I

710 Words
IRobert-Robert devait ce double nom à son père et à son parrain. C’était une singularité ; mais cette synonymie est encore préférable à la prétentieuse ribambelle de prénoms dont on se plaît quelquefois à étiqueter les enfants, et qui, par leur fade ou bizarre redondance, figureraient plus convenablement sur les rébus d’un marchand de bonbons que sur les graves registres du bureau de l’état-civil. Robert-Robert venait d’atteindre à cet âge mixte qui sert de transition de l’enfance à l’adolescence : il était âgé d’un peu plus de quatorze ans. Ses traits étaient réguliers, mais d’une beauté fort ordinaire pour qui les eût examinés isolément. Ce qui les distinguait, c’était l’harmonieuse animation de l’ensemble ; c’était la vivacité de son regard, la bienveillance de son sourire, la fierté de ses sourcils parfaitement arqués, la grâce de ses cheveux bruns légèrement bouclés, le développement de son front qui dénotait une rare intelligence, la pâleur de ses joues, espèce de blanc vélin sur lequel s’écrivaient de temps en temps, par une rapide coloration, toutes les émotions qui l’agitaient fortement ; en un mot, c’était l’heureuse expression de sa physionomie ; car l’expression est la véritable beauté de l’homme. Son corps était grêle, mais souple et leste ; sa stature moyenne, mais bien découplée. Sans avoir ce qu’on appelle communément une constitution robuste, Robert-Robert avait une de ces organisations nerveuses chez lesquelles, dans les grandes occasions, l’ardeur et l’énergie morales suppléent abondamment à ce qui peut leur manquer d’ardeur et d’énergie physiques. Robert-Robert avait le cœur probe, généreux et dévoué, l’âme sincère, poétique et grande, l’esprit vif, la raison droite, le caractère plein de dignité sans morgue, de résolution calme et de ce courage réfléchi qu’on appelle intrépidité. De toutes les sortes de courage, celle-là, sans contredit, est la meilleure, peut-être même la seule bonne : les autres, dans la plupart des cas, ne sont que de sottes témérités. Je me suis plu à dessiner sans ombres le beau côté de la figure de mon héros, parce qu’au milieu des aventures dont nous entreprenons l’esquisse, c’est presque toujours par ce côté qu’il va poser devant nous, ainsi que l’indique la moralité de cette histoire. Robert-Robert avait eu le malheur de perdre son père, et, comme disait son professeur de rhétorique, le cercueil de l’un s’était creusé près du berceau de « l’autre. » La direction légale de son enfance se trouva remise aux mains de M. Dupré, le plus âgé des membres de la famille, excellent homme qui s’entendait assez peu à cultiver autre chose que des graminées et des quadrupèdes. Propriétaire de vastes prairies dans la Basse-Bretagne, M. Dupré s’était livré passionnément à l’amélioration des races bovines, chevalines et moutonnières. Il était impossible que le soin de ces intéressants élèves n’absorbât pas toute la somme d’attention dont il pouvait disposer. Heureusement pour Robert-Robert, ce fut sa mère qui se chargea de la partie morale de son éducation ; sa mère, femme remarquable à tous les âges, dont une rare beauté avait signalé la première jeunesse, et qu’adornaient, dans son âge mûr, d’éminentes vertus, d’admirables qualités : un cœur adorablement bon, une âme forte et pleine de cette résignation pieuse qui est si touchante ; un esprit singulièrement aimable, un langage plein de goût, et beaucoup de ce bon sens si délié, si sûr, qu’on rencontre particulièrement chez les femmes, lorsqu’elles veulent bien n’être pas déraisonnables. L’air des montagnes, la chasse, la course à cheval, la natation, tous les exercices gymnastiques qui remplissent la vie matérielle des champs, contribuèrent, d’autre part, à développer l’adresse de Robert-Robert et son agilité, sa force et son courage. Enfin, d’excellents maîtres se chargèrent de la partie scientifique de son éducation, avec d’autant plus de succès qu’ils opéraient sur une intelligence aussi infatigable qu’avide, aussi tenace que prompte. Les débris de la fortune paternelle permirent de ne rien négliger de tout ce qui peut activer l’instruction et la rendre plus complète. Les mérinos du tuteur, ses étalons et ses taureaux modèles se convertirent ainsi en latin, en grec, en anglais, en allemand, en italien, en géographie, en histoire, en mathématiques, en physique, en botanique, en musique, en dessin, en escrime et en danse. On ne peut employer plus spirituellement des animaux. Ce fut donc grand dommage que d’impérieuses circonstances vinssent interrompre les fructueuses études de Robert-Robert, et « changer en torrent, » comme disait encore son professeur de rhétorique, « le cours paisible et pur de ses jeunes destinées. » Mais peut-être, sous un autre point de vue, devait-il en tirer grand profit. Il est un maître, à la cuisante férule, dont les suprêmes leçons servent de complément à toutes les autres. Ce maître, c’est le malheur. Robert-Robert avait à en recevoir de bien rudes enseignements, avant de passer tout à fait homme.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD