Chapitre IVPendant que le baron Thérance faisait ce triste tableau de la ville de Nancy, le 27e régiment de lanciers s’en approchait, parcourant la plaine la plus triste du monde ; le terrain sec et pierreux paraissait ne pouvoir rien produire. C’est au point que Lucien remarqua un certain endroit, à une lieue de la ville, duquel on n’apercevait que trois arbres en tout ; et, encore celui qui croissait sur le bord de la route était tout maladif et n’avait pas vingt pieds de haut. Un lointain fort rapproché était formé par une suite de collines pelées ; on apercevait quelques vignes chétives dans les gorges formées par ces vallées. À un quart de lieue de la ville, deux tristes rangées d’ormes rabougris marquaient le cours de la grande route. Les paysans que l’on rencontrait avaient l’air misérable et étonné. « Voilà donc la belle France ! » se disait Lucien. En approchant davantage, le régiment passa devant ces grands établissements utiles, mais sales qui annoncent si tristement une civilisation perfectionnée, l’abattoir, la raffinerie d’huile, etc. Après ces belles choses, venaient de vastes jardins plantés en choux, sans le plus petit arbuste.
Enfin, la route fit un brusque détour, et le régiment se trouva aux premières barrières des fortifications, qui, du côté de Paris, paraissent extrêmement basses et comme enterrées. Le régiment fit halte et fut reconnu par la garde. Nous avons oublié de dire qu’une lieue auparavant, sur le bord d’un ruisseau, on avait fait la halte de propreté. En quelques minutes les traces de boue avaient disparu, les uniformes et le harnachement des chevaux avaient repris tout leur éclat.
Ce fut sur les huit heures et demie du matin, le 24 de mars 183*, et par un temps sombre et froid, que le 27e régiment de lanciers entra dans Nancy. Il était précédé par un corps [de musique] magnifique et qui eut le plus grand succès auprès des bourgeois et des grisettes de l’endroit : trente-deux trompettes, vêtus de rouge et montés sur des chevaux blancs, sonnaient à tout rompre. Bien plus, les six trompettes formant le premier rang étaient des nègres, et le trompette-major avait près de sept pieds.
Les beautés de la ville et particulièrement les jeunes ouvrières en dentelle se montrèrent à toutes les fenêtres et furent fort sensibles à cette harmonie perçante ; il est vrai qu’elle était relevée par des habits rouges chamarrés de galons d’or superbes, que portaient les trompettes.
Nancy, cette ville si forte, chef-d’œuvre de Vauban, parut abominable à Lucien. La saleté, la pauvreté, semblaient s’en disputer tous les aspects, et les physionomies des habitants répondaient parfaitement à la tristesse des bâtiments. Lucien ne vit partout que des figures d’usuriers, des physionomies mesquines, pointues, hargneuses. « Ces gens ne pensent qu’à l’argent et aux moyens d’en amasser, se dit-il avec dégoût. Tel est, sans doute, le caractère et l’aspect de cette Amérique que les libéraux nous vantent si fort. »
Ce jeune Parisien, accoutumé aux figures polies de son pays, était navré. Les rues étroites, mal pavées, remplies d’angles et de recoins, n’avaient rien de remarquable qu’une malpropreté abominable ; au milieu coulait un ruisseau d’eau boueuse, qui lui parut une décoction d’ardoise.
Le cheval du lancier qui marchait à la droite de Lucien fit un écart qui couvrit de cette eau noire et puante la rosse que le lieutenant-colonel lui avait fait donner. Notre héros remarqua que ce petit accident était un grand sujet de joie pour ceux de ces nouveaux camarades qui avaient été à portée de le voir. La vue de ces sourires qui voulaient être malins coupa les ailes à l’imagination de Lucien : il devint méchant.
Avant tout, se dit-il, je dois me souvenir que ceci n’est pas le bivouac : il n’y a point d’ennemi à un quart de lieue d’ici ; et, d’ailleurs, tout ce qui a moins de quarante ans, parmi ces messieurs, n’a pas vu l’ennemi plus que moi. Donc, des habitudes mesquines, filles de l’ennui. Ce ne sont plus ici les jeunes officiers pleins de bravoure, d’étourderie et de gaieté, que l’on voit au Gymnase ; ce sont de pauvres ennuyés qui ne seraient pas fâchés de s’égayer à mes dépens ; ils seront mal pour moi, jusqu’à ce que j’ai eu quelque duel, et il vaut mieux l’engager tout de suite, pour arriver plutôt à la paix. Mais ce gros lieutenant-colonel pourra-t-il être mon témoin ? J’en doute, son grade s’y oppose ; il doit l’exemple de l’ordre… Où trouver un témoin ? »
Lucien leva les yeux et vit une grande maison, moins mesquine que celles devant lesquelles le régiment avait passé jusque-là ; au milieu d’un grand mur blanc, il y avait une persienne peinte en vert-perroquet. « Quel choix de couleurs voyantes ont ces marauds de provinciaux ! »
Lucien se complaisait dans cette idée peu polie, lorsqu’il vit la persienne vert-perroquet s’entrouvrir un peu ; c’était une jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques et l’air dédaigneux : elle venait voir défiler le régiment. Toutes les idées tristes de Lucien s’envolèrent à l’aspect de cette jolie figure ; son âme en fut ranimée. Les murs écorchés et sales des maisons de Nancy, la boue noire, l’esprit envieux et jaloux de ses camarades, les duels nécessaires, le méchant pavé sur lequel glissait la rosse qu’on lui avait donnée, peut-être exprès, tout disparut. Un embarras sous une voûte, au bout de la rue, avait forcé le régiment à s’arrêter. La jeune femme ferma sa croisée et regarda, à demi cachée par le rideau de mousseline brodée de sa fenêtre. Elle pouvait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Lucien trouva dans ses yeux une expression singulière ; était-ce de l’ironie, de la haine, ou tout simplement de la jeunesse et une certaine disposition à s’amuser de tout ?
Le second escadron, dont Lucien faisait partie, se remit en mouvement tout à coup ; Lucien, les yeux fixés sur la fenêtre vert-perroquet, donna un coup d’éperon à son cheval, qui glissa, tomba et le jeta par terre.
Se relever, appliquer un grand coup du fourreau de son sabre à la rosse, sauter en selle fut, à la vérité, l’affaire d’un instant ; mais l’éclat de rire fut général et bruyant. Lucien remarqua que la dame aux cheveux d’un blond cendré souriait encore, que déjà il était remonté. Les officiers du régiment riaient, mais exprès, comme un membre du centre, à la Chambre des députés, quand on fait aux ministres quelque reproche fondé.
– Quoique ça, c’est un bon lapin, dit un vieux maréchal des logis à moustaches blanches.
– Jamais cette rosse n’a été mieux montée, dit un lancier.
Lucien était rouge et affectait une mine simple.
À peine le régiment fut-il établi à la caserne et le service réglé, que Lucien courut à la poste aux chevaux, au grand trot de sa rosse.
– Monsieur, dit-il au maître de poste, je suis officier comme vous voyez, et je n’ai pas de chevaux. Cette rosse, qu’on m’a prêtée au régiment, peut-être pour se moquer de moi, m’a déjà jeté par terre, comme vous voyez encore ; et il regarda en rougissant des vestiges de boue qui, ayant séché, blanchissait son uniforme au-dessus du bras gauche. En un mot, monsieur, avez-vous un cheval passable à vendre dans la ville ? Il me le faut à l’instant.
– Parbleu, monsieur, voilà une belle occasion pour vous mettre dedans. C’est pourtant ce que je ne ferai pas, dit M. Bouchard, le maître de poste.
C’était un gros homme à l’air important, à la mine ironique et aux yeux perçants ; en faisant sa phrase, il regardait ce jeune homme élégant, pour juger de combien de louis il pourrait surcharger le prix du cheval à vendre.
– Vous êtes officier de cavalerie, monsieur, et sans doute vous connaissez les chevaux.
Lucien ne répliquant pas par quelque blague, le maître de poste crut pouvoir ajouter :
– Je me permettrai de vous demander : Avez-vous fait la guerre ?
À cette question qui pouvait être une plaisanterie, la physionomie ouverte de Lucien changea instantanément.
– Il ne s’agit point de savoir si j’ai fait la guerre, répondit-il d’un ton fort sec, mais si vous, maître de poste, avez un cheval à vendre.
M. Bouchard, se voyant remis à sa place aussi nettement, eut quelque idée de planter là le jeune officier ; mais laisser échapper l’occasion de gagner dix louis ; mais, surtout, se priver volontairement d’un bavardage d’une heure, c’est ce qui fut impossible pour notre maître de poste. Dans sa jeunesse il avait servi et regardait les officiers de l’âge de Lucien comme des enfants qui jouent à la chapelle.
– Monsieur, reprit Bouchard d’un ton mielleux, et comme si rien ne se fût passé entre eux, j’ai été plusieurs années brigadier et ensuite maréchal des logis au 1er de cuirassiers ; et en cette qualité blessé à Montmirail en 1814, dans l’exercice de mes fonctions ; c’est pourquoi je parlais de guerre. Toutefois, quant aux chevaux, les miens sont des bidets de dix à douze louis, peu dignes d’un officier bien ficelé et requinqué comme vous, et bons tout au plus à faire une course ; de vrais bidets, quoi ! Mais si vous savez manier un cheval, comme je n’en doute pas (ici les yeux de Bouchard se dirigèrent sur la manche gauche de l’élégant uniforme, blanchi par la boue, et il reprit malgré lui le ton goguenard)… si vous savez manier un cheval, M. Fléron, notre jeune préfet, a votre affaire : cheval anglais vendu par un milord qui habite le pays et bien connu des amateurs, jarret superbe, épaules admirables, valeur trois mille francs, lequel n’a jeté par terre M. Fléron que quatre fois, par la grande raison que ledit préfet n’a osé le monter que quatre fois. La dernière chute eut lieu en passant la revue de la garde nationale, composée en partie de vieux troupiers, moi, par exemple, maréchal des logis…
– Marchons, monsieur, reprit Lucien avec humeur ; je l’achète à l’instant.
Le ton décidé de Lucien sur le prix de trois mille francs et sa fermeté à lui couper la parole enlevèrent l’ancien sous-officier.
– Marchons, mon lieutenant, répondit-il avec tout le respect désirable. Et il se mit en marche à l’instant, suivant à pied la rosse dont Lucien n’était pas descendu. Il fallut aller chercher la préfecture dans un coin reculé de la ville, vers le magasin à poudre, à cinq minutes de la partie habitée ; c’était un ancien couvent, fort bien arrangé par un des derniers préfets de l’Empire. Le pavillon habité par le préfet était entouré d’un jardin anglais. Ces messieurs arrivèrent à la porte en fer. Des entresols où étaient les bureaux, on les renvoya à une autre porte ornée de colonnes et conduisant à un premier étage magnifique où logeait M. Fléron. M. Bouchard sonna ; on fut longtemps sans répondre. À la fin un valet de chambre fort affairé et très élégant parut et fit entrer dans un salon mal en ordre. Il est vrai qu’il n’était qu’une heure. Le valet de chambre répétait ses phrases habituelles d’une gravité mesurée sur la difficulté extrême de voir M. le préfet, et Lucien allait se fâcher, lorsque M. Bouchard en vint aux mots sacramentels :
– Nous venons pour une affaire d’argent qui intéresse M. le préfet.
L’importance du valet parut se scandaliser ; mais il ne remuait pas.
– Eh, pardieu ! c’est pour vous faire vendre votre Lara, qui jette si bien par terre votre M. le préfet, ajouta l’ancien maréchal des logis.
À ce mot, le valet de chambre prit la fuite, en priant ces messieurs d’attendre.
Après dix minutes, Lucien vit s’avancer gravement un jeune homme de quatre pieds et demi de haut, qui avait l’air à la fois timide et pédant. Il semblait porter avec respect une belle chevelure tellement blonde qu’elle en était sans couleur. Ces cheveux, d’une finesse extrême et tenus beaucoup trop longs, étaient partagés au sommet du front par une raie de chair parfaitement tracée et qui divisait le front du porteur en deux parties égales, à l’allemande. À l’aspect de cette figure, marchant par ressorts, et qui prétendait à la fois à la grâce et à la majesté, la colère de Lucien disparut ; une envie de rire folle la remplaça, et sa grande affaire fut de ne pas éclater. Cette tête de préfet, se dit-il, est une copie des figures de Christ de Lucas Cranach. Voilà donc un de ces terribles préfets contre lesquels les journaux libéraux déclament tous les matins !
Lucien n’était plus choqué de la longue attente ; il examinait ce petit être si empesé qui approchait assez lentement, et en se dandinant ; c’était l’air d’un personnage naturellement impassible et au-dessus de toutes les impressions d’ici-bas. Lucien était tellement absorbé dans la contemplation qu’il y eut un silence.
M. Fléron fut flatté de l’effet qu’il produisait, et sur un militaire encore ! Enfin, il demanda à Lucien ce qu’il pouvait y avoir pour son service ; mais ce mot fut lancé en grasseyant et d’un ton à se faire répondre une impertinence.
L’embarras de Lucien était de ne pas rire au nez du personnage. Par malheur, il vint à se rappeler un monsieur Fléron député. Cet être-ci sera le digne fils ou neveu de ce M. Fléron qui pleure de tendresse en parlant de nos dignes ministres.
Ce souvenir fut trop fort pour notre héros, encore un peu neuf : il éclata de rire.
– Monsieur, dit-il enfin en regardant la robe de chambre, unique en son genre, dans laquelle le jeune préfet se drapait ; monsieur, on dit que vous avez un cheval à vendre. Je désire le voir, je l’essaye un quart d’heure, et je paye comptant.
Le digne préfet avait l’air de rêver ; il avait quelque peine à se rendre compte du rire du jeune officier. L’essentiel, à ses yeux, était que rien ne parût avoir pour lui le plus petit intérêt.
– Monsieur, dit-il enfin, et comme se décidant à réciter une leçon apprise par cœur : les affaires urgentes et graves dont je suis accablé m’ont, je le crains bien, rendu coupable d’impolitesse. J’ai lieu de soupçonner que vous n’ayez attendu, ce serait bien coupable à moi.
Et il se confondit en bontés. Les phrases doucereuses prirent assez de temps. Comme il ne concluait point, notre héros, qui soignait moins sa réputation d’homme d’un ton parfait, prit la liberté de rappeler l’objet de la visite.
– Je respecte, comme je le dois les occupations de M. le Préfet ; je désirerais voir le cheval à vendre et l’essayer en présence du groom de M. le préfet.
– La bête est anglaise, reprit le préfet d’un ton presque intime, de bon demi-sang bien prouvé, je l’ai eue de milord Link, qui habite ce pays depuis longues années ; le cheval est bien connu des amateurs ; mais je dois avouer, ajouta-t-il, en baissant les yeux, qu’il n’est soigné dans ce moment que par un domestique français ; je vais mettre Perrin à vos ordres. Vous pensez, monsieur, que je ne confie pas cette bête à des soins vulgaires, et aucun autre de mes gens n’en approche, etc.
Après avoir donné ses ordres en beau style et en s’écoutant parler, le jeune magistrat croisa sa robe de chambre de cachemire brochée d’or et assura sur ses yeux une façon de bonnet singulier, en forme de rouleau de cavalerie légère, qui à chaque instant menaçait de tomber. Tous ces petits soins étaient pris lentement et considérés attentivement par le maître de poste Bouchard, dont l’air goguenard se changeait en sourire amer tout à fait impertinent. Mais cette autre affectation fut en pure perte. M. le préfet, qui n’avait pas l’habitude de regarder de telles gens, quand il fut rassuré sur les détails de sa toilette, salua Lucien, adressa un demi-salut à M. Bouchard, sans le regarder, et rentra dans ses appartements.
– Et dire qu’un gringalet de ce calibre-là nous passera en revue dimanche prochain ! s’écria Bouchard ; cela ne fait-il pas suer ?
Dans sa colère contre les jeunes gens plus avancés dans le monde que les sous-officiers de Montmirail, M. Bouchard eut bientôt un autre sujet de joie. À peine le cheval anglais se vit-il hors de l’écurie, d’où la pauvre bête sortait trop rarement à son gré, qu’il se mit à galoper autour de la cour et à faire les sauts les plus singuliers ; il s’élançait de terre des quatre pieds à la fois, la tête en l’air et comme pour grimper sur les platanes qui entouraient la cour de la préfecture.
– La bête a des moyens, dit Bouchard en se rapprochant de Lucien d’un air sournois ; mais depuis huit jours peut-être M. le préfet ni son valet de chambre Perrin n’ont osé la faire sortir, et peut-être ne serait-il pas prudent…
Lucien fut frappé de la joie contenue qui brillait dans les petits yeux du maître de poste. « Il est écrit, pensa-t-il, que deux fois en un jour je me ferai jeter par terre ; tel devait être mon début dans Nancy. » Bouchard alla chercher de l’avoine dans un crible et arrêta le cheval ; mais Lucien eut toute la peine du monde à le monter, puis à le maîtriser.
Il partit au galop, mais bientôt il prit le pas. Étonné de la beauté et de la vigueur des allures de Lara, Lucien ne se fit pas scrupule de faire attendre le maître de poste goguenard. Lara fit une grande lieue, et ne reparut dans la cour de la préfecture qu’après une demi-heure. Le valet de chambre était tout effrayé du retard. Quant au maître de poste, il espérait bien voir le cheval revenir tout seul. Le voyant arriver monté, il examina de près l’uniforme de Lucien ; rien n’indiquait une chute. « Allons, celui-ci est moins godiche que les autres », se dit Bouchard.
Lucien conclut le marché sans descendre de cheval. « Il ne faut pas que Nancy me revoie monté sur la rosse fatale. » M. Bouchard, qui n’avait pas les mêmes craintes, prit le cheval du régiment. M. Perrin, le valet de chambre, accompagna ces messieurs jusqu’à la caisse du receveur général, où Lucien prit de l’argent.
– Vous voyez, monsieur, que je ne me laisse jeter par terre qu’une fois par jour, dit Lucien à Bouchard, dès qu’ils furent seuls. Ce qui me désole, c’est que ma chute a eu lieu sous les fenêtres avec persiennes vert-perroquet, qui sont là-bas, avant la voûte… à l’entrée de la ville, à cette espèce d’hôtel.
– Ah ! dans la rue de la Pompe, dit Bouchard ; et il y avait sans doute une jolie dame à la plus petite de ces fenêtres ?
– Oui, monsieur, et elle a ri de mon malheur. Il est fort désagréable de débuter ainsi dans une garnison, et dans une première garnison encore : Vous qui avez été militaire, vous comprenez cela, monsieur ; que va-t-on dire de moi dans le régiment ? mais quelle est cette dame ?
– Il s’agit, n’est-ce-pas, d’une femme de vingt-cinq à vingt-six ans, avec des cheveux blonds cendrés, qui tombent jusqu’à terre ?
– Et des yeux fort beaux, mais remplis de malice.
– C’est madame de Chasteller, une veuve que tous ces beaux messieurs de la noblesse cajolent, parce qu’elle a des millions. Elle plaide en tous lieux avec chaleur la cause de Charles X, et si j’étais de ce petit préfet, je la ferais coffrer ; notre pays finira par être une seconde Vendée. C’est une ultra enragée, qui voudrait voir à cent pieds sous terre tout ce qui a servi la patrie. Elle est fille de M. le marquis de Pontlevé, un de nos ultra renforcés et, ajouta-t-il en baissant la voix, c’est un des commissaires pour Charles X dans cette province. Ceci entre nous ; je ne veux pas me rendre dénonciateur.