Cho frottait le pont tout en discutant joyeusement avec les autres marins.
Genbu tentait vainement de fixer son attention sur le cap à tenir… mais en vain. Ses yeux cherchaient en permanence la tête du nouveau matelot et il ne comprenait pas son obsession pour lui.
Plus en avant sur le pont, il vit Daichi, un long rouleau à la main, faisant l’inventaire du bateau.
Genbu se tourna et fit signe de tête à un autre marin pour prendre la barre à sa place. Puis, il se dirigea en courant vers son quartier maître. Lorsqu’il passa à côté de Cho, il plaça une main au niveau de ses yeux pour s’empêcher de croiser son regard.
Cho s’était rapidement inclinée devant lui et se gratta la tête quand elle vit la manière qu’il avait eu d’agir en passant devant elle.
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Genbu faisait mine d’écouter Daichi commenter les pertes qu’ils avaient subi durant la tempête. Heureusement pour eux, il ne restait plus que quelques jours de navigation avant d’arriver sur les Terres de l’Est. Dans le pire des cas, il leur suffirait de poser pied sur le rivage le plus proche et de se ravitailler rapidement. Hors, Genbu et Daichi le savaient pertinemment, aucun d’eux ne voulait retarder leur arrivée.
Une odeur de poisson grillé fit vivement tourner la tête des deux amis.
Des cris de joie et de satisfaction s’élevèrent parmi les marins. Cho voletait d’un marin à un autre, leur tendant un poisson qu’elle avait embroché sur des pics en bambou.
« Qu’est-ce que ça veut dire ? Demanda Genbu sans quitter des yeux la nouvelle recrue.
_ Cho est de corvée de cuisine aujourd’hui, répondit Daichi en sortant un carnet et en tournant les pages contenant les tâches attribuées à chaque marin pour la semaine.
_ Wow ! En plus il sait aussi cuisiner… »dit admirativement Genbu, un sourire béat aux lèvres avant qu’il ne se mette à faire une grimace.
Daichi leva un sourcil en le voyant ainsi et tourna la tête pour voir ce qui avait bien pu lui déplaire.
Jun s’était calmement approché d’un des tonneaux qui leur servait de table et détacha un côté de son turban. Il garda une main sur le tissu, et de l’autre, prit le poisson que Cho lui tendait. Il ne retirait la partie qui lui cachait la bouche qu’à chaque fois qu’il était sûr que personne ne le regardait.
Une fois sûre et certaine que tous les marins avaient eu leur ration, Cho s’était rapprochée de Jun et était venue aussi s’accouder sur le même tonneau, à ses côtés.
Le monstre vert de la jalousie murmura à l’oreille de Genbu et il fonça droit vers eux.
Jun eut à peine le temps de se rendre compte de ce qu’il se passait qu’il fut violemment poussé sur le côté, le faisant perdre équilibre. Heureusement, Daichi était arrivé et l’avait rattrapé à temps.
Cho sursauta, surprise de se retrouver si proche du seigneur du Nord.
« Salut. Belle journée n’est-ce pas ? Lui dit-il.
_ Euh… oui ? Répondit Cho en cherchant à voir si Jun allait bien. Un frisson monstrueux lui parcourut l’échine lorsque Genbu fit complètement écran de son corps. Elle avait levé le menton et avait croisé son regard marron tâché d’or. Elle avait aussitôt baissé la tête et n’osait plus la relever.
_ Cho ?
_ Oui, Gen’ ?
_ J’ai faim. »
Cho se redressa et regarda de gauche à droite. Elle leva timidement la tête sans jamais oser regarder son maître dans les yeux.
« Ce n’est pas moi qui m’occupe du repas des officiers…
_ Je veux du poisson grillé moi aussi. »
Elle hocha la tête et tourna rapidement sur les talons pour aller lui en préparer un rapidement. Elle fut arrêtée lorsque Genbu saisit la main où elle tenait son poisson. Elle eut à peine le temps de tourner la tête, qu’elle le vit mordre à pleines dents, là où elle avait prit un morceau plus tôt.
Une chair de poule monstrueuse s’était emparée d’elle, prenant naissance là où sa peau entrait en contact avec sa main. Elle fit un mouvement sec pour la retirer et massa son poignet.
Genbu roula les yeux et se tourna vers Daichi en secouant la brochette en l’air.
« p****n Dai’ c’est trop bon ce truc ! Pourquoi on me sert jamais ça à bord ! Pleurnicha-t-il.
_ Parce que t’es la personne la plus chiante de l’univers à nourrir sur ce foutu rafiot !
_ Quoi ? Demanda Genbu en clignant rapidement des yeux.
_ Ouais ! Répondit Daichi en crachant au sol.
_ Comment ça chiant ? Je mange du poisson, parfois des œufs et du poulet… je ne vois pas en quoi c’est si difficile que ça de me nourrir ! Je mange mes fruits et mes légumes sans faire de manière ! » Se plaignit-il en fixant Cho.
La jeune femme se gratta l’arrière de la tête, trop surprise de l’attitude du seigneur du Nord.
Ce fut le moment, où le marin qui avait été choisi pour aider Cho en cuisine arriva avec les plats pour les officiers.
Les autres matelots avalèrent bruyamment leur salive en remarquant un plat de ragoût de viande et de légumes.
Daichi croisa les bras et fit un sourire moqueur à Genbu.
« Allez, Seigneur du Nord ! Mange donc ce qu’on te sert ! »
Genbu bougea les lèvres, faisant mine d’imiter son quartier maître en grimaçant et en roulant les yeux. Puis il pencha la tête et se figea en regardant le plat.
« Qu’est-ce que c’est ? Demanda-t-il d’un air niais.
_ Un ragoût d’agneau, Seigneur du Nord, répondit le matelot, fier d’avoir pu préparer le plat de son maître aujourd’hui.
_ Oh ! De… de l’agneau ? Demanda à nouveau Genbu d’une voix aiguë.
_ Oui, seigneur du Nord. Fraîchement tué la veille, vidé et saigné pour vous ! »
Genbu poussa tous les membres qui lui bloquaient le chemin et courut au garde-corps le plus proche avant de se pencher en avant, les épaules soulevées par les hauts le cœur.
« m***e… qu’est-ce qu’il a ? Souffla Cho.
_ Ca… c’est Genbu. Le légendaire et puissant seigneur de guerre. Maître incontesté du Nord. Aucune maladie, aucun poison n’est capable de l’atteindre. Servez lui un plat de viande et vous l’achevez pour une journée entière !
_ Je crie à la Di…ffa…ma…tion ! Cria Genbu, secoué par la nausée. Je ne mange pas de bébés animaux ! p****n mais qui a eu l’idée de se dire un jour « allez, aujourd’hui, je vais essayer de cuisiner un bébé ! La maman et le papa ne me suffisent pas ! Faut que j’essaie l’enfant aussi ! » ? »
Cho tendit un verre en bois à son maître pour le faire boire.
« Cho… y a que toi qui te soucies vraiment de moi sur ce navire… »dit, avec gratitude, Genbu.
Au moment où il avala le liquide, il le recracha aussitôt sous les rires hilares des témoins de la scène.
« p****n… de l’eau de mer ? Dit-il en s’essuyant les lèvres d’un revers de la main.
_ Ouais… c’est le meilleur remède contre le mal de mer ! Répondit platement Cho.
_ Mais je n’ai pas le mal de mer…
_ Pas la peine de lui en donner Cho ! Tu as devant toi la Tortue qui a bu trop d’eau de mer ! »Cria Daichi en prenant une grosse cuillère du ragoût.
Tout l’équipage partit d’un fou rire. Genbu éclata d’un rire forcé et passa un bras autour de la nuque de Cho. Un frisson les parcourut tous les deux et elle le poussa sur le côté.
« Me touchez pas… »souffla-t-elle.
Genbu avait laissé son bras suspendu dans le vide, là où la nouvelle recrue s’était trouvée plus tôt, et cligna rapidement des yeux.
Daichi ricana en voyant la scène et tourna la tête vers la jeune femme et pointa la cuillère en bois vers elle.
« Cho ?
_ Ouais ?
_ Tu t’occupes de lui désormais. Tu vas me servir de bras droit. Félicitation tu viens d’avoir une promotion ! Tu te charges de le réveiller demain.»
Cho eut une mine effarée.
Les autres marins vinrent lui donner une tape sur l’épaule pour la féliciter.
Elle courut vers Daichi.
« m***e, pourquoi moi ?
_ Bah, t’es la seule personne à part moi qui lui tient tête sur ce bateau, et surtout, à qui, il a l’air d’obéir. Donc encore une fois, félicitation et merci pour ton aide, Cho ! » répondit-il en s’inclinant vers elle.