Chapter 5

756 Words
CHAPITRE IV Dans lequel on continue de parler du sieur de la Rappinière, et de ce qui arriva la nuit en sa maisonMademoiselle de la Rappinière reçut la compagnie avec force compliments, car elle était la femme du monde qui se plaisait le plus à en faire. Elle n’était pas laide, quoique si maigre et si sèche, qu’elle n’avait jamais mouché de chandelle avec ses doigts que le feu n’y prit ; j’en pourrais dire cent choses rares, que je laisse de peur d’être trop long. En moins de rien les deux dames furent si grandes camarades, qu’elles s’entr’appelèrent ma chère et ma fidèle. La Rappinière, qui avait de la mauvaise gloire autant que barbier de la ville, dit, en entrant, qu’on allât à la cuisine et à l’office faire hâter le souper. C’était une pure rodomontade : outre son vieux valet, qui pansait même les chevaux, il n’y avait dans le logis qu’une jeune servante et une autre vieille boiteuse, et qui avait du mal comme un chien. Sa vanité fut punie par une grande confusion. Il mangeait d’ordinaire au cabaret et aux dépens des sots, et sa femme et son train si réglés étaient réduits au potage aux choux, selon la coutume du pays. Voulant paraître devant ses hôtes et les régaler, il pensa couler par-derrière son dos quelques monnaies à son valet, pour aller quérir de quoi souper : par la faute du valet ou du maître, l’argent tomba sur la chaise où il était assis, et de la chaise en bas. La Rappinière en devint tout violet, sa femme en rougit, le valet en jura, la Caverne en sourit, la Rancune n’y prit peut-être pas garde, et, pour Destin, je n’ai pas bien su l’effet que cela fit sur son esprit. L’argent fut ramassé, et, en attendant le souper, on fit conversation. La Rappinière demanda à Destin pourquoi il se déguisait le visage d’un emplâtre. Il lui dit qu’il en avait sujet, et que, se voyant travesti par accident, il avait voulu ôter aussi la connaissance de son visage à quelques ennemis qu’il avait. Enfin le souper vint, bon ou mauvais : la Rappinière but tant qu’il s’enivra, et la Rancune s’en donna aussi jusqu’aux gardes. Destin soupa fort sobrement, en honnête homme, la Caverne en comédienne affamée, et mademoiselle de la Rappinière en femme qui veut profiter de l’occasion, c’est-à-dire tant qu’elle en fut dévoyée. Tandis que les valets mangèrent et que l’on dressa les lits, la Rappinière les accabla de cent contes pleins de vanité. Destin coucha seul en une petite chambre, la Caverne, avec la fille de chambre, dans un cabinet, et la Rancune, avec le valet, je ne sais où. Ils avaient tous envie de dormir, les uns de lassitude, les autres d’avoir trop soupé, et cependant ils ne dormirent guère, tant il est vrai qu’il n’y a rien de certain en ce monde. Après le premier somme, mademoiselle de la Rappinière eut envie d’aller où les rois ne peuvent aller qu’en personne : son mari ne se réveilla qu’après, et, quoiqu’il fût bien soûl, il sentit bien qu’il était seul. Il appela sa femme, et on ne lui répondit point. Avoir quelque soupçon, se mettre en colère, se lever de furie, ce ne fut qu’une même chose. À la sortie de la chambre, il entendit marcher devant lui, il suivit quelque temps le bruit qu’il entendait, et, au milieu d’une petite galerie qui conduisait à la chambre de Destin, il se trouva si près de ce qu’il suivait, qu’il crut lui marcher sur les talons. Il pensa se jeter sur sa femme, et la saisit en criant : Ah ! p****n ! Ses mains ne trouvèrent rien, et, ses pieds rencontrant quelque chose, il donna du nez en terre et se sentit enfoncer dans l’estomac quelque chose de pointu. Il cria effroyablement au meurtre et on m’a poignardé, sans quitter sa femme qu’il pensait tenir par les cheveux, et qui se débattait sous lui. À ses cris, ses injures et ses jurements, toute la maison fut en rumeur, et tout le monde vint à son aide. En même temps, la servante, avec une chandelle, la Rancune et le valet en chemises sales, la Caverne en jupe fort méchante, Destin l’épée à la main, et mademoiselle de la Rappinière vint la dernière, et fut bien étonnée, aussi bien que les autres, de trouver son mari tout furieux, luttant contre une chèvre qui allaitait, dans la maison, les petits d’une chienne morte en couche. Jamais homme ne fut plus confus que la Rappinière. Sa femme, qui se douta bien de la pensée qu’il avait eue, lui demanda s’il était fou. Il répondit, sans savoir presque ce qu’il disait, qu’il avait pris la chèvre pour un voleur. Destin devina ce qui en était ; chacun regagna son lit et crut ce qu’il voulut de l’aventure, et la chèvre fut renfermée avec ses petits chiens.
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