4. Les jacinthes dans le Nord

2476 Words
La douleur atroce était trop intense, et les larmes brûlaient les yeux de Savvy. Elle faisait de son mieux pour ne pas crier tandis que ses ongles se plantaient dans la surface en bois du bureau de la bibliothèque. "Ce p****n de bâtard !" gronda-t-elle à travers les dents, calmant Athena du mieux qu'elle le pouvait. Toutes les deux étaient des Alphas ; elles ne pleureraient pas pour un homme, même s'il était leur compagnon de meute. Même si c'était lui qui les blessait. Surtout sachant quel genre d'homme était leur compagnon. Savannah détestait le fonctionnement du lien de compagnon. Lorsqu'elle avait découvert la trahison de Zack et avait fui avec la liste des meutes traîtresses qui complotaient pour tuer son frère, elle avait veillé à essayer de le rejeter lorsqu'elle était arrivée dans une meute voisine de félins-garous où elle était en sécurité. Mais Zack n'avait pas accepté son rejet. Elle se souvenait encore de comment il était resté là, à la frontière, nu et en colère, ses yeux noisette perçant son âme. Et elle avait craché les mots, mais il avait refusé de faire au moins ça pour elle. Il ne voulait pas la libérer, même s'il n'était pas destiné à être son véritable compagnon. Malheureusement, étant donné qu'ils étaient des compagnons choisis par la Déesse de la Lune elle-même, pour rompre leur lien, elle avait besoin de son acceptation du rejet. Et jusqu'à ce qu'il l'accepte, ils étaient liés l'un à l'autre pour toujours. Savvy détestait ça. Les compagnons étaient censés prendre soin l'un de l'autre, s'aimer inconditionnellement et tout faire pour le bien de l'autre. Mais son compagnon ne la voyait que comme une bonne option pour engendrer des petits forts et obtenir plus de pouvoir. C'était tout ce qu'elle représentait pour lui, et cela lui faisait encore plus mal que tout le reste. Elle voulait aimer et être aimée, mais tout ce qu'il voulait, c'était une épouse-trophée. C'était une chose à laquelle Savannah n'était pas destinée. Après tout ce qui s'était passé, Zack était parti parce qu'il savait que sa couverture était grillée et que Gideon serait prêt s'ils les attaquaient. Alors il avait pris la fuite, et ils ne s'étaient plus jamais revus. Mais après environ un mois, elle avait commencé à avoir ces petits rappels de son existence. Les douleurs se propageaient à travers son corps en vagues aiguës et tortueuses. Comme si quelqu'un enfonçait un couteau dans sa chair encore et encore, et tournait, tournait, tournait... La première fois qu'elle avait vécu cela, elle avait failli s'évanouir, et c'était Zara qui l'avait trouvée. Mais c'était Athena qui lui avait expliqué ce qui se passait. "C'est lui", dit le loup, essayant de réprimer les hurlements de douleur, "C'est Zack. Il est..." Elle n'avait pas besoin de finir sa phrase, car Savvy était assez futée pour comprendre. Son compagnon couchait avec quelqu'un d'autre. C'était tellement douloureux à tant de niveaux, mais elle finit par rire à travers ses larmes. Elle riait et riait tandis que ses griffes allongées laissaient des marques sur le sol en béton. Tandis que Zara la tenait et lui demandait si elle devait appeler de l'aide, Savannah secoua simplement la tête, fermant les yeux très fort. Elle ne voulait pas de la pitié de quiconque. Elle ne voulait pas non plus que sa famille s'inquiète pour elle. Eux aussi avaient déjà assez de soucis. Alors, elle fit promettre à Zara de garder son secret, et c'est l'une des raisons pour lesquelles elles étaient devenues si proches au cours des derniers mois. Avec le temps, elle apprit à tolérer cette douleur, à mieux la gérer. Elle commençait presque à s'y habituer. Heureusement, les moments intimes de Zack avec les autres étaient courts. Quelques minutes tout au plus. Rien à voir avec leur première nuit ensemble, où ils ne pouvaient plus se passer l'un de l'autre. Mais Savvy se gifla mentalement dès qu'elle laissa son esprit aller là-bas. C'était fini. Compagnon ou pas, elle devrait le tuer pour obtenir sa liberté s'il continuait à être obstiné. Savannah jura qu'elle ne se retrouverait plus jamais dans ses bras...   Deux bras forts et inconnus s'enroulèrent autour d'elle, la serrant plus fort, et c'est à ce moment-là que la douleur devint enfin sourde. Des mains ? Il ne devrait pas y avoir de mains ! Quoi ? Qui est-ce ?" marmonna Savvy avec frustration, essayant de concentrer sa vision floue sur l'homme à côté d'elle. "Terre à la femme de chambre", entendit-elle une voix familière et rauque, et cligna des yeux plusieurs fois. Qu'est-ce que tout cela signifiait ? Savannah se retrouva face au jardinier qu'elle avait rencontré plus tôt, ses yeux d'un bleu clair fixant intensément les siens, les sourcils froncés alors qu'il scrutait son visage, à la recherche d'une sorte d'explication. Il lui fallut un certain temps pour reprendre ses esprits, et elle serra les lèvres lorsqu'elle le fit, réalisant qu'il était témoin de sa faiblesse. C'était mauvais qu'il la voie ainsi de si près cette fois-ci. Il pensait toujours qu'elle était une femme de chambre, et cette partie était bonne, mais il allait bientôt la reconnaître en tant que princesse. C'était inévitable. Et qui savait ce qu'il raconterait alors aux gens ? C'était un moyen facile de déclencher un scandale. "Terre au jardinier", le repoussa-t-elle et se leva, remettant ses vêtements en place. Au moins, elle avait l'air convenable. À cet instant, la colère contre Zack emplit son cœur alors que la douleur disparut complètement. Il était fini, et elle aussi. Auparavant, il avait au moins l'habitude de s'amuser pendant les heures sombres ; maintenant, c'était encore en plein jour. C'est pourquoi elle avait été si négligente et qu'elle était allée seule à la bibliothèque. Ce qui, à son tour, avait conduit à cette situation.  "Qu'est-ce que c'était ?" L'homme était assis sur le dessus du bureau en bois qu'elle avait utilisé auparavant et suivait les marques qu'elle avait laissées sur la surface avec ses gros doigts calleux. "Tu étais... hors de toi..." "Ne finis pas cette phrase !" ordonna-t-elle d'un ton de princesse, se rappelant seulement plus tard qu'elle prétendait être quelqu'un d'autre. Le jardinier n'avait pas l'air content et sauta du bureau pour la surplomber. "Ou quoi ?" demanda-t-il, son souffle chaud caressant sa peau et son parfum terreux l'enveloppant.   Il était beaucoup plus grand que la princesse, beaucoup plus grand. Avec une aura de confiance autour de lui que les jardiniers de son royaume ne possédaient pas. Il était aussi brut et toujours pas propre.   "Ou tu le regretteras," dit-elle en souriant, en croisant les bras sur sa poitrine. "La section jardinage est par là," Savvy pointa du doigt avec son index. "Dépêche-toi. Tes roses ont vraiment besoin d'attention."   "Juste parce qu'une dame folle les a déchiquetées en morceaux," rit-il, amusé par son changement soudain de personnage.   "J'ai entendu dire qu'elle l'a fait uniquement parce qu'elles étaient moches," essaya-t-elle de s'éloigner de lui, mais il s'abaissa encore plus, inhalant son parfum et plaçant ses mains sur le bureau de chaque côté d'elle, la piégeant. Il était satisfait de lui, et les joues de Savvy rougirent, mais elle parvint tout de même à garder son calme.   "Ce n'est pas étonnant que tu détestes les roses quand tu sens les fleurs de la forêt," il était si près d'elle que sa barbe la chatouillait. Savannah n'a jamais aimé les barbes. Ni les chignons pour hommes. Ce sont deux choses qu'elle détestait. Mais Athena, qui était toujours très protectrice de leur espace personnel, était étonnamment silencieuse maintenant. Comme si elle ne voyait aucun inconvénient à ce que cet inconnu soit si près d'eux. "Clochettes des bois ?" leurs regards se croisèrent à l'entente de ces mots. Personne ne l'avait deviné du premier coup, jamais. Même pas Zack.   "Regarde-toi," la fille leva les yeux au ciel et essaya de le repousser, mais il ne bougea pas d'un pouce, "un vrai maître de ton métier ! Tu as trouvé mon parfum. Félicitations ! Maintenant, excuse-moi ? J'ai des choses à faire. Et je ne te décernerai pas de médaille pour ça."   "Est-ce pour ça que tu détestes les roses ? Parce qu'elles sont plus exquises en comparaison avec les clochettes des bois ?" la taquina-t-il, et elle n'appréciait pas.   "Exquises ?" Savvy pouffa de rire, soutenant le regard de l'homme devant elle. "Ces mauvaises herbes qui poussent pratiquement partout, qui viennent dans toutes les couleurs et qui manquent encore d'originalité. Sans parler du fait qu'elles essaient littéralement de blesser quiconque les touche. Comment peux-tu même comparer cela à la clochette des bois, une fleur si rare qu'elle a besoin d'être protégée et ne fleurit qu'une fois par an et dans les endroits les plus secrets ? Bien que peut-être tu sois simplement quelqu'un qui aime... les choses ordinaires." La façon dont elle avait dit cela l'avait soudainement touché pour une raison quelconque.   "Parlons-nous toujours de fleurs, jeune servante pleine de caractère ?" Les lèvres de l'homme s'étirèrent en un sourire.   "Je ne sais pas," Savannah leva un sourcil, "parlons-nous encore de fleurs ?"   Il s'inclina encore plus bas, et sa barbe la chatouilla à nouveau, la proximité devenant trop intense. Cependant, pour la première fois depuis Zack, Athena se comportait. Elle ne grognait pas contre l'inconnu, ne protestait pas, ne donnait pas à Savvy envie de vomir. Et c'était si nouveau et libérateur...   Mais elle devait arrêter. Il était une chose de prétendre être une servante, et c'en était une autre d'embrasser l'un des hommes du roi Kai. Elle ne risquait pas grand-chose, considérant qu'elle avait déjà un plan d'action en tête.   Alors, aussi tentant que cela puisse être de l'embrasser maintenant, elle savait qu'elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas offrir aux frères royaux du nord une telle arme contre elle.   Les lèvres de l'homme frôlaient presque les siennes lorsqu'elle lui tordit rapidement le bras, le faisant perdre l'équilibre et presque se cogner le visage sur le bureau tandis qu'elle courait de l'autre côté de la pièce.   Elle se retourna pour jeter un dernier coup d'œil vers lui et se moqua de son expression surprise. Il devait être un habitué des dames d'ici et avait l'habitude d'obtenir tout ce qu'il voulait des femmes de chambre locales, étant donné sa confiance en lui. Il était temps de lui rabattre son caquet.   "Ne savais-tu pas qu'il est interdit de cueillir des clochettes des bois ?" Savannah sourit, et le regard qu'il lui lança n'était pas celui qu'elle attendait. Elle s'attendait à de la déception ou peut-être même de la colère. Mais s'il y avait quelque chose, il était amusé.   "Ils ne poussent pas dans le Nord, petite servante," rit le jardinier, et sa respiration se bloqua un instant.   "Dommage pour le Nord," Savvy haussa les épaules. "Ils sont magnifiques au printemps."   Elle se retourna et sortit de la bibliothèque, ne souhaitant pas poursuivre cette rencontre. C'était excitant, mais tellement faux. Et elle ne pouvait pas se le permettre. Beaucoup de gens pensaient que les princesses pouvaient tout obtenir quand en réalité, la plupart des choses étaient hors de portée. Elle ne pouvait pas s'impliquer avec un simple jardinier pour de nombreuses raisons. Et cela n'avait pas d'importance s'il lui faisait vraiment sourire pour la première fois depuis longtemps.  *** Kai se tenait là où elle l'avait laissé. La servante impudente avec une langue acérée qui lui rappelait tellement quelqu'un... Elle l'énervait. Mais d'une manière qui attisait son intérêt. Qu'il devait tuer bien sûr. Sa maison était maintenant remplie de femmes appartenant à des meutes et des royaumes importants qui étaient venues ici pour rivaliser de son attention. Il ne savait toujours pas comment s'en sortir, mais une chose était certaine - il ne pouvait insulter aucune d'entre elles. Donc, une aventure avec une servante de l'ouest était exclue. Peu importe à quel point elle sentait bon, peu importe à quel point elle était attirante, peu importe à quel point son loup en voulait plus en ce moment où il tolérait à peine les femelles cherchant leur attention... Il était venu ici pour chercher des solutions à tout ce désordre, et il ne pouvait pas se laisser distraire. C'est exactement à ce moment-là qu'il a remarqué les livres que la servante lisait, et sa bouche s'est ouverte de surprise. Il a pris un des livres les plus anciens et a vu le titre sur le tome épais et antique : "Les directives des Épreuves de la Luna". En sifflant, il le prit et regarda rapidement les autres livres. Il en a compté au moins cinq, et tous parlaient des anciennes traditions du Nord. C'était une bonne chose qu'il soit littéralement impossible de les étudier aussi vite. Il savait que la petite servante travaillait pour la princesse de l'ouest. La dernière chose dont il avait besoin était que cette femme connaisse toutes les règles de l'événement. Donc, il rassembla tous les livres et se rendit dans sa chambre personnelle. Personne ne les trouverait jamais là-bas, et aucun concurrent ne serait en mesure de les utiliser pour prendre l'avantage sur les autres. Sans parler du fait qu'il voulait étudier ces vieux volumes lui-même dans l'espoir d'y trouver une échappatoire qui le libérerait de cette situation gênante. En se rendant à ses appartements, il se surprit à siffloter l'une des agaçantes chansons d'amour qu'il avait entendues à la radio en rentrant chez lui. Quelque chose qui était si éloigné de son caractère qu'il dut regarder autour de lui quand il se rendit compte de ce qu'il faisait et souffla de soulagement en constatant que personne ne l'avait vu.   ***   Savannah retrouva Kyle dehors et il lui montra le chemin de sa chambre désignée. "Ne sois pas en colère, d'accord ?" railla-t-il en la conduisant dans la direction opposée au bâtiment principal où tout le monde se dirigeait. Savvy savait que quelque chose clochait, même sans qu'il le lui explique. "Quoi, Est-ce qu'Elene m'a donné le pire logement possible ?" se moqua-t-elle. Après tout ce qui s'était passé aujourd'hui, ce n'était pas une surprise. C'était quelque chose à quoi elle s'attendait. Mais quand ils entrèrent dans les passages sombres qui menaient à une tour très lugubre, elle ne put plus retenir son rire. Cette partie du château ne semblait pas beaucoup utilisée, mais c'était un endroit idéal pour enfermer les gens et oublier leur existence. "Nous ne sommes pas les seuls ici, au moins", fit remarquer Kyle en essayant de lui remonter le moral. Il ne savait pas que quelqu'un l'avait déjà fait. "Déesse de la Lune ! Qui Elene Fionnlagh déteste autant que moi ?" Savannah éclata de rire et c'est alors qu'une porte s'ouvrit juste devant eux. La princesse poussa un cri d'émerveillement en voyant celui qui venait de sortir, celui qui serait son voisin pendant toute la durée des Épreuves de la Luna. "Je suppose que c'est moi. Ça fait longtemps, Savannah..."
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