LETTRE XIII - Réponse de mademoiselle d’Albémar à Delphine

530 Words
LETTRE XIII Réponse de mademoiselle d’Albémar à DelphineMontpellier, ce 14 mai. Non, ma chère enfant, je ne vous aurais point trouvée coupable de vous livrer à quelque intérêt pour Léonce ; et s’il avait été digne de vous, s’il vous avait aimée, je n’aurais pas trop conçu pourquoi vous auriez sacrifié votre bonheur, non à la reconnaissance que vous devez, mais à celle que vous avez méritée. Quoi qu’il en soit, hélas ! il n’est plus temps de faire ces réflexions : il n’est que trop vraisemblable qu’en ce moment ce malheureux jeune homme n’existe plus pour personne ! J’ai la triste mission de vous envoyer cette lettre. Il faut la montrer à M. Barton, et prévenir madame de Vernon et sa fille de la perte de leurs plus brillantes espérances. C’est le seul moment où j’aie éprouvé quelques bons sentiments pour madame de Vernon ; mais il n’est pas nécessaire de me joindre à tout ce que vous lui témoignerez. Celle qui est aimée de vous, ma chère Delphine, ne manque jamais des consolations les plus tendres ; et c’est vous que je plains quand vos amis sont malheureux. Je ne doute pas que ce ne soit l’indigne frère de mademoiselle de Sorane qui doive être accusé de ce crime abominable. Bayonne, ce 10 mai 1790. Comme vous êtes parente de madame de Vernon, mademoiselle, vous avez sans doute son adresse à Paris, et vous forez parvenir à un M. Barton, qui doit être chez elle à présent, la nouvelle du triste accident arrivé à son élève, qui n’a voulu dire qu’un seul mot, c’est qu’il désirait voir son instituteur, actuellement à Paris chez madame de Vernon. Ce pauvre M. Léonce de Mondoville m’était recommandé par un négociant de Madrid, et je l’attendais hier au soir ; mais je ne croyais pas qu’on me l’apportât dans ce triste, état. En traversant les Pyrénées, il a fait quelques pas à pied, laissant passer sa voiture devant lui avec son domestique ; à la nuit tombante, il a reçu deux coups de poignard près du cœur, par deux hommes qu’il connaît, à ce que j’ai pu comprendre d’après quelques mots qu’il a prononcés, mais qu’il n’a jamais voulu nommer. Son domestique, ne le voyant point venir, est retourné sur ses pas, il l’a trouvé sans connaissance au milieu du chemin de la forêt : on a appelé clés paysans, et, avec leur secours, il a été apporté chez moi sans reprendre ses sens ; on le croyait mort. Cependant depuis une heure il a parlé, comme je l’ai dit, pour demander que son instituteur vînt en toute hâte auprès de lui, et qu’on se gardât bien d’informer sa mère de son état. Le juge s’est transporté chez moi pour écrire sa déposition sur les assassins. Il a refusé de rien répondre, ce qui me paraît vraiment trop beau ; mais, du reste, il est impossible d’être plus intéressant ; et c’est avec une vraie douleur, mademoiselle, que je me vois forcé de vous apprendre que les médecins ont déclaré ses blessures mortelles. Il est si beau, si jeune, si bon, que cela fait pleurer tout le monde ; et ma pauvre famille en particulier s’en désole vivement. Ne perdez pas de temps, je vous prie, mademoiselle, pour faire venir son instituteur. Il arrivera trop tard, mais enfin il nous dira ce que nous avons à faire. J’ai l’honneur d’être, avec respect, mademoiselle, votre très humble et très obéissant serviteur. TÉLIN, négociant à Bayonne.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD