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Dans le présent, île de Magie :
Une vague de soulagement envahit Magna. Elle n’avait pas ressenti cela depuis si longtemps qu’elle ne reconnut pas tout de suite l’émotion. Du soulagement et un sentiment de paix, autre sensation qu’elle n’avait pas connue depuis plus d’un siècle. En ce jour, elle et les Sept Royaumes seraient enfin libres. Elle devait y croire, car seule cette dernière lueur d’espoir lui permettait de ne pas perdre l’esprit. La déesse lui donnerait la force dont elle avait besoin et ils seraient tous libres.
Ses échecs et ses succès, certains récents, d’autres anciens ou déjà oubliés, l’envahirent, les lui faisant revivre à l’infini. Son cœur se serra lorsqu’elle pensa au père d’Orion qui avait été forcé de la bannir dans les profondeurs de l’océan, plus d’un siècle plus tôt. Mais cela avait permis d’isoler l’entité étrangère.
Elle avait espéré qu’avec assez de temps, elle mourrait et qu’elle serait libre de son emprise maléfique, mais ce n’était pas ce qui était arrivé. La créature avait au contraire inlassablement conspiré à la destruction de son monde.
L’île du Serpent de Mer n’étant plus aussi facile d’accès, la créature avait décortiqué ses souvenirs jusqu’à découvrir sa fascination pour le royaume natal de sa mère, l’île de Magie. Puisant dans ses compétences magiques, elle l’avait forcée à retourner sur la belle île et à trahir le peuple de sa mère.
La créature avait voulu que Magna tue quiconque résisterait. Elle les avait plutôt transformés en pierre, convaincant la créature que c’était une punition plus cruelle que la mort.
Quand la créature s’était servie d’elle pour tisser un sort qui vidait chaque nuit les habitants de l’île de Magie de leurs pouvoirs dans l’intention de les récolter pour son usage personnel, elle avait déformé les mots à la dernière seconde pour s’inclure — et par extension, l’entité — parmi ceux qui seraient sans défense la nuit. Enragée par sa bévue, la créature avait failli la tuer. Seul le besoin qu’elle avait de son corps lui avait sauvé la vie.
Au fils des ans, elle avait inlassablement tenté de mettre fin à ses jours ou de donner aux autres l’occasion de la tuer. Chaque fois, la créature l’avait empêchée de les détruire toutes les deux. Leurs vies étaient fusionnées, elle ne pouvait quitter ce monde ni exister sans Magna.
Mais finalement, son assiduité et sa patience avaient payé. À l’extérieur de la salle du trône, elle pouvait entendre la bataille qui faisait rage. Un sourire malicieux courba ses lèvres noires. Elle passa une main tremblante sur sa robe blanche. Au plus profond de son être, elle sentait la frustration et la rage croissantes de l’entité.
Dans sa soif de pouvoir, la créature s’était trop étendue et s’était amoindrie, exactement comme Magna l’avait espéré. Les attaques des forces combinées de Drago, d’Orion et des autres souverains des Sept Royaumes l’affaiblissaient, et l’alien commençait à prendre conscience qu’il courait un danger mortel.
Magna prit une profonde inspiration. Elle saurait quand le moment serait venu de porter le coup fatal. Presque un siècle d’emprisonnement s’était écoulé avant qu’elle ne conçoive un moyen de vaincre la créature parasite qui possédait son corps. Établir le plan avait pris du temps et elle avait dû attendre, tapie dans les ombres de son esprit, manipulant prudemment la créature jusqu’à ce que les pièces se mettent en place.
Elle avait arrêté de compter le nombre de fois où elle avait été forcée de commettre des atrocités contre les peuples de son monde. Ses actes de résistance avaient dû être subtils, mais ils avaient entretenu la petite lueur d’espoir qu’un jour, elle pourrait inverser ses sorts et libérer ceux qu’elle avait transformés en pierre.
Alors que les années passaient, cependant, être habitée par l’essence sombre de la créature l’avait épuisée. La tension constante de devoir lutter contre l’alien avait fragilisé son corps, mais elle s’était battue pour garder assez de forces afin de s’assurer que son sort serait assez puissant pour réussir. Ce serait son unique chance de détruire la créature. Si elle échouait, les Sept Royaumes seraient condamnés.
Prenant une autre profonde inspiration, elle passa mentalement son plan en revue. Pour que tout fonctionne, quatre choses devaient se produire. Les trois premières avaient été les plus difficiles à mettre en place, mais c’était la dernière qui était la plus importante.
Elle avait tout d’abord besoin de la magie du feu de dragon. Penser au prix élevé qu’avait payé le royaume des dragons fit déferler un raz de marée de culpabilité mêlée de chagrin en elle. L’entité en elle avait craint, à juste titre, que les dragons soient les plus à même de la détruire, et c’était ainsi que toute une espèce avait été retirée de la guerre, à l’exception d’un dragon.
Le feu de dragon brûlait avec plus d’ardeur qu’un feu classique, et aucun n’était plus intense que celui de Drago, le roi dragon, en particulier maintenant, alimenté par son besoin dévorant de vengeance. C’était pour cette raison qu’elle avait refusé de le transformer en pierre, tant d’années auparavant.
Lorsqu’elle avait brièvement pris le contrôle et s’était échappée en mer, la créature l’avait vitupérée et lui avait infligé une douleur atroce. Tout ce temps, Magna avait tenté de convaincre l’entité étrangère que laisser Drago seul était le plus intelligent à faire. Elle avait dit à la créature que seule la mort naturelle du roi dragon annulerait les sorts et les champs de force qui protégeaient le fameux pouvoir des dragons, le Cœur du Dragon. Elle lui avait également dit que le roi des dragons souffrirait davantage si elles ne le transformaient pas en pierre. Il se retirerait dans son royaume insupportablement vide et mourrait de solitude et de chagrin. Dès que les sorts seraient levés, avait-elle raisonné, elle serait en mesure de récupérer en toute sécurité le don qu’avait fait la déesse aux dragons.
La créature avait finalement cédé, mais seulement parce qu’elle avait pu sentir l’immense douleur et le silence perçant qui avaient suivi au moment où Drago s’était retiré dans sa tanière. Elle avait eu de la chance qu’il ne soit pas réellement mort de solitude et de chagrin.
Elle avait besoin de l’aide de Drago pour affaiblir et détruire les tentacules que l’entité avait postés le long du mur d’enceinte et d’une immense partie du palais lui-même pendant qu’elle se focalisait sur l’hôte parasite qui était son maître. Seul un feu créé par la magie d’un dragon pouvait blesser l’alien.
Ensuite, elle avait besoin du pouvoir du Trident d’Orion. L’énergie électrique qu’il renfermait perturberait la capacité de la créature à communiquer non seulement avec elle, mais aussi avec les créatures contre nature qu’elle avait créées à partir d’elle-même à l’aide de la magie de Magna, comme les chiens de l’enfer et les plantes grimpantes vivantes.
Le troisième élément dont elle avait besoin était une arme qui ne venait pas de son monde. Cela avait été la partie la plus ardue de son plan. Grâce à un sort découvert dans la bibliothèque du roi Oray, elle avait ouvert un portail entre les Sept Royaumes et un autre monde. Il avait permis l’arrivée de Carly Tate, déclenchant alors une série d’événements qui avaient mené à la bataille finale qui se déroulait en ce moment même.
Le dernier élément était le sort qu’elle avait soigneusement élaboré. L’entité devait avoir un hôte pour se développer. L’unique moyen de la tuer était de défaire les liens qu’elle avait tissés si longtemps auparavant, permettant ainsi à la créature de quitter son corps. L’entité en était pour le moment incapable, à moins que Magna ne meure, mais alors, elle craignait qu’elle ne trouve simplement un autre hôte.
Le minutage était primordial. Elle devait défaire les liens avec la créature qui vivait en elle et prononcer le sort pour la tuer alors que l’entité se trouvait encore à moins de deux mètres d’elle. Pendant ce temps, il fallait que les autres attaquent l’alien, perturbant ses pouvoirs et la distrayant, tandis qu’elle continuait à l’empêcher de trouver un autre hôte. Elle devait le faire tout en laissant à tous ceux présents dans la pièce le temps de s’échapper. Quiconque resterait avec elle et l’entité périrait sous la puissance du sort.
Tant de choses pouvaient mal tourner qu’elle commençait à douter sérieusement de son succès. Elle chassa ses doutes implacablement. Chaque chose horrible qu’elle avait été forcée de commettre, chaque jour de t*****e qu’elle avait subi depuis cette nuit-là, il y avait si longtemps de cela, et chaque stratagème avait mené à ce jour même. Elle refusait d’abandonner et de s’avouer vaincue.
Elle ne cilla pas lorsque les portes de la salle du trône furent projetées à l’intérieur par une explosion, le corps en feu d’un chien de l’enfer s’écroulant sous la chaleur ardente. Cachée dans les ombres derrière le trône, elle vit deux silhouettes entrer prudemment dans la pièce. Elle reconnut la femme comme étant une sorcière de l’île de Magie, mais ce fut l’homme qui l’accompagnait qui attira son attention. Il venait de l’autre monde, du monde de Carly Tate, et ce serait lui qui aiderait involontairement au succès de sa machination.
Elle leva le menton et prit une profonde inspiration afin de calmer son impatience. Orion et Drago n’étaient pas loin derrière l’homme et la sorcière. En elle, elle sentait la créature essayer d’ordonner à ses sbires de se rassembler dans la salle du trône pour unir leurs forces. Peu d’entre eux avaient survécu. De grandes parties de ses plantes grimpantes positionnées à l’extérieur et la plupart des chiens de l’enfer avaient déjà été détruits. Les extensions de la créature qui étaient restées à l’intérieur du palais se rapprochaient de la salle du trône, recouvrant le plafond d’une fine pellicule de boue noire.
Prépare-toi à attaquer, murmura la voix malveillante dans sa tête.
Je suis prête, répondit-elle consciencieusement.
Tu lanceras toute ta puissance sur eux. Nos forces combinées ne seront pas vaincues, jura l’alien. Sans leurs souverains, les royaumes seront nôtres. Il est temps de tous les détruire !
Oui, approuva Magna.
N’échoue pas cette fois, ou la douleur que tu ressentiras sera incomparable à celle que je t’ai déjà infligée, prévint l’entité.
Je n’échouerai pas, promit doucement Magna.
La créature sentit la détermination qui l’habitait, inconsciente de la véritable raison qui se cachait derrière. L’arrogance de l’alien était une tumeur dont il perdait rapidement le contrôle, tout comme ses tentacules. Maîtrisant fermement ses propres émotions, elle observa et attendit patiemment sa chance. Ses yeux glissèrent vers le trône où siégeait Oray, le roi de l’île de Magie. Son corps était étrangement raide et frêle ; le sort qu’il avait lancé, pour se protéger et protéger le royaume, le vidait lentement de sa vie. Une fois encore, un éclair de remords la traversa à l’idée de la douleur et de la souffrance qu’elle avait été forcée de provoquer.
Prenant une profonde inspiration, elle attendit que la sorcière et l’homme approchent du trône avant de sortir de sa cachette. Elle grimaça intérieurement en entendant le rire aigu qui lui échappa et résonna dans la pièce. Glissant une main le long du dossier du trône, elle sortit une longue dague incurvée de l’étui accroché à sa taille.
La sorcière fut la première à se redresser lorsqu’elle la vit. Magna soutint le regard intense de la femme.
— Libère-le, sorcière des mers, exigea la femelle, ses traits et sa voix empreints de fureur.
Magna pencha la tête sur le côté et un rictus sardonique déforma ses lèvres en guise de réponse silencieuse.
— Nous ne sommes pas seuls. Le roi des mers et Drago se sont joints à mon peuple pour t’arrêter.
— J’en frémis d’avance, répondit Magna d’une voix traînante sarcastique, regardant la femme avec un mépris total.
Elle tourna la tête sur le côté afin que la sorcière ne puisse voir l’éclair de chagrin dans ses yeux, puis reporta son attention sur la silhouette voûtée du roi Oray. Il était blême et apathique. Son combat incessant contre l’entité l’avait presque complètement vidé de ses pouvoirs. Il était temps de les libérer, les autres et lui.
Cela ne devrait pas être trop difficile de convaincre les autres de m’attaquer, pensa-t-elle avec un dégoût morbide d’elle-même.
Prenant une grande inspiration, elle reporta son regard sur la femme et leva la dague incurvée. D’un rapide geste de la main, elle traça une fine entaille peu profonde le long de la gorge du roi. Son geste audacieux fit croître l’excitation de l’entité en elle. Un petit sifflement franchit ses lèvres lorsque la créature s’élança, prête à frapper à nouveau.
Pas encore, murmura-t-elle.
Tue-le ! Il sera le premier à mourir. Je n’ai plus besoin de lui, ordonna l’entité.
Si je le tue, les autres n’auront aucune raison de s’approcher. On doit attendre qu’ils soient tous assez proches avant de frapper, insista-t-elle, gardant la masse tourbillonnant le long du plafond dans sa vision périphérique.
Magna laissa échapper un autre rire strident avant de s’adresser à la sorcière.
— Le roi des mers est lié par les lois de son peuple. Il est faible et incapable de me faire du mal, la provoqua-t-elle en haussant une fine épaule.
— Il l’est peut-être, mais je ne le suis pas, rétorqua une voix puissante depuis le seuil de la salle du trône.
Elle se tourna vers la porte. En elle, l’entité recula. Elle pouvait presque sentir la peur de la créature et sa soif du pouvoir écrasant du dragon. D’un regard, elle embrassa l’imposante carrure de Drago avec un élan de satisfaction et d’impatience.
Il se tenait dans l’embrasure à présent détruite de la porte, ses traits et son corps tendus par la fureur. Magna se mordit la lèvre. L’entité qui l’habitait était encore trop forte pour qu’elle défasse les liens. Avant que le feu de Drago puisse être assez efficace, il lui fallait le dernier élément de son plan : Orion et son Trident.
— Il est temps de mourir, sorcière des mers ! J’attends ce moment depuis bien trop longtemps. Tu devrais être reconnaissante car je ferai vite. Rien ne me ferait plus plaisir que de te faire sentir un peu de la douleur atroce que tu as infligée aux autres, grogna Drago en entrant dans la pièce.
Ses yeux étaient habités par les flammes fantomatiques du feu de dragon. La vengeance brillait si vivement en lui qu’une lueur rouge sang foncé émanait de son torse à travers le tissu de sa chemise. Il s’avança vers elle d’un pas décidé, les traits durs et ses longs cheveux noirs volant autour de lui. L’intention que renfermaient ses yeux était claire : la mort.
Du coin de l’œil, elle vit bouger les longs fils des tentacules épineux noirs qui descendirent pour venir s’enrouler autour de Drago. Elle tendit la main en signe d’avertissement et un cri lui échappa.
— Attention ! cria-t-elle.
Tu me défies ! siffla la créature en elle.
Il était temps. Elle ne pouvait attendre plus longtemps.
— Je vous en supplie, déesse… donnez-moi la force nécessaire pour mettre un terme à tout cela, murmura-t-elle.
La douleur soudaine et intense qui la traversa lui fit monter les larmes aux yeux. Du feu coulait dans ses veines. Ses lèvres s’entrouvrirent sur un cri de souffrance lorsqu’une nouvelle vague intense déferla en elle, mais elle le ravala. Elle devait faire tout son possible pour distraire l’alien afin que Drago ou l’un des autres puisse le frapper.
Un souffle frissonnant lui échappa.
— Oui ! Tu ne pourras jamais vaincre Drago et Orion, murmura-t-elle à l’être en elle tout en s’efforçant de garder le contrôle.
Je les détruirai tous. Ensuite, je m’occuperai de toi, répondit l’entité avec fureur.
— Je ne… te… laisserai… pas… leur faire… de mal, jura-t-elle.
Elle lutta, mais la créature força la main qui tenait le couteau à se lever. Elle savait exactement ce qu’elle prévoyait de faire : tuer le roi Oray. De son autre main, elle saisit le poignet de celle qui tenait le couteau, essayant de combattre le mouvement à deux mains.
— Non ! hurla-t-elle, son corps se contorsionnant pour s’éloigner du roi.
L’alien envoya des décharges électriques dans son corps qui se plia, son cœur palpitant. Elle se redressa telle une marionnette au bout d’un fil et le couteau reprit la direction de la gorge du roi. Au même moment, le bruit d’une explosion résonna dans la pièce. Magna sentit une douleur atroce lui déchirer l’épaule gauche. Le couteau tomba à terre alors que la force du coup la faisait violemment reculer. Elle tournoya sous l’impact à son épaule avant de s’effondrer au sol.
Étourdie, elle gisait sur la pierre froide près du trône. La respiration saccadée, elle sentait la chaleur de son sang traverser ses vêtements et commencer à former une flaque sous elle. L’entité lutta pour se libérer de son corps et elle affermit instinctivement sa prise sur le sort qui la liait à elle, mais la créature s’élança à travers l’ouverture créée par l’arme qui lui avait fait cette plaie béante.
Un long râle de douleur lui échappa et son corps s’arqua quand l’entité sombre se déversa hors d’elle à travers la blessure à son épaule. Un frisson la parcourut et elle regarda le nuage noir s’élever en une masse tourbillonnante. Elle retomba sur le sol dès que l’entité eut quitté son corps. Une étrange sensation, comme s’il y avait un énorme vide caverneux à l’intérieur d’elle, la laissa momentanément confuse et faible.
Cette sensation fut rapidement remplacée par un sentiment qu’elle ne connaissait que trop bien : la peur. Elle la brûla de l’intérieur, engourdissant ses doigts et ses orteils et comprimant ses poumons lorsqu’elle se rendit compte que l’entité cherchait à présent un nouvel hôte. Elle n’aurait pas dû être libre aussi tôt ; Orion ne l’avait pas encore frappée avec le pouvoir du Trident. La créature contrôlait encore pleinement ses propres pouvoirs.
Celle-ci reporta son attention sur le roi Oray. Levant sa main droite, elle murmura le sort qui les avait liées. Son corps tressauta au moment où le sort accrocha l’entité, l’obligeant à s’éloigner du roi frêle.
La voix de son cousin se fit entendre de l’autre côté du trône. Ce son lui fit monter les larmes aux yeux. Il y avait tant de choses qu’elle voulait lui dire. Elle donnerait tout pour pouvoir le supplier de la pardonner pour tout ce qu’elle avait été forcée de faire malgré elle.
— Tirez dessus, cria Orion.
Libère-moi, siffla l’entité, se contorsionnant rageusement tandis qu’Orion et Drago l’attaquaient. Je te détruirai !
Magna ignora la menace ; elle savait que ce serait elle qui la détruirait. Elle maintenait le lien ténu entre elle-même et l’alien, qui l’avait contrôlée pendant deux siècles, avec une volonté de fer née de l’espoir, de la détresse et du chagrin.
Fermant les yeux, elle se concentra sur ce lien, l’enveloppant lentement d’un second sort. Les sorts maintiendraient l’entité sur place, suspendue au-dessus du trône, la retenant près d’elle tout en l’empêchant de retourner dans son corps. Un frisson la traversa lorsqu’elle sentit une main chaude sous son menton. Elle rouvrit les yeux et fixa l’homme qui l’avait blessée avec son étrange arme. Des larmes coulèrent lentement aux coins de ses yeux face à son expression inquiète.
— Partez ! ordonna-t-elle, humectant ses lèvres sèches. Vous devez… partir, répéta-t-elle, forçant les mots murmurés à franchir le nœud dans sa gorge.
L’homme secoua la tête.
— Pas sans vous, répondit-il sombrement.
Il commença à glisser son bras autour de son épaule pour la soulever. Son visage se tordit sous l’effet de l’intense douleur qui menaça de la noyer dans ses violentes vagues. Sa main droite se leva pour pousser contre l’épaule de l’homme. Elle secoua la tête avec regret.
— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle, poussée par le besoin de savoir.
L’homme lui adressa un regard surpris.
— Mike Hallbrook. Il faut que je vous sorte de là, répondit-il en fronçant les sourcils.
Le regard de Magna remonta vers le plafond. Il tourna la tête pour voir ce qu’elle regardait. C’était le moment de frapper. La créature se faisait déchiqueter par le feu de Drago et les décharges électriques perturbantes envoyées par les tridents d’Orion et de ses hommes. Elle tuerait l’alien une fois pour toutes.
— Non, dit-elle en secouant légèrement la tête lorsqu’il recommença à la soulever. Non, je sais comment… comment la tuer maintenant. Partez ! Ce que je dois faire vous tuera tous si vous ne partez pas. Partez, Mike Hallbrook. Sauvez mon roi et les îles. Emmenez les autres avec vous. Il n’y a aucun espoir pour moi. Je serai condamnée à mort de toute façon. Laissez-moi au moins donner un peu de sens à ma vie, implora-t-elle d’une voix lasse.
Les yeux de Mike s’assombrirent d’indécision. La peur et la détermination lui donnèrent l’énergie donc elle avait besoin pour le repousser. Elle se leva en chancelant. Prenant une profonde inspiration, elle puisa dans ses dernières forces et leva la tête. Elle ignora la douleur atroce dans son épaule au moment où elle leva les bras au-dessus de sa tête et se mit à psalmodier d’une voix claire et déterminée.
La magie coula dans son corps et elle sentit l’énergie de l’île de Magie l’envahir, lui donnant la force supplémentaire nécessaire pour porter le coup final qui les libérerait tous. Du sang rouge vif coulait de son épaule, tachant le devant de sa robe blanche. Elle fit abstraction de tout ce qui n’était pas la magie du sort qui se développait en elle et l’essaim noir de l’entité près du plafond.
Je n’échouerai pas, se jura-t-elle.
En arrière-plan, elle entendit la voix pressante de Mike qui criait à Drago et Orion de se replier. Mike portait le roi Oray sur son épaule et se ruait vers l’entrée carbonisée de la salle du trône. Drago et Orion cessèrent leurs attaques pour partir avec lui et la créature concentra ses dernières forces pour lutter contre son emprise.
— Que la lumière de la vérité me guide et soit mon épée, psalmodia-t-elle.
Une vive lumière émana d’elle lorsque le sort qu’elle lança embrasa l’air. Des vagues de magie déferlèrent à travers la pièce, tel un épais brouillard qui en aspirait l’air. Elle entendait le crépitement du corps de l’entité alors que l’énergie l’inondait, la lumière éclatante l’enflammant.
La créature la frappa, mais la magie de la lumière qui irradiait d’elle et qui les liait l’empêcha de l’atteindre. Magna sentit son corps s’élever au-dessus du sol de pierre. Fermant les yeux, elle pensa au vaste océan, sa maison. Elle aurait aimé être entourée par son liquide froid, éteignant les flammes qui ravageaient son corps fatigué. Tandis que l’air autour d’elle flamboyait de pouvoir, elle sentit son corps se faire écarteler jusqu’à ce que le vide des ténèbres lui apporte enfin le soulagement.
C’est fini, pensa-t-elle. Je suis libre.