II - Au menhir

2872 Words
II Au menhir Le fougueux Gunstan avait suivi sa mère dans un appartement où il avait promptement revêtu ce qui manquait à sa toilette, puis dans une cour entourée de bâtiments de construction récente où logeaient les personnes employées, aux parcs à huîtres qui étaient la propriété de madame de Kerpeulvan. Rien qu’en entendant la manière dont tous ses employés rendaient compte les uns des travaux agricoles, les autres du mouvement, des parcs, on devinait qu’ils avaient affaire à la véritable maîtresse de Kerpeulvan. Dans tous ces petits débats, le nom de M. de Kerpeulvan ne fut pas même prononcé. La châtelaine, une de ses belles mains posées sur l’épaule de son fils et l’autre agitant machinalement un petit trousseau de clefs retenu à sa ceinture par une fine chaînette d’acier, écoutait attentivement les rapports qui lui étaient faits et donnait immédiatement ses ordres. Personne dans le pays ne l’ignorait : toute la puissance d’action se concentrait à Kerpeulvan… dans cette belle femme blonde ; son mari était un homme intelligent et bon, mais un savant, un antiquaire qui, ne sortait guère de ses livres. La délicatesse de sa santé, sa bonté proverbiale, la grande dignité répandue sur sa personne, éloignaient le ridicule qui s’attache ordinairement à ceux qu’atteint ce renversement de l’ordre ; tout le monde le disait : l’on ne pouvait jouer plus noblement ce rôle effacé. Ses informations prises et ses ordres donnés, madame de Kerpeulvan regagna un salon situé au premier étages. Cette grande pièce était meublée avec une certaine élégance originale. Contre l’une des fenêtres était placée une table oblongue recouverte d’un tapis vert, chargée de registres et de papiers ; à l’autre se voyait un métier de tapisserie devant lequel madame de Kerpeulvan alla s’asseoir. Gunstan, se glissant sous le métier, resta debout devant la croisée ouverte. – Mère, s’écria-t-il tout à coup, je crois que j’aperçois le château de Kertan. Madame de Kerpeulvan se leva, et son regard brillant et froid darda son rayon sur la presqu’île qui dans le lointain faisait face à Kerpeulvan. Le paysage devant elle était magnifique. La mer était si limpide, qu’elle reflétait les nuances les plus délicates des nuages orangés et d’un gris lilas qui se drapaient sur un ciel d’un bleu idéal. De dessous ces larges nuées festonnées d’or, le soleil laissait tomber une pluie de rayons qui se divisaient en flèches de feu et semblaient transpercer la terre et la mer. Trois de ces rayons tombaient d’aplomb sur la pointe de la presqu’île de face, et éclairaient bizarrement un sombre bosquet de sapins que Gunstan montrait du doigt et au milieu duquel se distinguait vaguement une blanche silhouette. De quel regard madame de Kerpeulvan enveloppa la presqu’île, le bosquet, la silhouette blanche qui s’y cachait et qui ne pouvait devenir visible de cette distance que par ce jeu étrange de la lumière ! – Oui, c’est bien Kertan, dit-elle d’une voix profonde ; malheureusement le donjon se confond toujours avec la verdure des sapins. – Le donjon que tu aimes tant, mère, que je voudrais le voir. Quand me mèneras-tu à Kertan, mais quand donc ? Madame de Kerpeulvan se rassit et répondit : – Quand Kertan m’appartiendra. – Tu dis toujours cela, répondit Gunstan avec humeur, et tu ne sais pas quand Kertan sera à toi. Il fit une longue-vue de ses deux mains, regarda de nouveau la presqu’île, et, se détournant vers sa mère, lui dit : – Mère, raconte-moi l’histoire de ton enfance. – Je te l’ai racontée cent fois, Gunstan. – C’est égal, raconte-la quand même. Je sais que tu as un grand plaisir à parler de ton père. – Je l’aimais tant ! – Barba dit, et tu dis aussi, que je lui ressemble. Madame de Kerpeulvan se pencha, releva des deux mains les cheveux fauves de Gunstan, et, les rejetant en arrière de son front : – C’est frappant ! dit-elle avec une sorte d’orgueilleuse émotion. Puis elle ajouta : – Tu lui ressembles comme je lui ressemblais. – Seulement, je suis un homme, moi ! je serai grand comme lui, fort comme lui, j’aurai comme lui une grande barbe flottante. Et Gunstan caressait fièrement son petit menton imberbe. – Et tu auras de la volonté comme lui. Sais-tu que tout le monde tremblait devant son regard ? – Excepté toi. – Moi aussi, je lui obéissais. – Ah ! c’est vrai, tu es allée en pension malgré toi. – Bien malgré moi. J’avais presque ton âge, je n’avais pas quitté mon Kertan, je serais tombée malade de chagrin si je n’avais été soutenue par la pensée que j’obéissais à mon père : – C’est lui qui te fit revenir de la pension ? – Oui, juste au moment où je m’y plaisais beaucoup. – Tu ne te fâchas pas, mère ? – Je ne me fâchais jamais avec mon père, je lui obéissais toujours. – Et puis après ? – Comment après ? – Après que tu fus revenue de pension ? – Eh bien, je me repris à aimer Kertan, mes grèves, mon village, ma chèvre Bêleuse. Je repris mes promenades avec mon père sur sa jolie péniche l’Éclair, ou sur mon bon petit poney Flan. – Oui, mais tu étudiais aussi. – Un peu avec la bonne miss Drelling, miss Thé, comme je l’appelais, qui est morte peu de jours après ta naissance. – Et qui a peint pour moi le petit tableau représentant Kertan et toi en petite fille assise sur un rocher auprès de ta chèvre Bêleuse. – Pauvre miss Thé ! elle m’aimais fanatiquement. Le jour même de ta naissance elle prédit que tu serais un Trahec. – Et je le suis, mère, tandis que Nola est Kerpeulvan. – Absolument ! C’est le portrait de son père. – Papa est très bon. – Très bon. – Je l’ai bien fâché ce matin ; mais aussi Nola veut toujours m’empêcher de tuer mes oiseaux. – Pourquoi vas-tu la chercher ? Nola est très bien dans la bibliothèque avec son père, qui aime beaucoup sa société. – Mère, mais je m’ennuie seul. – Ne suis-je pas toujours avec toi ? – Toi ! c’est toujours toi ! dit Gunstan en repassant par-dessous le métier à tapisserie. Madame de Kerpeulvan arrêta sur son fils un regard de reproche, que celui-ci comprit, car il se pencha pour l’embrasser. Elle le prit dans ses bras et l’embrassa passionnément. – Oh ! dit-elle, tu as beau dire, tu aimes ta mère plus que personne au monde. – J’aime aussi à m’amuser, répondit l’enfant en s’arrachant à l’étreinte maternelle et en commençant une série de gambades dans l’appartement. Tout à coup il aperçut sa petite carabine, il bondit vers elle, la saisit et sortit en fredonnant. Il gagna la partie du château où se trouvaient les cuisines, et, s’arrêtant devant l’appartement d’où sortaient des nuages de vapeurs, il cria : – Barba ! Une vieille paysanne, au teint bronzé, aux traits sibyllins, parut sur le seuil. Elle arrêta son regard terne sur Gunstan, et un sourire passa sur ses lèvres ridées. – Ne trouves-tu pas que j’ai l’air d’un chasseur avec ma carabine, Barba ? demanda l’enfant. – D’un vrai chasseur, mon cher fils. Votre grand-père, enfant, aimait aussi à porter le fusil du fermier, qui était un fin braconnier, et vous lui ressemblez que c’est miracle. – Je lui ressemblerai, tu verras, quand j’aurai six pieds et une grande barbe. Où est l’alouette de Nola ? – Elle picotait tout à l’heure à la porte : je crois qu’elle se promène sur la plateforme. – Très bien, dit Gunstan, qui tourna l’angle de la maison et se dirigea vers la plateforme rocheuse où avait eu lieu sa discussion avec sa sœur. Il aperçut bientôt la blanche petite alouette qui voletait d’un air inquiet, et, son idée de vengeance lui traversant l’esprit comme un éclair, il épaula sa petite carabine, visa la bestiole, mais ne tira pas. Sur sa figure expressive se lisait la lutte qui s’établissait en son âme d’enfant : se vengerait-il ou ne se vengerait-il pas de Gwennola ? Il poursuivit machinalement la pauvre alouette, la visant de loin en s’adressant toujours la terrible question. À un mouvement de l’alouette, plutôt par habitude et par instinct de chasseur que par volonté délibérée, il appuya le doigt sur la gâchette. Le coup partit et la balle alla briser l’aile de l’oiseau. En le voyant rouler sur le roc, le petit tireur frappa du pied par un geste furieux et alla se jeter sur le rocher appelé la Chaise-de-César. Il y demeura, sa carabine posée en travers sur ses genoux, se rongeant les ongles et regardant d’un air sombre, et désolé les soubresauts de la pauvre alouette qui s’était remise sur ses pattes et qui s’en allait traînant son aile brisée. – Qu’est-ce qui vous rend si triste, monsieur Gunstan ? dit tout à coup une voix douce et calme près de lui. Au-dessus du dossier de la Chaise-de-César venait d’apparaître une femme d’une trentaine d’années dont le beau visage brun s’abritait sous une coiffe de tulle brodé. Gunstan montra l’alouette du doigt. – C’est l’alouette de mademoiselle Nola, reprit la paysanne ; qui l’a blessée ? – Moi. – Oh ! monsieur Gunstan, est-ce possible ? – Je ne voulais pas tout à fait la blesser, je ne sais comment mon doigt a serré la détente. – Mademoiselle Nola saura bien que vous ne l’avez pas fait exprès, ne vous désolez pas. – Nola me pardonnera, Madalen ; mais papa, qui est déjà fâché contre moi, le sera davantage encore. – Il ne faut jamais rester fâché avec son père, dit Madalen sérieusement ; écoutez votre bon ange, monsieur Gunstan, et allez tout de suite demander pardon. – Ne parle pas si haut, Madalen : si maman t’entendait ! – Madame ne m’a jamais empêché de parler suivant ma conscience, monsieur Gunstan. – Parce que tu es une bonne fille, il faut bien te passer d’être bigote, dit maman. Dis-moi, sais-tu où est papa ? – Je l’ai vu traverser le champ des Pierres plates avec Nola : en vous dépêchant, vous les attraperez avant qu’ils aient quitté la Table-de-la-Fée. Allons, monsieur Gunstan, levez-vous et allez-vous réconcilier avec votre bon père : je vois que vous en mourez d’envie. – Je n’aime pas à être fâché avec papa, répondit Gunstan en se levant, et je le fâche : toujours. Si j’allais cueillir des œillets sur les dunes pour faire le bouquet de fête de bonne-maman ? – Mademoiselle Nola en a cueilli et les amis dans l’eau. – Nola pense à tout, je voudrais ne pas avoir blessé son oiseau. Tiens, Madalen, emporte cette carabine de malheur. Je regrette beaucoup d’avoir blessé l’alouette de Nola ! – Je vais l’attraper, la soigner et la guérir peut-être, dit Madalen en prenant la carabine ; allez, mon bon petit Gunstan, allez bien vite. Sur cette dernière invitation, elle, alla prendre l’oiseau blessé et se dirigea vers la maison pendant que Gunstan, franchissant d’un bond l’agglomération de rochers placés devant lui, descendait dans un espace aride couvert de varech, et qu’embellissaient de larges touffes d’un feuillage de velours vert nacré au sein desquelles tremblait une fleur d’or. Le petit garçon traversa ce large espace, marchant sur le tapis de goémon doux, mais glissant, avec la légèreté bondissante d’un jeune faon ; puis il continua à suivre le sentier des grèves, escaladant les rochers qui formaient parfois une suite de degrés rustiques, et cherchant partout des difficultés uniquement pour le plaisir de les vaincre. Il s’arrêtait au gré de son caprice tantôt devant des anfractuosités profondes qu’il sondait de la main pour en arracher quelque petit animal étrange ou quelque belle touffe d’herbe marine, tantôt devant un joli bassin limpide creusé dans le roc dans lequel il faisait pleuvoir des galets avec une telle rapidité qu’un brillant jet d’eau semblait jaillir de dessous ses pieds, tantôt devant la mer pour regarder vaguer les bateaux, ou viser de l’œil et du doigt les oiseaux de mer qui passaient. La grève décrivait de larges sinuosités, qu’il suivit longtemps ; arrivé devant la plus profonde, il escalada la falaise, et, tournant le dos à la mer, prit un sentier à travers des champs dans lesquels le mil mûr penchait ses lourdes panaches d’or pâle ; puis il se dirigea en droite ligne vers un large monticule qui semblait avoir vomi des pierres. Gunstan en fit lentement le tour, ne rencontra pas ceux qu’il cherchait et continua de sautiller de sillon en sillon, se dirigeant cette fois vers le petit bourg de Kerlud, qui se déployait en paravent devant lui avec son mince clocher et ses toits d’ardoises et de chaume également recouverts d’une mousse qui avait la teinte chaude de goémons épars sur les rivages. Un peu avant d’arriver au bourg, il tourna à droite et bondit dans une vaste enceinte de champs sans clôtures, parsemés de rochers tachés de lichens sombres, de l’aspect le plus étrange. C’étaient des monuments druidiques fort en renom dans le monde archéologique, de grands dolmens brisés ou supportés par des piliers de granit. Gunstan marcha en droite ligne vers le géant du champ, un menhir énorme qu’on aurait pris pour un monstre marin échoué. Le bruit de ses pas était étouffé par l’herbe qui formait une sorte de tapis sur le sol desséché ; il arriva contre la cassure, et, s’accolant au roc tigré de mousses d’un beau vert bronzé, il allongea la tête. M. de Kerpeulvan, assis contre la muraille de pierre d’une seule pièce qui le garantissait du vent de mer, étudiait des figures bizarres sur un album ouvert, et Gwennola, agenouillée près de lui et appuyée sur son épaule, suivait des yeux le mouvement de son doigt. Gunstan regarda un instant ce groupe paisible, et, reculant d’un pas, il appuya son bras sur la pierre, son front sur sa main, et poussa un gros soupir que l’oreille fine de Nola perçut aussitôt. Elle tourna la tête, se pencha en arrière, reconnut son frère, se leva précipitamment et vint à lui. – Tu as du chagrin ? murmura-t-elle bien bas en appuyant ses deux mains sur les épaules de Gunstan. – Oui, soupira-t-il d’une voix rauque. – Viens demander pardon à papa : il est si bon, qu’il te pardonnera tout de suite. – Je ne sais pas demander pardon. – C’est cependant bien facile, et, puisque tu as été méchant… – Plus méchant que tu ne le penses, j’ai tiré sur ton alouette. Et Gunstan sembla vouloir enfoncer son front dans la pierre. – Et tu l’as tuée ? – Non, seulement blessée, je ne voulais pas la tuer, le coup est parti, je lui ai cassé l’aile. En prononçant ces paroles, il se détourna brusquement comme pour juger du degré d’indignation qui se peignait sur la figure de sa sœur. Nola était un peu pâle, mais elle s’empressa de répondre : – Nous la soignerons, nous la guérirons, viens trouver papa. Elle noua ses deux mains sous le bras de Gunstan et l’entraîna vers M. de Kerpeulvan. En arrivant devant lui, il tomba sur l’herbe et appuya sa tête sur les genoux de son père, qui, fermant l’album qu’il tenait à la main, fixa des yeux profonds et tristes sur le visage tourmenté de son fils. – Père ! murmura Gunstan en roulant sa tête fauve sur les genoux paternels. M. de Kerpeulvan dit tristement : – Méchant ! – Il ne le sera plus, s’écria Gwennola avec sentiment, il me l’a promis. M. de Kerpeulvan hocha tristement la tête. – Père, je ne frapperai plus Nola, murmura Gunstan, je vous le promets. – Tu me le promets ? – Je vous le jure. M. de Kerpeulvan enserra entre ses deux mains la tête ronde de Gunstan et ajouta : – Je me rappellerai cette promesse : qu’elle te soit sacrée, mon fils ! Le geste caressant de M. de Kerpeulvan parut suffisamment éloquent à Gunstan, qui, se relevant d’un bond, grimpa avec la légèreté d’un écureuil sur le gigantesque fragment de pierre qui leur faisait face. Debout à l’extrémité de cet îlot de pierre, il dominait le golfe du Morbihan, l’Océan et les terres qui entouraient les deux mers d’une ceinture d’or. Avec ses yeux de lynx, il s’amusa à compter les embarcations qui sillonnaient le golfe, puis il les décrivit et les analysa. Bricks, goélettes, forbans, sinagots, passaient dans son énumération, que M. de Kerpeulvan et Nola écoutaient avec intérêt. – Puisque tu as si bonne mémoire, Gunstan, dit M. de Kerpeulvan, pourquoi n’apprends-tu pas quelques vers comme Nola, pour les réciter demain à ta grand-mère ? – Si vous avez des vers sur la mer, papa, ou sur nos beaux dolmens, je le veux bien, répondit Gunstan. – J’en chercherai, dit M. de Kerpeulvan, qui parut enchanté de la bonne volonté de Gunstan, et je te les donnerai demain matin. – Je les voudrais ce soir, dit Gunstan. – J’ai justement Brizeux sur moi, dit M. de Kerpeulvan. Il prit un petit volume dans sa poche, le feuilleta, et, mettant un signet à une page, il le fit porter à Gunstan par Nola. Gunstan, remontant à l’extrême pointe de son Mot de pierre, ouvrit le livre et lut d’une voix éclatante et harmonieuse les vers suivants : Ces esprits ! les Bretons les appelaient des fées. Or ces dames, de gaze et de soie attifées, Depuis bien des mille ans, au doux pays d’Arvor Qui se tiennent debout au milieu des bruyères : Ces grès, dont nul savant ne sait dire le poids, Pesaient moins qu’un fétu dans leurs agiles doigts. Aussi leur tâche était bien vite terminée : À nos travaux d’un an suffirait leur journée. Pourquoi ces bons esprits ont-ils quitté nos champs ? Mes amis, ce secret est celui des méchants. – Très bien, dirent le père et la fille en frappant des mains. – Père, je les sais déjà presque, dit Gunstan. Il lut et relut des yeux les vers harmonieux du barde breton, et, fermant le livre, les déclama de mémoire. – Charmant ! dit M. de Kerpeulvan, ma mère et mon oncle seront ravis ; mais nous nous sommes oubliés, il s’agit de regagner Kerpeulvan au plus tôt. Et, ramassant à la hâte les livres et les papiers épars sur l’herbe, il s’éloigna, suivi de près par Nola et de loin par Gunstan. Pour retourner à Kerpeulvan ils ne prirent pas le chemin accidenté de la grève, mais une petite route bordée de buissons courts et maigres qui formaient une ligne de verdure au milieu des champs. Dans le chemin, Gunstan reprit son allure capricieuse ; mais Nola ne quitta pas son père : ils marchaient côte à côte, et, quand un obstacle les forçait à se séparer momentanément, ils s’attendaient toujours pour se rejoindre. Le jour commençait à baisser quand ils atteignirent la barrière de Kerpeulvan, et sur le seuil de cette haute barrière ils trouvèrent madame de Kerpeulvan dont les sourcils blonds étaient terriblement rapprochés. – Yves, dit-elle durement, à quoi penses-tu, d’emmener ces enfants aussi loin et de les garder aussi longtemps ? On dirait que tu as oublié que nous allons demain à Sainte-Anne ! Cette admonestation faite, elle s’écarta pour laisser passer son mari et sa fille, et, saisissant Gunstan entre ses bras, elle dit : – Je te défends ces promenades interminables : tu ne dois pas laisser ta mère seule, entends-tu ?
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