3. Didi (2/2)

1185 Words
« La Madona ! Tu me sauves la vie, Didi ! » s’exclame Alvize, le gérant de la section VIP du casino. « Ce sont mes recommandations et les photocopies de mes diplômes de cuisines et de formations que j’ai passé en Europe. J’espère ne pas te décevoir, ce soir », dis-je froidement avant de lever un sourcil à la manière qu’il a de me regarder de haut en bas. Il se rend compte de mon regard circonspect et se racle bruyamment la gorge pour en chasser la gêne : « Je n’ai pas besoin de regarder ces papiers, Didi. Dans le milieu de la restauration, la seule recommandation au-dessus de toutes les autres est celle de Dino Bonani. » Je ne peux pas retenir un rictus moqueur et je reprends mes papiers : « Dino Bonani est mon grand-père. Il pourrait très bien faire du favoritisme. » Alvize lève les deux mains au niveau de son visage et secoue la tête à la négative : « Aucune chance. Toi et moi savons parfaitement que ton grand-père est LA référence. Aucune chance qu’il fasse du favoritisme. » Je ne dis plus rien et je me contente de le regarder froidement. Il est encore en train de me reluquer. « Alvize. Je n’apprécie pas la manière que tu as de me regarder, si tu as quelque chose à me dire, fais-le maintenant. » Il se racle à nouveau la gorge et se masse la nuque : « C’est que… j’ai deux filles qui m’ont fait faux bond ce soir. » Je croise les bras sur ma poitrine et je lève le menton en attendant la suite. « Didi, est-ce que tu serais d’accord pour te faire de l’argent en plus. On a un seul VVIP qui doit venir ce soir. Il ne dînera pas et se contentera de petits-fours. Pour les VIP, je peux m’arranger avec la cuisine du Casino pour qu’elle te soulage. Tu devrais rentrer dans l’uniforme des serveuses… » « Combien ? » « Quoi ? » « On parle de combien en plus sur la paie ? », dis-je en frottant l’index et le pouce sous ses yeux. « Je peux mettre cent dollars pour une heure, le temps de servir le VVIP et ensuite, ça dépendra du pourboire qu’il te laissera. » Cent dollars ? Pour m’occuper d’un seul VVIP ? « Vendu », lui réponds-je en lui serrant aussitôt la main. * « Le fils de p**e »dis-je à voix haute lorsqu’une des serveuses m’apporte un de leurs morceaux de tissus qui sert de vêtement. Quand je travaille en cuisine, je porte la tenue habituelle des chefs. Là, je me retrouve avec un micro short en jean et un chemisier serré où je me doute que mes — filles risquent de s’échapper à tout moment du décolleté. « Ouais, mais les pourboires sont exceptionnels », me dit en riant la serveuse. « Sérieux ? » « Oh que oui. Et, n'oublie pas les talons qui vont avec, ma belle », précise-t-elle en me montrant une paire d’escarpins vertigineuse. J’attrape la paire de chaussures et je lui lance un regard horrifié : « Ça fait partie de l’uniforme ? Comment vous pouvez faire le service avec ça ? Vous devez terminer avec les pieds en sang à la fin de chaque service ! » Elle hausse les épaules en poussant un soupir : « Ouais, mais les pourboires sont exceptionnels. » « Je ne mettrais pas ces talons. » « Je parle de trois cents à cinq cents dollars de différence sans ou avec les chaussures », dit-elle en battant des cils. « Je vais mettre les talons », déclaré-je du tac au tac. « C’est bien ce que je me disais, ma belle », elle commence à sortir de la pièce et se retourne vers moi. « Et puis, tu sais, tu as de la chance. Le VVIP de ce soir est assez simple à servir. Il veut juste manger, signer des papiers et partir dîner ailleurs. Évite juste d’être dans le « bureau » à son arrivée et laisse-lui le temps de passer en revue la paperasse. Je m'en serais bien occupé, mais j'ai deux VIP qui ont spécialement demandé que je les serve à leur table ce soir. » * Mise en place : check. Ma tenue de serveuse-aguicheuse qui hurle « pour cent dollars de plus, tu peux toucher mon gars» : check. Inconfort maximal avec broyeur de cheville : check. Je me rends rapidement dans le « bureau » et je suis frappée par l’odeur qui y règne. Une vague de nostalgie me remplit l’esprit, mais je me dois me dépêcher. « Qu’est-ce que tu fais là ? », demande Alvize de l’encadrement de la porte. Je me sens comme une idiote avec mon plateau de petits fours entre les mains. Il croit que je fais quoi ici, franchement ? Je croise des yeux bleus nuits derrière Alvize et je suis en état de choc. Santo. Santo Ganovese. SANTO GANOVESE ! DI.O MI.O Il est encore plus beau que dans mes souvenirs ! Il faut que je me calme. Ok, ma fille. Ait l’air naturelle. Redresse les épaules. Pose ce foutu plateau. Putain de short de merde ! Je suis sûre qu’ils peuvent voir mon cul. Une seconde. Hé. Peut-être que Santo mate mon cul en ce moment même. CALME-TOI ANDREA BONANI ! Voilà. Tu poses ce plateau, tu te tournes. Oh misère Santo est dans l’encadrement de la porte. « Pardon », déclaré-je froidement. Nooooooooooon. Pourquoi j’ai dit ça comme ça ? En même temps comment j’allais lui parler, hein ? Hé Santo, c’est moi ton meilleur ami, Andréa qui s’est barré en Europe. Comme j’ai compris que tu ne me voyais pas comme une épouse potentielle et que c’était le seul moyen que j’aie trouvé pour accepter que tu ne m’aimerais jamais. Santo me regarde. Je me sens toute petite et belle et féminine et je voudrais qu’il me prenne dans ses bras et qu’il… PUTAIN ANDREA CALME-TOI. Santo Ganovese ne t’aime pas, ne t’a jamais aimé, ne t’aimera jamais. Les Ganovese ne se marient que par amour. Il ne sera jamais à toi. Je pousse un soupir et je traine des pieds pour me faufiler entre l’encadrement de la porte et lui. « Je vous jure, y a des gens qui bossent ici. Je n'ai pas de temps à perdre… », dis-je pour faire genre je suis quelqu’un de très occupé, même si le rêve de ma vie est de le nourrir à la petite cuillère, ou sans cuillère. GAH ! Je sens que l'on m’attrape subitement par le coude, mais mon corps passe en pilote automatique et je me dégage sans effort. Je m'aperçois que c’est Santo qui a essayé de me tenir et j’ai envie de me gifler. Putain Andrea, Santo Ganovese a voulu te toucher et tu l’en as empêché espèce d’idiote ! À quel moment une chance pareille se reproduira hein ? « Je m’appelle Santo », me déclare-t-il. Hé ? Pourquoi ? Pourquoi il me dit ça ?
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