Leyth

2339 Words
Leyth — Leyth ! Une voix me hèle dans mon dos. Je me retourne et souris en voyant la petite tête blonde qui me court après. — Bordel, mais tu détales comme un lapin à la fin des cours toi ! Il rit en me bousculant du coude. — Désolé, j’ai rendez-vous…Je m’excuse en souriant. — Rendez-vous ?! Depuis quand tu me fais des cachotteries Travis ?! — Mais j’t’ai rien caché du tout ! J’affirme en m’assoyant sur le banc de l’arrêt de bus.J’ai rendez-vous avec mon prof de dessin, il a dû déplacer parce que la dernière fois il n’a pas pu venir. — Ah !Donc t’as réussi à la pécho et maintenant vous vous faites des tête-à-tête à la galerie d’art du coin de la rue ? — Quoi ? Mais n’importe quoi ! On a toujours été que tous les deux pendant les cours. Puis, j’l’ai pas pécho ! Je me défends en jouant avec le bas de mon t-shirt. — Mais t’aimerais ! — … Possible. — Je le savais ! — Roh, ça va, n’en fait pas des caisses ! Ce n’est pas étonnant en même temps ; il est canon. Je marmonne avant de sourire. — Je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu, étant donné que tu le gardes jalousement pour toi ! — Je ne partage pas, va te trouver un autre prof de dessin. — Ouais, mais lui il a l’air génial si je t’écoute, en plus ça ne fait pas longtemps qu’il t’apprend. Puis, je suis sûr que mon niveau de dessin l’impressionnerait plus que le tien ! — Tu dessines aussi bien que ma bite. Je réplique en levant les yeux au ciel. — Alors je suis De Vinci ! Nous nous échangeons un regard perplexe et nous explosons d’un même fou rire incontrôlable. Puis en voyant mon bus arriver plus loin, je parviens à me calmer, et mon ami aussi. — Bon, tu m’invites ? T’as piqué ma curiosité, j’ai envie de connaître ton prof maintenant.Il dit en se levant, sachant parfaitement que mes cours de dessins ont lieu chez moi. J’ai hésité jusqu’à ce que le bus se gare devant nous puis j’ai soupiré, vaincu. — Tu ne fais pas de gaffe, pas de bruit, tu ne lâches rien qui pourrait faire foirer mon plan, tu te fais tout petit, je ne veux pas te voir, pas t’entendre, compris ? Je dis en montant dans le bus. — Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en Enfer ! Il clame en mimant de fermer sa bouche avant d’en jeter la clef. Je lève les yeux au ciel et pars m’asseoir au fond du bus. Je pose mon sac à mes pieds et le blond qui me suit fait de même. — Bon, sinon, pourquoi tu m’as couru après tout à l’heure ? — Je voulais te proposer une soirée ! — Quand ? — Dans deux jours. Y’aura de l’alcool, de la bouffe, un DJ, et de quoi fumer aussi, je crois.Il affirme fièrement en souriant. Et à ces dernières paroles, je grimace. Je ne comprends pas ces jeunes qui se sentent obligés de se mettre la tête à l’envers. Franchement, j’arrive très bien à m’amuser sans ça. Certes, parfois ça laisse mes pensées revenir au galop et ça me ruine la soirée. Mais sinon, je sais profiter hein, je ne suis pas encore totalement arriéré, je ne profite seulement pas de la soirée comme tout le monde. Disons juste que j’ai envie de me souvenir de la soirée le lendemain matin. — Leyth ? Il m’appelle. Vu ta tête, t’n’as pas l’air emballé. — Si si. Mais,ne compte pas sur moi pour me mettre une mine. Je le préviens. — Mais t’es nul ! — Non, juste responsable. Il soupire. Il a toujours été plus fêtard que moi. Et même s’il ne se cache pas pour me faire remarquer que cette facette de moi le gonfle au plus haut point, il ne m’a jamais forcé la main pour que je me retourne la tête à coup de cocktails ou de joints. Et je l’en remercie pour ça. Je crois qu’il se rappelle encore la dernière fois où j’ai fini mal à cause de l’alcool. C’était y’a deux ans, à peu près, et c’était pendant la fête d’anniversaire de ses 15 ans. À l’époque –j’ai l’impression d’être vieux en disant ça–, j’étais en couple avec un gars, Josh de son petit nom. J’ai été en crush sur lui pendant un bon moment, et après avoir forcé pendant une longue période, on a fini ensemble. C’était une grosse victoire pour moi. En lui courant après, j’ai mis ma timidité et mes angoisses de côté, alors ça me donnait l’impression d’avoir gravi l’Everest. Et le jour de l’anniversaire où mon — désormais ex- petit-ami et moi devions aller ensemble, Josh a décidé de m’annoncer qu’il me quittait pour une autre. Oui oui, UNE autre et non UN autre. Barbara. C’est drôle, mais j’associais son prénom avec un poisson –ma foi, elle en avait la tête–. Je l’ai tellement mal pris que je n’ai pas voulu rester seul chez moi à me morfondre, car il ne l’aurait pas mérité, alors je suis parti à la fête, seul, et je me suis pris une cuite colossale. Pour oublier, je crois. Oublier que je n’étais pas assez. Oublier que j’avais foiré ma seule vraie première relation. Oublier que j’avais donné mon innocence –ou du moins ce qu’il en restait– à un connard. Oublier un peu tout. Mais comme toute bonne chose a une fin… La gueule de bois a été un peu plus que rude le lendemain matin –enfin « après-midi » serait plus juste étant donné que j’ai émergé aux alentours des 17 heures–. La chute du sommet de l’Everest a été sacrément violente. En plus d’avoir le cœur en miettes, je vomissais tripes et boyaux dans la salle de bain de mon ami. J’avais un tel mal de crâne que je voulais me taper la tête sur les murs jusqu’à ce que ma cervelle remplace le papier peint. Et mes muscles étaient tellement courbaturés que, pendant un instant, je m’étais demandé si on ne m’avait pas fait la blague d’avoir remplacé mes muscles par des cailloux. Évidemment, j’avais dormi chez le blond et c’est lui qui m’avait ramassé avec des baguettes chinoises durant les trois jours qui ont suivi la fête et où mon amie « gueule de bois » ne m’avait pas lâché d’une semelle. Depuis ce jour-là, il a compris qu’il ne fallait jamais, au grand jamais, me pousser à boire. Les réminiscences de sa soirée d’anniversaire lui revenaient toujours en tête. Ça le poussait même parfois à me retirer ce qu’on appelle plus communément « le verre de trop » d’entre les mains. Parce que, soyons clairs, je ne suis pas un saint, et il m’arrive toujours de boire en soirée. — Leyth ? Eh, mon pote, t’es toujours avec moi ? Mon ami m’appelle en agitant sa main devant mes yeux. Je me rends alors compte que je m’étais perdu dans mes pensées et que je fixais un point dans le vide face à moi. Je secoue la tête et passe une main sur mon visage pour me redonner un minimum de contenance. — Oui, désolé, je me suis égaré. Je m’excuse en soupirant. — J’ai vu ça ! Il rit. Tu pensais à quoi ? — La fois où je me suis défoncé à ton anniversaire. — Oh, wôw…Il s’amuse. C’est vrai que t’étais vraiment dans un sale état. — Pas tant quand même… — Mon pote, t’as essayé de rentrer dans mon aquarium parce que t’étais une sirène et que tu voulais rejoindre ta sœur. — Ma sœur ? — Ariel. Il annonce, blasé. — Oh p****n… Pourquoi j’ne l’ai jamais su avant ?! — Parce que j’étais trop déçu de ne pas avoir pu filmer la scène, et tu ne m’aurais pas cru ! J’te jure, j’étais presque étonné de ne pas te voir essayer de te coiffer avec une fourchette. Il rit. Il m’entraîne dans son fou rire et je le bouscule du coude. Ça, j’avoue que je ne m’en souvenais pas –un peu comme tout le reste de la soirée en fait…–. — C’n’est pas bien de te moquer, j’étais émotionnellement brusqué ! Je me défends. — Ouais, mais Ariel quoi ! T’imagines un peu la tête de mes vieux si j’avais dû leur expliquer que mon aquarium était explosé parce qu’un de mes potes avait essayé de rentrer dedans ?! — Ouais, j’avoue que ça aurait été chaud…Je conçois, sans m’arrêter de rire. — Bon Polochon, lève-toi, on descend au prochain arrêt.Il m’annonce en se levant et en récupérant son sac. Je l’imite et je le suis avant de descendre du bus pour rejoindre la rue où j’habite. J’aime bien marcher, ça m’apaise. Presque autant que dessiner. J’aime quand je marche parce que du coup je me retrouve seul avec mes pensées. Dans ces moments-là, ça ne m’étonnerait même pas de voir Jiminy Cricket apparaître sur mon épaule. Je me sens beaucoup mieux enveloppé dans le silence plutôt que dans le bruit de fond constant. Je considère que c’est assez le bordel dans ma tête pour pas en plus que ça le soit à l’extérieur. En arrivant devant ma porte, je la déverrouille en silence et m’engouffre dans l’entrée, suivi de près par mon ami avant que nous déposions nos sacs au sol. Pas la peine de se soucier de la présence de ma mère à cette heure-ci ; elle travaille. Nous partons vers la cuisine et je sors une bouteille de jus de fruits avec deux verres et un paquet de gâteaux que je dépose sur l’îlot central. Nous nous assoyons sur les chaises de bar et commençons à goûter. Je pose mon coude sur la table et cale mon menton à l’intérieur de la paume de ma main. Mon index libre trouve tout seul le chemin de la surface plane pour commencer à dessiner de petites arabesques invisibles. Je les imagine danser, se rejoindre pour se séparer à nouveau. Mes yeux suivent mes gestes comme hypnotisés, et mon esprit se vide. Tant et si bien que quand mon ami assis à côté de moi veut ouvrir la bouche pour parler je lui fais signe de se taire, ce qu’il fait en rechignant. Puis je reprends mes dessins sur la table, en me berçant inconsciemment. Mon imagination prend le dessus. Au bout de plusieurs minutes, je réalise que mes paupières s’alourdissent et que je ferais mieux de m’arrêter avant de dormir pour de bon. Je me redresse et bois une gorgée de jus de fruits avant de m’étirer doucement. Et quand bien même son regard me brûlait depuis un moment, la voix du blond qui claque dans l’air ne manque pas de me faire sursauter. — T’es flippant quand tu fais ça. Il me dit sans me lâcher des yeux, comme si j’étais une bête de foire. — Quand je fais quoi ? Je demande, blasé par son attitude. — Ça ! Ce que tu viens de faire ! Quand tu te fermes comme une huître et que tu dessines des trucs vaudou là ! — Des trucs vaudou ? Je ris. — Ouais ! Tu dessines toujours plein de trucs bizarres ! Et en plus, ça te prend comme une envie de pisser avant de repartir aussitôt ! — C’était mieux quand tu te taisais… Je soupire en souriant en coin. Il me tire la langue et je le lui rends avant que des coups donnés sur la porte d’entrée ne nous tirent de nos gamineries. Je n’ai pas le temps de réagir que le blond est déjà devant la porte pour ouvrir. — Mon lapin, il ya quelqu’un pour toi ! Il crie assez fort pour que le nouvel intervenant et moi l’entendions avant d’ouvrir. Je cours vers lui et j’ai tout juste le temps d’arriver pour voir sa tête se décomposer lorsqu’il détaille la personne qui se tient sur le perron. Je lui donne un coup dans l’épaule –à cause du surnom– et m’avance vers l’arrivant. — Ferme la bouche, on dirait que t’as vu un fantôme. Je me moque –à l’intention du blond– avant de m’avancer pour faire la bise à l’intrus. Lukas, voici Nathan, un ami. Et Nathan, voici Lukas, mon prof de dessin. — Alors c’est lui, le fameux ? Oh la vache. Je ris, mal à l’aise, et écrase le pied du blond avant de faire rentrer Lukas. — Tu peux aller dans le salon, je vais chercher mes affaires de dessin et je te rejoins. Ça ne te dérange pas si Nathan reste pendant la leçon ? — Non non, pas du tout.Il sourit. J’attrape la main de mon ami pour le tirer dans ma chambre. Une fois en haut, je ferme la porte –afin d’insonoriser un peu– et je prends mon carnet de croquis pour le frapper avec. — Non, mais tu vas passer par la fenêtre toi ! Je dis en rassemblant mes affaires. — Mais je n’ai rien fait ! Il se défend. — On aurait dit une collégienne des années 2007 qui rencontrait Bill Kaulitz de Tokyo Hôtel ! — Nah, Georg est plus canon. — Tout le monde sait que Tom lui fait de l’ombre, mais ce n’est pas la question ! — Mais t’es sûr qu’il est prof de dessin ?! Il a un physique de surfeur ! Là-dessus, il n’a pas tort. Lukas est blond, aux yeux verts –qui me rappelait étrangement quelqu’un dont je tairais le nom– taillé dans la pierre, un physique en V, et trop peu de défauts pour qu’il soit réel. On aurait dit un gars typique de Floride, et je me demande sincèrement ce qu’il fiche à Londres. Quoiqu’il en soit, j’ai eu beaucoup de chances d’être tombé sur lui en tant que prof de dessin –lorsque mon ancien prof est parti– au lieu de tomber sur un quarantenaire défraîchi qui donne des cours plus par dépit que par envie. — p****n, mais merde, Travis, tu m’as caché qu’il était taillé comme un dieu grec ! — Non, je t’avais dit qu’il était canon. — Eh !Il faut que tu le gardes celui-là. Il ne va pas rester sur le marché bien longtemps, crois-moi ! — Hum, Nathan, tu m’avais caché t’es tendances gay ou quoi… ? — Oh,Hell, no. J’suis bien trop accro aux nichons pour ça. Mais quoiqu’il en soit, fonce ! — Mais s’il n’est pas gay et que je me prends une veste ?! — Mon gaydar ne me trompe jamais. — Ton quoi ? — Mon radar à gays. — Quoi ? Je soupire. Laisse tomber, j’ai arrêté d’essayer de te comprendre depuis un moment. Je ris. — Mais eh ! Enfin bref. Si tu tentes quelque chose, déjà tu me tiens au courant sinon je t’arrache les oreilles. Mais surtout, fais attention. « Fin, j’veux dire… C’est ton prof de dessin, il te fait des cours à domicile, ta mère rôde dans les environs. Fais gaffe qu’elle ne vous surprenne pas en train de jouer à saute-moutons, vous allez la tuer. Il me bouscule et j’attrape les affaires que je venais de préparer en levant les yeux au ciel. — Viens, on redescend, sinon il va finir par se poser des questions. Et n’oublies pas, 0 remarque ou réaction gênante, tu te fais plus petit que ta bite, c’est clair ? Sinon je te fous dans la cave jusqu’à demain.Je le mets en garde avant de déguerpir sans lui laisser le temps de répondre. Nous rejoignons Lukas et le cours peut commencer. Tout le long je sens le regard de Nathan nous immoler, mais je ne change pas de comportement pour autant. Doucement, je me rapproche de Lukas, et quand bien même il l’ait remarqué, il ne s’éloigne pas et se laisse même approcher avec le sourire. Je compte bien l’entraîner dans mon lit, et il n’a pas l’air contre. Je suis déterminé. Et quand je veux quelque chose, je l’obtiens. Peu importe le prix. Et peu importe le temps que ça met. J’ai appris à être patient depuis 11 ans.
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