Chapter 8

836 Words
CHAPITRE VII L’aventure des brancardsLe plus jeune des comédiens qui entrèrent chez la Rappinière était valet de Destin. Il apprit de lui que le reste de la troupe était arrivé, à la réserve de mademoiselle de l’Étoile, qui s’était démis un pied à trois lieues du Mans. Qui vous a fait venir ici, et qui vous a dit que nous y étions ? lui demanda Destin. La peste qui était à Alençon nous a empêchés d’y aller, et nous a arrêtés à Bonnestable, répondit l’autre comédien, qui s’appelait l’Olive ; quelques habitants de cette ville que nous avons trouvés nous ont dit que vous aviez joué ici, que vous vous étiez battu et que vous aviez été blessé : mademoiselle de l’Étoile en est fort en peine et vous prie de lui envoyer un brancard. Le maître de l’hôtellerie voisine, qui était venu là au bruit de la mort de Doguin, dit qu’il avait un brancard chez lui, et, pourvu qu’on le payât bien, qu’il serait en état de partir sur le midi, porté par deux bons chevaux. Les comédiens arrêtèrent le brancard à un écu, et des chambres dans l’hôtellerie pour la troupe comique. La Rappinière se chargea d’obtenir du lieutenant général permission de jouer ; et, sur le midi, Destin et ses camarades prirent le chemin de Bonnestable. Il faisait grand chaud ; la Rancune dormait dans le brancard, l’Olive était monté sur le cheval de derrière, et un valet de l’hôte conduisait celui de devant. Destin allait de son pied, un fusil sur l’épaule, et son valet lui contait ce qui leur était arrivé depuis le Château-du-Loire jusqu’au village auprès de Bonnestable, où mademoiselle de l’Étoile s’était démis un pied en descendant de cheval, quand deux hommes bien montés, et qui se cachèrent le nez de leur manteau en passant auprès de Destin, s’approchèrent du brancard, du côté qu’il était découvert ; et, n’y trouvant qu’un vieil homme qui dormait, le mieux monté de ces deux inconnus dit à l’autre : Je crois que tous les diables sont aujourd’hui déchaînés contre moi, et sont déguisés en brancards pour me faire enrager. Cela dit, il poussa son cheval à travers les champs, et son camarade le suivit. L’Olive appela Destin, qui était un peu éloigné, et lui conta l’aventure, à laquelle il ne put rien comprendre, et dont il ne se mit pas beaucoup en peine. À un quart de lieue de là, le conducteur du brancard, que l’ardeur du soleil avait assoupi, alla planter le brancard dans un bourbier, où la Rancune pensa se trouver : les chevaux y brisèrent leurs harnais, et il fallut les en tirer par le cou et par la queue, après qu’on les eut dételés. Ils ramassèrent les débris du naufrage, et gagnèrent le prochain village du mieux qu’ils purent. L’équipage du brancard avait grand besoin de réparation : tandis qu’on y travailla, la Rancune, l’Olive et le valet de Destin burent un coup à la porte d’une hôtellerie qui se trouva dans le village. Là-dessus il arriva un autre brancard conduit par deux hommes de pied, qui s’arrêta aussi devant l’hôtellerie. À peine fut-il arrivé, qu’il en parut un autre qui venait cent pas après du même côté. Je crois que tous les brancards de la province se sont ici donné rendez-vous pour une affaire d’importance, ou pour un chapitre général, dit la Rancune, et je suis d’avis qu’ils commencent leur conférence, car il n’y a pas d’apparence qu’il y en arrive davantage. En voici pourtant un qui n’en quittera pas sa part, dit l’hôtesse ; et en effet, ils en virent un quatrième qui venait du côté du Mans. Cela les fit rire d’un bon courage, excepté la Rancune, qui ne riait jamais, comme je vous l’ai déjà dit. Le dernier brancard s’arrêta avec les autres. Jamais on ne vit tant de brancards ensemble. Si les chercheurs de brancards que nous avons trouvés tantôt étaient ici, ils auraient contentement, dit le conducteur du premier venu. J’en ai trouvé aussi, dit le second. Celui des comédiens dit la même chose, et le dernier venu ajouta qu’il en avait pensé être battu. Et pourquoi ? lui demanda Destin. À cause, lui répondit-il, qu’ils en voulaient à une demoiselle qui s’était démis un pied, et que nous avons menée au Mans. Je n’ai jamais vu de gens si colères ; ils se prenaient à moi de ce qu’ils n’avaient pas trouvé ce qu’ils cherchaient. Cela fit ouvrir les oreilles aux comédiens ; et, en deux ou trois interrogations qu’ils firent au brancardier, ils surent que la femme du seigneur du village où mademoiselle de l’Étoile s’était blessée, lui avait rendu visite et l’avait fait conduire au Mans avec grand soin. La conversation dura encore quelque temps avec les brancardiers, et ils surent les uns des autres qu’ils avaient été reconnus en chemin par les mêmes hommes que les comédiens avaient vus. Le premier brancard portait le curé de Domfront, qui venait des eaux de Bellème, et passait au Mans pour faire une consulte de médecins sur sa maladie. Le second portait un gentilhomme blessé, qui revenait de l’armée. Les brancards se séparèrent ; celui des comédiens et celui du curé de Domfront retournèrent au Mans de compagnie, et les autres où ils avaient à aller. Le curé malade descendit en la même hôtellerie des comédiens, qui était la sienne. Nous le laisserons reposer dans sa chambre, et verrons dans le chapitre suivant ce qui se passait en celle des comédiens.
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