PréfaceJusqu’à leur extermination en Ardenne vers 1870, les loups ont fait partie de l’univers naturel et social des populations. En outre, leur souvenir fabuleux a survécu longtemps dans l’imaginaire collectif.
Aujourd’hui – première dimension occultée par la seconde, elle-même peu à peu réduite à une imagerie inconsistante –, leur présence physique naguère bien concrète est quasi totalement oubliée, sinon ignorée. Pourtant, il s’agissait d’une réalité forte, parfois obsédante : l’histoire a notamment conservé la mémoire d’hivers dont la rigueur poussait les loups, en hordes affamées, jusqu’aux portes des villes.
Cette proximité quotidienne, les analogies entre les structures sociales des meutes et celles des groupes humains, l’existence de bien d’autres traits communs, voire certaines concurrences, avaient tissé des liens très forts entre ces êtres si différents et si proches à la fois.
À l’heure actuelle encore, des documents audiovisuels prouvent que des connivences peuvent se manifester, se développer entre les uns et les autres, allant même jusqu’à des « dialogues » significatifs, comme en témoignent des expériences menées dans le Grand Nord canadien.
Ces phénomènes aussi merveilleux que mystérieux ont accrédité jadis non seulement la croyance en l’existence de complicités entre les loups et certains hommes, mais également la conviction d’une compréhension réciproque qui ne se développait pas uniquement dans des échanges de langage, et que l’on considérait toujours avec méfiance, sinon effroi.
Vérité ou légende ? Il n’est pas aisé de faire la part des choses…
Il est certain par contre que les dernières années du XVIIIe siècle, avec leur long cortège de guerres, de famines, d’invasions, de pillages, d’épidémies, avec leurs charniers et leurs misères, ont porté au paroxysme la violence et son cortège de malheurs, aux dépens des deux sociétés, celle des gens de nos campagnes et celle des loups de nos forêts.
Mais c’est aussi dans l’agitation tumultueuse de ce chaudron de l’Histoire que sont nées les grandes idées modernes des droits de l’homme et de l’indépendance des peuples.
Ceci est un roman. Que la chose soit bien entendue. C’est l’histoire de plusieurs destinées – hommes et loups – parfois convergentes, toujours vraisemblables, sinon vraies.
J’ai choisi d’en développer l’intrigue dans un contexte historique précis, avec pour cadre une région bien définie : cette partie du Luxembourg belge qui forma jadis le duché de Bouillon et ses alentours, entre 1789, année de la Révolution française, jusqu’en 1815, fin de l’Empire.
Ce fut en effet une période très troublée, riche en événements variés, sociaux et militaires.
Mon premier but est d’évoquer ces temps très durs à vivre, et, ainsi, rendre hommage à la ténacité des peuples, à leur courage, à l’immense générosité du cœur qui semblait être une grande qualité des gens simples de l’Ardenne.
Mon second objectif se veut un peu plus ambitieux. À partir des souvenirs laissés par quelques personnages hauts en couleur de cette époque lointaine, et en imaginant les liens qui auraient pu les relier entre eux comme à certains faits dramatiques, j’ai tenté d’aller au-delà des relations historiques souvent désincarnées, cherchant à ranimer les vies, donnant du relief et du mouvement à des images d’Épinal, pour faire pressentir combien, derrière la linéarité d’un récit, la sécheresse d’une évocation, le trait d’un dessin, en deçà des chiffres, des attendus, il y a eu d’émotions, de passions, de bonheurs ou de drames.
D’aucuns croiront découvrir, derrière tel ou tel nom, les silhouettes bien réelles de personnages précis qui défrayèrent les chroniques du temps. Je reconnais que certaines destinées ne doivent pas être enrichies d’une grande part d’imaginaire pour entrer de plein droit dans le monde du romanesque.
Pourquoi un auteur ne pourrait-il pas leur permettre de revivre sous d’autres noms et les accompagner, dans son récit, au hasard d’une seconde existence, à la découverte de leur temps comme des liens profonds ou capricieux qui tissent la synthèse d’une époque ? Mais alors… est-ce encore vraiment un roman ?
Je remercie vivement celles et ceux qui, par la minutie de leurs travaux scientifiques ou historiques, m’ont donné accès à l’authenticité.
L’auteur