Le chien noirLe chien noir qu’elle aimait s’est perdu dans Paris.Furtif, il s’est glissé par une porte ouverte.Ce n’était qu’un ingrat ; il erre sans abri.Il fait nuit, il fait froid et la rue est déserte… Il était tout le jour bercé, soigné, choyé,Dans le berceau des mains, la chaleur d’une robe.Il ne se lassait pas cependant d’aboyerVers le bel au-delà que les portes dérobent. Sa place était marquée en le creux des coussins.La voix qui commandait était toujours câline.Il pouvait endormir son plus petit chagrinSur la plus pure et la plus blanche des poitrines… J’étais jaloux de ce rival toujours heureuxEt m’enorgueillissais pourtant de ses caresses.Un peu d’elle flottait sur son corps ténébreux,Je retrouvais sur lui le parfum de ses tresses. Je lui disais : « Ses yeux sont moins doux aujourd’hui.T’a-t-elle dit pourquoi elle fut si méchante !… »J’avais son souvenir plus vivant près de lui.Je la regrettais mieux lorsqu’elle était absente. Il est parti, l’ami gai, léger, puéril,Qu’émerveillait le vol d’un insecte qui passe,Dont la laideur avait une charmante grâce,Pour qui tout petit bruit était un grand péril. Où donc est-il, lui l’ignorant, lui le timide ?Comme il doit se blottir sous les portails obscurs !Comme il doit avoir peur de l’ombre, des grands mursEt de la flaque où luit un bec de gaz livide. Comme il doit regretter les draps frais, l’édredonOù, discret, il venait chaque matin s’étendre,Comme il doit regretter le sucre, les soins tendres,Le chaud appartement où sont les maîtres bons… Pauvre être noir errant dans une ville immense,Cher petit compagnon égaré, gémissant,Qui pleure le bonheur perdu par ta démence.Nous sommes tous les deux semblables à présent… Car, j’habitais aussi le palais de son âme.Il était magnifique, exquis, profond, sculpté,Ruisselant de satins, de velours et de flammes…C’est lorsque j’en sortis que j’ai su sa beauté… Je cherche comme toi des splendeurs disparues,Le sucre des baisers, la chaleur des coussins…Je passe, en appelant, par d’innombrables rues…Mais je ne trouverai jamais plus le chemin…