V - Ma captive.

1049 Words
V Ma captive. « Ne me luez pas, ami ! je suis une femme ! » Cette déclaration m’étonna peu ; j’y étais à demi préparé. Pendant notre galop, j’avais noté une ou deux particularités qui m’avaient amené à croire que le prétendu espion que je poursuivais était une femme. Lors du saut du fossé, le mantelet du cavalier s’étant soulevé, j’avais entrevu un corsage de velours, une sorte de tunique, et j’avais aperçu un éperon d’or et le talon d’une petite botte rouge. Ses efforts violents avaient délié ses cheveux, qui retombaient en deux longues tresses sur la croupe du cheval. Sa déclaration mit un terme à mes conjectures, mais, comme je l’ai dit, m’étonna peu. Je fus surpris cependant de son accent et de ses manières. Elle prononça ces mots avec autant de sang-froid que si toute cette scène n’avait été qu’une plaisanterie. Un ton de tristesse et non de prière prévalait dans ses paroles lorsqu’elle s’agenouilla, qu’elle passa ses lèvres sur le museau du mustang et qu’elle s’écria : — Pobre yegua ! muerte ! Hélas ! pauvre jument ! morte ! — Une femme ! dis-je en feignant la surprise. Ma question demeura sans réponse ; elle ne leva pas même les yeux. — Pobre yegua ! pobre Lola ! répéta-t-elle, comme si le mustang eût été le seul objet de ses pensées et que moi, l’assassin armé, je me fusse trouvé à cinquante milles de là. — Une femme ! repris-je dans mon embarras, ne sachant que dire. — Oui, Monsieur. Que désirez-vous ? En faisant cette réponse, elle se leva et me regarda sans le moindre indice de peur. Si inattendue était la réponse, que je ne pus m’empêcher de rire. — Vous êtes gai, Monsieur. Vous m’avez affligée ; vous avez tué ma favorite ! Je n’oublierai jamais le regard qui accompagna ces mots. Il exprimait à la fois l’affliction, la colère, le mépris et le défi. Mon rire fut aussitôt réprimé. Cette fière contenance m’humiliait. — Senorita, répartis-je, je regrette profondément la pénible nécessité où je me suis trouvé... Il aurait pu arriver pis..... — Et comment cela, je vous prie ? interrompit-elle. — Mon revolver aurait pu être dirigé sur vous-même, si un soupçon... — Ah ! s’écria-t-elle en m’interrompant de nouveau, il ne pouvait arriver rien de plus fâcheux ! J’aimais cette créature tendrement, comme j’aime la vie, comme je chéris mon père ! Pobre yegua ! Et en s’exprimant ainsi, elle s’agenouilla, passa ses bras autour du mustang et baisa le museau velouté du pauvre animal. Puis elle lui ferma doucement les paupières, se releva, croisa les bras, et contempla d’un air triste et sombre le corps inanimé. Je ne savais que faire. Je me trouvais dans une position embarrassante. J’aurais volontiers rendu la vie à la jument au prix de mes gages d’un mois ; mais la chose étant impossible, je songeai à donner une indemnité à sa propriétaire. Offrir de l’argent eût été indélicat. Que faire alors ? Je conçus une pensée qui promettait de me tirer d’embarras. L’ardeur des riches Mexicains à obtenir nos grands chevaux américains — les frisones, comme ils les appellent — était bien connue dans l’armée. Les riches propriétaires qui aimaient à parader sur le paseo en donnaient souvent des prix fabuleux. Nous avions plus d’un excellent cheval demi-sang dans la troupe. Un troupeau de bétail et de chevaux couvrait la prairie. (P. 21.) — Je lui offrirai un de ceux-là, pensai-je. Je fis l’offre aussi délicatement que je pus. Elle fut rejetée avec mépris. — Quoi ! senor, répliqua-t-elle en frappant le sol de son talon résonnant, quoi ! un cheval à moi ? Regardez ! continua-t-elle en montrant la plaine ; regardez là-bas, Monsieur. Il y a là mille chevaux : ce sont les miens. Pesez maintenant la valeur de votre offre. Ai-je besoin d’un cheval ? — Mais, senorita, balbutiai-je, ce sont des chevaux de race indigène, tandis que celui que je vous offre..... — Ah ! poursuivit-elle en désignant la jument, je n’aurais pas échangé ce cheval indigène pour tous les frisones de votre troupe. Aucun n’était son égal ! A une injure personnelle, je n’aurais pas répondu, mais ce dédain pour ma monture produisit son effet. Elle avait touché la corde sensible de ma vanité, je puis dire de mon affection. Piqué, je répliquai : — Pas un seul, Mademoiselle ? Je regardais Moro (ma monture) en parlant. Ses yeux suivirent les miens, et elle le contempla pendant quelques instants en silence. J’observai l’expression de sa physionomie, sur laquelle se peignit bientôt une vive admiration. Mon noble coursier paraissait superbe dans ce moment ; l’écume qui couvrait son cou et ses épaules contrastait avec le noir étincelant de sa robe ; ses flancs se soulevaient et retombaient en ondulations régulières ; la vapeur s’échappait de ses naseaux, son œil était en feu et son cou fièrement voûté comme s’il avait eu conscience de son récent triomphe et de l’intérêt qu’il excitait. Longtemps elle l’examina, et quoiqu’elle ne prononçât pas un mot, je vis qu’elle découvrait ses qualités. — Vous avez raison, cavalier, dit-elle d’un air pensif ; il fait exception et il était digne de lutter avec ma pauvre jument. Différentes pensées entrèrent alors dans mon esprit et me remplirent d’inquiétude ; je regrettais d’avoir attiré si minutieusement son attention sur le cheval. Je craignais qu’elle me le demandât. Je n’aurais pas échangé Moro contre son troupeau de mille chevaux ; mais que penserait-elle de l’offre que je lui avais faite si je ne consentais à lui donner le cheval qu’elle me demanderait ? Du reste, malgré mon attachement à ma monture je l’aurais accordée à ma captive. Ma position était délicate. Heureusement, un incident porta nos pensées dans un autre sens : en ce moment parurent les troupiers qui avaient quitté le village avec moi, mais que j’avais promptement distancés. Elle sembla inquiète de leur présence, chose peu étonnante à considérer leurs vêtements étranges et leurs visages farouches. Je leur ordonnai de retourner à la rancheria. Ils regardèrent un instant le mustang et sa riche housse ensanglantée, son ancien cavalier et son gracieux costume ; puis ils murmurèrent quelques mots à voix basse et se retirèrent. Je me trouvais seul de nouveau avec ma captive.
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