2 L’ENFANCE DE DAISY

2184 Words
2 L’ENFANCE DE DAISYLa grossesse de Teresa, la troisième pour elle, bien que les autres se soient terminées prématurément, se déroule sans problème, même si elle est naturellement anxieuse en raison de son passé. John en est conscient et il a même engagé une infirmière privée pour la rassurer et acheté une deuxième voiture afin que le jardinier puisse la conduire à l’hôpital en cas de besoin, si jamais Tony ou lui n’étaient pas à la maison. Mais, malgré les craintes de Teresa, tout se passe pour le mieux et Daisy naît à la maison le 14 décembre, par un après-midi ensoleillé, avec l’aide d’une sage-femme envoyée par la compagnie d’assurance de la famille. L’accouchement se déroule sans problème et John rayonne de fierté à la vue de sa belle épouse tenant leur beau bébé dans ses bras. John n’a jamais aimé les photos, mais en une semaine, il en a fait des centaines. Il les montre à ses amis et connaissances et lorsqu’ils disent qu’elle a son nez ou ses yeux, il est aussi fier qu’un coq, même s’il ne remarque pas cette ressemblance lui-même. Pour lui, Daisy est le portrait craché de sa chère Teresa et il n’aurait pas voulu qu’il en soit autrement. Il ne l’emmène jamais hors des grilles de la propriété, mais il aime se promener dans le jardin avec Daisy dans son landau, lui décrivant les fleurs et les oiseaux, quand il est certain que personne ne peut l’entendre. Il a fait fondre le cœur de Teresa un matin où elle est passée voir Daisy et a vu John lui chanter “Ba, Ba, Black Sheep”. Il a rougi de gêne en la voyant l’écouter et elle ne l’a jamais revu le faire. Les promenades dans le jardin cessent peu à peu. John n’a pas l’habitude de sortir sans partenaire et il souhaite, maintenant que Daisy n’est plus un nourrisson, que Teresa l’accompagne, ce qui signifie qu’ils ont besoin d’une nounou. Bien que ce ne soit pas ce que Teresa souhaite vraiment, elle sent bien qu’elle doit se plier aux exigences de son époux, qui en plus a été si gentil envers elle. Mais au fur et à mesure, les périodes pendant lesquelles la petite Daisy reste avec sa nounou, Lisa, sont de plus en plus longues et fréquentes, et arrive un jour où la petite montre plus d’affection envers Lisa qu’envers sa propre mère : cela brise le cœur de Teresa, mais elle ne peut rien y faire. À peu près à cette époque, Tony remarque que la petite Daisy est souvent seule dans son parc dans le jardin, alors il commence à s’y arrêter pour l’amuser. Il n’a aucun problème à ce que quelqu’un le voit ou le prenne pour un idiot et il aime les enfants, ayant toujours regretté de ne pas en avoir lui-même. Daisy l’apprécie également et ils deviennent de bons amis. John est de plus en plus souvent absent de la maison, bien que son bureau y soit, cela ne le dérange pas. C’est ainsi qu’il a été élevé. En tant que petite fille, Daisy se montre très vive, apprenant l’espagnol et l’anglais à peu près à la même vitesse. Teresa en profite pour améliorer sa propre maîtrise de l’anglais, qui était jusque-là assez moyenne pour la région et son milieu. Cela lui servira dans les années à venir et améliorera sa relation avec sa fille. Malgré cela, Daisy grandit plus ou moins seule, ou, plus exactement, avec les domestiques. Elle vit dans la même villa que ses parents, mais John a l’habitude d’être célibataire et est trop vieux pour changer : il aime sortir boire un verre, manger le soir à l’extérieur et il s’attend à ce que sa femme l’accompagne comme le font toutes les femmes de ses amis, même si, une fois le repas terminé, les femmes se retrouvent généralement à un bout de la table et les hommes à l’autre. Le plus souvent, lorsqu’ils rentrent chez eux, la petite Daisy a déjà été bordée par sa nounou et s’est endormie en écoutant une histoire. Pour être honnête, Lisa n’aurait pas pu l’aimer davantage si elle avait été sa propre fille et la mère de Daisy fait de son mieux pour compenser ses absences régulières, parce qu’elle ne cesse de se sentir coupable à ce sujet, mais elle est maintenant sûre que l’avenir de Daisy est assuré et c’est ce qui lui importe le plus. Daisy n’aura jamais à faire ce qu’elle a dû faire pour assurer son avenir et celui de ses enfants, lorsqu’elle en aura un jour. Daisy suit le chemin des nombreux enfants de parents riches : dans ses premières années, elle est gâtée par des parents coupables, puis négligée par eux le même jour. Ensuite, lorsqu’elle atteint l’âge de cinq ans, elle est placée dans une école maternelle, où les enseignants tentent de remplacer les parents et les nounous. Tout le monde est bien intentionné, mais cela ne fait qu’accroître la confusion, l’isolement et la solitude de ces enfants, Daisy comme les autres. Elle grandit donc en étant un peu froide, une fille solitaire qui ne recherche ni l’amitié ni la compagnie. Cela n’empêche pas les autres enfants d’essayer de se lier avec elle, mais aucun d’entre eux n’arrive à créer une amitié avec elle, ni même à s’en rapprocher un peu : elle n’a aucune idée de ce qu’est un meilleur ami. L’école, c’est toujours la même chose, et même si Daisy semble y exceller, en vérité, c’est juste parce qu’elle souhaite obtenir l’approbation de son père. Elle est certaine de celle de sa mère, qui passe un peu de temps avec elle quand elle n’a pas à remplir ses devoirs dans la vie sociale de John, mais elle aimerait avoir celle de son père, ce héros. C’est à ce moment de sa vie, à l’école primaire, qu’elle commence à entendre parler des exploits de son père et de sa réputation d’homme dur. Certains vont même jusqu’à le décrire comme quelqu’un “sans pitié” et pire, comme un “tueur de sang-froid”. Malgré toutes ces choses qu’elle entend sur son père, rien ne fait douter Daisy sur lui, et même au contraire, elles ne font que renforcer son statut de héros à ses yeux. Après tout, sa mère ne le considère-t-elle pas, et ne l’appelle-t-elle pas souvent, “son héros” ? Elle ne dit jamais ce qu’elle ressent lorsque les gens disent du mal de son père, mais elle ne réagit pas non plus lorsque les gens parlent de lui avec admiration, bien qu’intérieurement, elle rayonne de fierté pour la personne qui lui apprend plus que les autres. Elle reçoit un enseignement en anglais et en espagnol dans la même école et parle couramment les deux langues. Peu à peu, elle commence par se mêler aux autres enfants et à créer des liens avec eux : elle parle aussi facilement avec les enfants espagnols riches et pauvres qu’avec les riches britanniques. Elle n’a jamais rencontré de britanniques pauvres et, jusqu’à ce qu’elle aille à l’internat en Grande-Bretagne à seize ans pour passer le bac, elle n’avait aucune idée de leur existence, et sur ce point, elle est comme beaucoup d’enfants espagnols. Ses parents l’ont envoyée à Londres pour étudier dans un pensionnat, mais lorsqu’ils l’ont laissée là-bas, elle a découvert que c’est l’homme qu’elle appelle «Oncle Tony», le chef de la sécurité de son père, qui lui manquait le plus. Les nounous étaient de passage, tout comme ses professeurs, mais Tony, lui, a toujours été là, ce qui est plus que ce qu’elle ne peut dire de ses parents. Il lui a appris à faire du vélo avec les petites roues. C’est aussi lui qui les lui a enlevées et la rattrapait quand elle tombait. Il lui a également appris à nager, à grimper aux arbres, à frapper et à lancer un ballon, et même quelques prises de boxe et de karaté. Elle a de très bons souvenirs des matchs de rugby qu’elle regardait avec lui à la télévision et aime le voir s’enthousiasmer lorsque l’Angleterre marque des points ou joue particulièrement bien. Plusieurs fois, elle a failli pleurer en se remémorant ces jours heureux, qu’elle sait probablement disparus à jamais. C’est au pensionnat, puis à la London School of Economics, où elle a étudié le commerce et l’économie, qu’elle s’est endurcie et est devenue rusée. Elle a toujours eu l’étrange capacité de se souvenir de chaque mot que quelqu’un avait dit sur elle, sa famille et surtout son père. Elle a aussi l’habitude de tout écrire dans son journal intime et ce, depuis une dizaine d’années, mais ce n’est qu’une façon de les mémoriser. Elle a découvert dans son enfance qu’une fois qu’elle avait écrit quelque chose à la main, elle ne l’oubliait jamais. Pour avoir des occupations en dehors des études, elle a suivi des cours d’arts martiaux, est adepte du karaté Kyokushinkai et a étudié l’Aïkido et la boxe. John et Teresa se sentent comme les parents les plus fiers de la planète lorsqu’ils se rendent à Londres pour voir leur fille recevoir son diplôme avec mention. Ils font la fête au Ritz directement après, puis chez des amis de Daisy dans la soirée. C’est une journée parfaite et peut-être la seule depuis dix ou quinze ans où Daisy sent qu’elle compte pour ses deux parents en même temps. John et Teresa lui offrent un billet d’avion en première classe pour faire le tour du monde en récompense de l’obtention de son diplôme et une Porsche 911 carrera S Cabriolet toute neuve qui attend dans leur garage en Espagne, mais à leur grande surprise, Daisy refuse le billet. — Je préférerais rentrer à Malaga avec vous, dit-elle. Je veux travailler dans l’entreprise familiale, avec toi papa. Plus tard, j’aurai tout le temps de faire le tour du monde en avion. Son père, à quatre-vingt-six ans, n’est pas sûr de ce qu’il doit penser, mais il sent une douce chaleur se répandre dans sa poitrine. Il passe son bras autour de sa fille et la serre dans ses bras. C’est un moment rare d’intimité pour tous les deux. Au lieu de faire le tour du monde, les parents de Daisy lui offrent une virée shopping de cinq mille livres au cœur de Londres. John invoque l’excuse habituelle d’un mal de dos pour ne pas accompagner sa femme et sa fille, mais elles savent qu’il n’aime pas le shopping de toute façon et y vont seules. Elles s’amusent comme des folles et paradent dans leurs nouvelles tenues devant lui à leur retour. Il feint de s’y intéresser, mais là encore, elles le connaissent trop bien pour s’attendre à ce qu’il s’enthousiasme pour des vêtements. Inquiet de ce qu’il lit dans la presse britannique, John décide qu’il serait plus sûr de rentrer en Espagne le jour suivant et sa petite famille n’est que trop heureuse de l’accompagner. Il est parti depuis si longtemps que la Grande-Bretagne, et même Londres, ne sont plus sa maison. Teresa aime cette ville, mais seulement pour le shopping et Daisy est impatiente de commencer sa nouvelle vie. Elle se sent plus âgée, plus responsable et plus à même de connaître ses parents, bien plus que lorsqu’elle était enfant. — Tu n’as pas un petit ami ou quelqu’un de spécial à qui tu aimerais dire au revoir ? demande sa mère. — Non, répond-elle timidement. Mais elle n’est pas timide parce qu’elle n’a pas de petit ami, c’est juste qu’elle est parfaitement consciente que les gens s’attendent à ce qu’une belle jeune femme comme elle en ait un. Mais ce n’est pas le cas. Teresa ne la croit pas, mais elle laisse tomber. Le fait est qu’il y a eu des dizaines de garçons et d’hommes qui lui ont couru après pendant les cinq années où elle a été absente, mais elle n’a pas été capable de se rapprocher d’aucun d’entre eux. Elle a essayé la première année, vraiment essayé, mais elle n’aime pas les baisers, surtout les french kiss et elle n’aime pas être tripotée ou qu’on attende d’elle qu’elle plaise aux garçons. Elle a fait l’amour trois fois avec deux partenaires différents, mais elle n’a pas apprécié ces expériences. Après ça, elle a abandonné, et utilisé l’excuse d’un fiancé fictif en Espagne pour garder sa fierté. Elle n’a pas d’amies suffisamment proches pour remarquer qu’elles n’ont jamais rencontré son fiancé, qu’elle a appelé d**k, parce que ça la fait rire. Elle est arrivée à la conclusion qu’elle devait être asexuelle, même si au fond d’elle-même, elle sait que ce n’est pas vrai non plus : elle est attirée par les garçons, mais elle ne les aime pas, ou du moins aucun de ceux qu’elle a rencontré jusqu’à présent et elle doit admettre qu’ils sont nombreux à l’université. Cependant, afin de mettre sa mère sur une fausse piste, elle sort seule pendant quelques heures ce soir-là, mais seulement pour voir un film et manger un hamburger. Le lendemain après-midi, ils sont tous les trois heureux de rentrer en Espagne, Daisy la première.
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