiteur à toi et aux tiens ?… Quand tu étais malade, il y a trois mois, qui t’envoyait des bouillons, de la viande !… c’était cette bonne dame… Puis, quand tu te plaignais de n’avoir pas de vêtements assez chauds à mettre, qui te donna de l’argent pour en acheter… et pour avoir du bois, du vin ? C’est le citoyen Derbrouck… C’est toujours lui qui est venu à ton aide. – Eh bien ! que ça prouve ?… S’il m’en a donné, c’est qu’il en a de trop, v’là tout !… Et s’il en a de trop, faut lui en ôter. Le portier a dit ces mots entre ces dents, tandis que la mère de Maxime lève les yeux au ciel, en murmurant : – Faites donc du bien pour être récompensés ainsi ! – Il n’est pas question de ce que j’ai fait ! reprend le banquier, et je ne demande aucun remerciement ; obliger ceux qui ont besoin est un devoir dont on ne doit pas tirer vanité. Mais aujourd’hui, lorsque je te fais remarquer que c’est toi qui avais tort de ne pas être là pour ouvrir ta porte, il me semble, Goulard, que tu dois répondre honnêtement. – Et moi, je n’entends pas qu’on me donne des leçons, ni qu’on rabaisse ma qualité sociale et mes droits d’homme égal devant un chacun ! Entends-tu, toi-même, citoyen Derbrouck, et ne parle pas si haut, et ne fais pas tant d’embarras, parce qu’on pourrait rabattre ton caquet… et fièrement ! – Qu’est-ce à dire, misérable ? tu oses me menacer, je crois ?… – Suffit… suffit !… on sait ce qu’on sait… on connaît les intelligences des aristocrates avec les étrangers. On ouvrira les yeux à la nation sur les individus qui ont voiture… – Ah ! c’en est trop ; il faut que je châtie ce drôle ! En disant ces mots, le banquier a levé le bras sur le portier ; mais aussitôt madame Derbrouck jette un cri, et se précipite pour retenir son époux, la mère Bertholin en fait autant, Euphrasie elle-même oublie sa terreur, et de ses bras court enlacer et retenir le beau Hollandais. Pendant ce temps, Goulard, reculant une jambe en arrière, écartant ses deux bras et ouvrant ses mains, se met dans la position d’un homme qui va tirer la savate.
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