Aux premiers rayons de l’aube, après s’être assurée que le petit déjeuner du seigneur du Nord avait été préparé correctement, Cho s’était rendue à sa cabine.
Elle avait frappé trois fois à la porte mais sans réponse.
Les paroles de Daichi lui revinrent en tête. « Genbu n’est pas un matinal. S’il ne t’ouvre pas, il faudra que tu rentres et que tu le réveilles… par tous les moyens. On a besoin de lui pour nous guider à travers les passages du fleuve demain. »
La jeune femme poussa timidement la porte.
Genbu était allongé sur le dos, confortablement emmitouflé sous des peaux de bêtes et des coussins épais.
« Seigneur du Nord…, commença-t-elle, Gen’ ? »
Il ne bougea pas d’un millimètre et elle dut s’avancer encore.
Cho se figea. Elle prit un instant pour apprécier la longueur des cils de son maître et ses cheveux noirs détachés qui tombaient jusqu’au pied du lit.
« Gen’ ? » appela-t-elle à nouveau.
Genbu attrapa un coussin et le prit dans ses bras avant de rouler sur le côté.
Elle posa l’index sur son épaule et la poussa gentiment.
« Gen’ ? Réveille-toi… »
Elle poussa un cri de surprise en se retrouvant plaquée sur le dos, une main appuyée sur la gorge et l’autre posée juste à côté de son oreille. Les cheveux de Genbu recouvrirent délicatement son visage et ses épaules. La terreur s’empara d’elle quand elle vit, l’espace d’une seconde, les iris de son maître devenir entièrement dorées.
« Cho ? » demanda Genbu, le souffle court.
Elle fit rapidement oui de la tête et se glissa sur le côté pour sortir du lit.
Elle était rouge de honte et tremblait légèrement. Lorsqu’elle leva les yeux, elle prit de l’air dans ses poumons et retint son souffle.
Les couvertures avaient glissé, révélant ainsi le haut du corps de son maître. Il était parfait. Parfait en tout point. Ses yeux glissèrent le long de ses épaules larges vers ses pectoraux avant de descendre vers ses abdominaux saillants. Elle avala bruyamment sa salive, en suivant la ligne profonde du V sur son bas ventre.
Genbu tatonna bruyamment d’une main la table de chevet en bois placée à la tête de lit et attrapa un cordon de soie. Il le bloqua entre les dents et releva ses cheveux, faisant inconsciemment bouger sa musculature impressionnante.
Cho sursauta lorsqu’il la regarda l’air encore à moitié endormi.
« Tu peux m’aider à les attacher, s’il-te-plaît, Cho ? »
Elle fit oui de la tête et vint rapidement se placer derrière lui, en posant une cuisse sur son lit. Un sourire de satisfaction ne quittait plus les lèvres de la jeune fille. Elle avait les cheveux de son maître en adoration depuis le jour où il était venu à leur aide sur son île. Elle fit exprès de prendre plus de temps que prévu pour pouvoir continuer à les toucher et elle dut bien se résoudre, à un moment donné, à terminer la tâche.
Elle se releva et poussa un cri d’horreur en le voyant s’allonger aussitôt sur le dos et se mettre à ronfler avec force.
« Non, non, non ! Debout Gen’ ! » dit-Elle le secouant par les épaules.
Elle poussa un cri silencieux lorsqu’il passa les bras autour de sa taille et la plaqua contre lui.
« Ah non ! J’ai dit DEBOUT GEN’ ! » cria-t-elle en lui donnant une pichenette sur le front.
Genbu la relâcha pour venir placer les mains sur son front là où elle venait de le frapper.
« Oooooooow… Mais pourquoi ? »
Cho était debout et respirait bruyamment.
« m***e, c’était quoi ça ?
_ Quoi, quoi ? Demanda, toujours à moitié endormi le Seigneur du Nord.
_ Joue pas au c*n avec moi, Gen’ ! Pourquoi tu m’as pris dans tes bras ? Pourquoi tu te rendors au fur et à mesure que je te parle ?! »
Genbu poussa un bâillement sonore et se gratta la poitrine. Il faisait des bruits avec sa langue, trop pâteuse, à cause de ce réveil bien trop matinal à son goût.
« Ah ? Bah j’en ai foutrement aucune idée, Cho… Faut croire que les matins me détestent… et moi aussi je les déteste… du coup, on se déteste mutuellement et on préfère s’ignorer…
_ Quoi ?
_ Ouais…Fit Genbu en tentant difficilement de garder les yeux ouverts. Tu sais, nous les Tortues… on n’est pas des rapides… »
Cho se pinça l’arrête du nez. Inconsciemment, elle avait pris cette habitude à force de voir Daichi le faire. Elle pouvait sentir la migraine lui monter peu à peu à la tête.
« T’es en train de me dire que je vais devoir vivre ça tous les matins ? »
Genbu émit un rot sonore et sembla chercher quelque chose des yeux, sans succès.
« m***e. » souffla Cho.
Elle sursauta en le voyant se lever du lit. Un cri silencieux quitta ses lèvres lorsqu’elle se rendit compte qu’il était complètement nu et qu’il venait droit sur elle.
Genbu se pencha sur le côté alors que, juste quelques centimètres les séparaient, et prit son grand kimono noir. Il le passa autour des épaules et traina les pieds pour s’asseoir sur un grand coussin placé au sol. Puis, il posa le menton sur la table et attendit son petit-déjeuner.
Cho se ressaisit et revint avec un plateau de fruits, une salade et une soupe de poisson à base de riz qu’elle avait elle-même préparé.
Genbu saisit ses baguettes et faisait des efforts monstrueux pour maintenir les yeux ouverts. Il commença par attraper le bol de soupe fumante de la main gauche et ses yeux s’écarquillèrent lorsque le liquide épais toucha ses lèvres. Il avala goulûment le reste et se lécha les lèvres avant de fixer la salade. Il n’arrivait pas à identifier le légume blanc et filandreux qui lui avait été servi.
« C’est quoi ? Demanda-t-il avec curiosité.
_ Une spécialité de mon île… de la méduse. Vous avez le droit de ne pas aimer… mais comme vous ne mangez pas de viande et qu’on vous appelle « Tortue Noire », je me suis dit qu’il fallait que je vous fasse goûter… »
Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’il plongea les baguettes dans la salade et prit une grosse quantité de méduse coupée finement.
Il mâchouilla à grand bruit avant d’avaler. Puis il regarda les fruits et saisit une orange.
Cho s’agenouilla à côté de lui et lui retira de la main, avant de se mettre à la peler.
Genbu se mit à chantonner et termina la salade de méduse.
Cho sursauta en le voyant se pencher directement sur ses mains pour attraper entre les dents le quartier d’orange qu’elle venait de préparer pour lui.
« m***e. Ne fais pas ça !
_ Quoi ?
_ Mange correctement. »
Genbu sembla songeur un instant puis fit oui de la tête. Étrange… l’orange mangée à même la main de Cho semblait avoir meilleur goût.
« Je veux encore ça demain matin… dit-il.
_ La soupe de poisson ?
_ Et la salade de méduse… ce truc est surprenant, mais pas dégueu. Et puis si ça nous permet de réguler la population de méduse en mer, c’est que mieux…
_ Je peux t’en préparer encore demain, dit Cho, un léger sourire aux lèvres, mais pas si tu ne te réveilles pas rapidement.
_ Hein ? Sursauta Genbu.
_ C’est d’accord Gen’… Si tu te réveilles quand je te le demande, tu pourras avoir le petit déjeuner de Cho… sinon, tu mangeras juste un fruit et c’est tout, dit-elle en le maternant.
_ Mais… Mais… mais… les matins ne nous aiment pas… commença à protester Genbu.
Cho prit de l’air entre les dents et il se tut aussitôt.
Genbu attrapa le bol de soupe et utilisa son pouce pour racler le fond.
« Je peux t’en donner encore, si tu veux, j’en ai fait suffisamment pour tout le monde, ce matin. »
Genbu fit oui de la tête et lui tendit son bol. Au moment où elle allait prendre l’objet, il saisit son poignet et la tira vers lui. Il ferma les yeux et lui murmura à l’oreille.
« Écoute bien ce que je vais te dire, Cho. Si jamais je ne me réveille pas, appelle-moi par mon nom.
_ Tu te fous de moi ? Je n’ai fait que ça !
_ Non. Appelle-moi par mon vrai nom. »
Il approcha les lèvres près de son oreille et lui confia le secret de son autre prénom.
« Même mes frères ni personne d’autre ne le connait… dit-il en relâchant son poignet.
_ Et… j’ai le droit de le connaître ?
_ Bah… t’es mon aide oui ou non ?
_ Oui…
_ Bah voilà. Maintenant, je veux mon autre bol de soupe, s’il-te-plaît, Cho. »