(Sur un des fleuves traversant les Terres du Si Shou)
« _ Mais qu'est-ce qu'il fait ? » Cho était abasourdie de voir le Seigneur des Terres du Nord se frapper le front sur le gouvernail du navire.
Elle était tranquillement assise au sol, réparant les filets abîmés.
Daichi, qui contrôlait l’état des cordages du bateau, se retourna pour regarder à son tour son capitaine.
« _ Ah ! Depuis combien de jours es-tu à bord avec nous ? Demanda Daichi.
_ Une quinzaine si je ne me trompe pas. Ça a un rapport avec le fait qu’il se frappe le crâne sur le gouvernail ? »
Daichi fit mine de compter sur ses doigts.
« _ Si mes comptes sont bons, ça fait seize jours qu’on n’a pas mené de batailles… depuis l’attaque des démons sur ton île. Et ça, vois-tu, c’est le résultat qu’on obtient quand ce c****n ne se bat pas… ou n’a pas bai.sé depuis un moment, répondit le quartier-maître.
_ Je suis surprise comment tout le monde le traite comme si c’était un des nôtres. Jamais j’aurais pu penser qu’on puisse traiter un prince de c****n aussi ouvertement. »
Daichi croisa les bras sur sa poitrine et acquiesça en fermant les yeux.
« _ Tu n'as pas idée du nombre de fois où j’oublie que c’est le Seigneur des Terres du Nord, pire un des princes du Si Shou. Il faudra juste que toi et moi on fasse attention quand on arrivera sur les Terres de l’Est, dit-il.
_ Pourquoi ?
_ Gen’ a décidé que tu nous accompagnerais au palais. Tu vas m’aider à surveiller que ce c****n ne fasse pas de conneries plus grosses que lui… »
Cho sursauta en apprenant la nouvelle.
« _ Mais… mais je suis une roturière… juste une pêcheuse, au pire, une réparatrice de filets… je n’ai pas le droit d’entrer dans un palais ! Même les gens vivants sur des îles savent ça !
_ Ne t'inquiète pas. Tu entres comme faisant partie du personnel. Et puis, il fait tellement de bizarreries au quotidien, que personne ne remettra en question ta présence à ses côtés. »
Daichi avait posé sa main sur la tête de Cho et avait fait mine de la décoiffer par affection. Son geste eut pour effet de défaire le turban blanc que portaient les marins pour se protéger du soleil.
Cho se mit à rire à gorge déployée. Puis elle s’arrêta soudain en sentant les mèches folles toucher différentes zones de son visage.
« _ Daichi, tu peux me trouver quelqu’un qui pourrait me couper les cheveux ? Ici ça ne choque personne, mais je ne pense pas que je devrais me rendre dans un palais avec cette tête, déclara-t-elle en se montrant du doigt.
_ T’as raison, viens, on va demander à Jun de faire quelque chose. »
Il lui prit le poignet et commença à la guider vers un groupe de marin qui s’occupait des voiles du navire.
Ils firent à peine quelques pas, que le corps imposant de la Tortue Noire vint entraver leur chemin.
Genbu croisa les bras sur sa poitrine et se pencha vers Daichi et Cho. Puis, il regarda la main de son quartier-maître tenant le poignet de la jeune femme et plissa les yeux.
« _ Il se passe quoi entre vous deux ? » Demanda-t-il.
Daichi soupira et relâcha son emprise sur Cho.
« _ Tu veux qu’il se passe quoi entre nous, Gen’ ? Daichi avait pris un ton agacé.
_ Je ne sais, à toi de me le dire ? Moi, je bosse comme un fou au gouvernail pendant que je vous entends rire aux éclats et vous tripoter sous mes yeux… Il fit un pas en avant, dominant ses deux marins de toute sa hauteur. »
Daichi recula et plaça instinctivement Cho derrière lui.
La mâchoire de Genbu se serra.
« _ Qu’est-ce que tu fous, Daichi ? Tu crois que je vais faire du mal à Cho ? Il l’avait subitement saisi par le col de sa tenue et frappa son front contre le sien.
_ Non. J’ai juste peur que ta connerie la contamine », répondit Daichi en renvoyant à son tour un coup de tête dans celle du Seigneur des Terres du Nord.
Cho les attrapa tous les deux par les bras et les sépara. Les deux hommes furent choqués de l’aisance avec laquelle elle s’y était pris. Elle leva un doigt en direction de chacun d’entre eux et montra vers le sol.
« _ Assis. »ordonna-t-elle.
Les deux hommes semblèrent bondir pour s’asseoir, à genoux, au sol.
Cho s’accroupit entre les deux, posant ses avant-bras sur ses genoux. Elle passa une main agacée sur ses yeux et soupira bruyamment.
« _ Seigneur du Nord… commença-t-elle.
_ Cho, je te l’ai déjà dit, tu peux m’appeler Gen’ quand y a pas de personne extérieure à l’équipage avec nous. »
Cho prit bruyamment de l’air entre ses dents et lui fit les gros yeux.
Genbu posa ses mains sur ses genoux et regarda au sol.
« _ Seigneur du Nord, j’ai demandé de l’aide à Daichi pour ma coupe de cheveux. Il était simplement en train de me conduire à Jun », dit-elle platement.
Genbu releva la tête et la regarda de haut en bas, ne comprenant pas de quoi elle voulait parler. Pourquoi voulait-elle couper ses cheveux ?
Cho pointa du doigt vers sa tête. Genbu se rendit compte des mèches folles qui tombaient à des hauteurs différentes sur son dos et son visage. Il fit un - o - silencieux en comprenant enfin la situation.
« _ Qui t’a fait ça, Cho ? Une ombre noire était passée dans son regard. Daichi l’avait remarqué et leva un sourcil.
_ Moi-même. Un des démons me tenait par le crâne. En coupant sa main, il faut croire que j’ai coupé mes cheveux au passage. Ce n'est pas grave, ça repousse de toute façon.
_Je peux couper tes cheveux, si tu veux », dit-il.
Il sortit une lame de la manche de sa tenue et la fit tournoyer entre ses doigts.
Cho et Daichi le regardèrent d’un air abasourdi.
« _ Quoi ? Fit la Tortue Noire. Personne ici ne me laisse jamais aider !
_ Gen’… au risque de te blesser, mais… techniquement, tu sais, tu n'es pas vraiment en droit de toucher sa tête, commença Daichi en parlant comme un adulte le ferait à un enfant.
_ Quoi ? Répondit Genbu en regardant de droite à gauche. Il se rapprocha d’eux en sautillant sur ses genoux, comme si un secret terrible allait être révélé.
_ Tu sais bien Gen’… tu es un prince.
_ Ou…oui ?
_ Et les princes ne touchent pas les roturiers… »
Genbu eut un mouvement de recul et les regarda tous les deux. Il posa ses deux mains sur le plancher du navire et murmura :
« _ Mais… Pourquoi ?
_ Parce que c’est la loi du Si Shou, nous ne méritons pas de souiller ta royale peau, répondit calmement Daichi.
_ Mais tu as touché sa tête, pleurnicha Genbu.
_ Oui… parce que je suis un roturier et je suis plus âgé qu’elle.
_ Mais ce n'est pas juste ! »
Cho soupira bruyamment et ricana en regardant Daichi.
« -Pu.tain Daichi, on va nulle part là. »
Il se pinça l’arrête du nez et soupira avec plus de force à son tour.
« _ Je sais, Cho, mais il faut lui expliquer les choses. Il est un peu lent, mais je te promets que quand c’est rentré, on est tranquille pour un mois.
_ Mer.de… dans un mois on aura encore cette conversation.
_ Vous pouvez arrêter de parler comme si je n’étais pas là ?
- D’accord Gen’, recommença Daichi en prenant un air doucereux. Il fit un mouvement de cercle pour se désigner lui et Cho. Elle et moi sommes des roturiers Gen’.
-Oui, je sais.
_ Au Si Shou, les nobles ne peuvent toucher que les cheveux de leurs femmes… qui sont, elles aussi, d’origine noble, comme toi, tu sais.
- Bah oui, je sais, je ne suis pas si bête ! Répondit Genbu en croisant les bras sur sa poitrine.
- Et Cho est une… dit Daichi en attendant la réponse. »
Genbu regarda de haut en bas Cho. Un éclair passa dans ses yeux. Il se rapprocha à quelques centimètres de son visage et plissa les yeux. Il fit à nouveau un -o- muet du bout des lèvres.
« - Mer.de, il n'avait pas compris que j’étais une femme ? » Cria à moitié Cho.
Les marins, qui s’étaient rapprochés pour écouter leur conversation, éclatèrent de rire.
« - Pour ma défense, tu ne ressembles pas trop à une femme. T’es plate comme une limande, tu n'as pas de fesses et j’ai jamais vu de femme affronter un démon comme tu l’as fait sur ton île.
_ Je sais même pas si je dois me sentir insultée ou flattée », répondit Cho en serrant le poing.
Daichi posa ses deux mains sur les épaules de Cho et dégagea le col de sorte que le haut de sa chemise tombe de part et d’autre de ses bras.
Genbu poussa un cri suraigu et se cacha les yeux.
« -Gen’, dis-moi ce que tu vois ? »
Il entrouvrit ses doigts et jeta un regard vers la poitrine de Cho.
« - Des ban.dages ?
- Cho est native des îles du Nord. Les femmes là-bas se ban.dent la poitrine.
- Vraiment ? » Demanda la Tortue Noire à la jeune fille.
Cho eut un rictus moqueur et cracha sur le pont.
« - Oui, seigneur du Nord. On fait le même boulot que les hommes. On n’a pas trop envie d’être gênées ou tripotées pendant qu’on se casse le c.ul pour remonter les filets.
- Tu peux enlever tes ban.dages si tu veux.
- Non merci. »
Elle se releva et fit un signe de tête à Daichi. Ce dernier se leva et appela au loin, Jun, qu’il venait d’apercevoir.
Le marin, se chargea de couper les cheveux de la jeune fille. Elle s’était retrouvée avec une coupe si courte qu’elle savait qu’il lui faudrait plusieurs années avant qu’elle ne retrouve sa longueur d’avant.
Une voix d’homme cria subitement :
« Palais de l’Est en vue ! »
Cho se retourna en entendant des youpi de joie. Elle vit le Seigneur des Terres du Nord, les bras levés vers le ciel, faisant des mouvements d’avant en arrière avec son bassin, provoquant les rires des matelots.
« Ce soir, je peux enfin coucher !!!!! »
Daichi lui posa une main sur l’épaule et la tapota.
« - Reste vigilante sur place. Il faudra qu’on garde les yeux constamment sur lui.
_ Je m’en doute. Je sens que je vais regretter le temps où il évoluait dans un espace restreint.
- T’as même pas idée. Il vient déjà d’annoncer la couleur. Ce soir, il va se taper une des femmes de son frère.
- Quoi ?
- Je parie que ce sera Shizuku ou Asami. Ces deux gar.ces se jettent littéralement sur lui à chaque fois.
- Mais elles ne sont pas mariées à son frère ?
- Les nobles… dit-il platement en haussant les épaules. Les deux sont ambitieuses, si elles peuvent devenir la Dame du Nord, c’est tout ce qui compte pour elles.
- Mais elles ne sont pas déjà les dames de l’Est ?
- Non. Pour obtenir ce titre, il faut être la première épouse ou la favorite du Seigneur en charge des Terres. Et de ce que j’ai appris, ni l’une ni l’autre n’ont cet avantage. Les quatre princes seront présents durant les festivités. Elles feront tout pour se rapprocher de lui ou du Seigneur du Sud. Ce sont les deux seuls à ne pas avoir de favorite.
- Notre Seigneur n’a pas de harem ?
- Si. Il en a eu un. Mais il les a toutes tuées. »
La conversation fut rompue lorsque le bateau atteignit le quai.
« -Viens, faut qu’on se magne. Il est capable de sauter directement du pont. Reste en permanence à nos côtés. »
Cho fit oui de la tête, déterminée à faire en sorte à ce que ce séjour se passe sans trop de dégâts.