CHAPITRE III : DIANA’S GROVE

1549 Words
CHAPITRE III DIANA’S GROVE1 La curiosité fit sortir Adam de son lit de bon matin. Mais, après s’être habillé et être descendu, il constata que, aussi matinal qu’il fût, sir Nathaniel l’était encore plus que lui. Le vieux gentleman était déjà prêt pour une longue promenade, et ils partirent aussitôt. Sir Nathaniel, sans parler, prit le chemin à l’est, en bas de la colline. Lorsqu’ils eurent descendu puis remonté à nouveau, ils se trouvèrent sur le versant est d’une colline escarpée. Celle-ci était un peu moins élevée que celle sur laquelle le château se dressait, mais elle était placée de telle sorte qu’elle dominait les diverses collines qui couronnaient la crête. Tout au long de celle-ci, les rochers sortaient de terre, nus et froids, mais éclatés en une grossière crénelure naturelle. La forme de la crête était une portion de cercle, dont les points les plus élevés étaient à l’ouest. Au centre, à l’endroit le plus haut, se détachait le château. Entre les diverses excroissances rocheuses, il y avait des groupes d’arbres, de grandeur et de taille différentes, et parmi certains d’entre eux on distinguait quelque chose qui, dans la lumière du matin, ressemblait à des ruines. Celles-ci — quelles qu’elles fussent — étaient constituées d’une pierre grise et massive ; probablement de la pierre calcaire taillée de façon rudimentaire, à moins qu’elles n’eussent pris cette forme naturellement. Le plus important de ces bosquets était un ensemble de chênes fort anciens qui s’étendait sur la plus basse des collines, celle qui se trouvait à l’est. L’inclinaison du sol était forte tout le long de la crête, si forte que, çà et là, arbres, rochers et édifices semblaient suspendus au-dessus de la plaine lointaine. Ce paysage était sillonné de nombreux ruisseaux et ponctué de plusieurs étangs aux eaux bleues, visiblement assez profonds. Sir Nathaniel s’arrêta et regarda tout autour, comme s’il ne voulait rien perdre de l’effet. Le soleil s’élevait dans le ciel à l’est et rendait visibles tous les détails. Le compagnon d’Adam décrivit un large mouvement avec son bras en direction du paysage qui les entourait, comme pour souligner à son attention l’étendue de la perspective. Il effectua ce geste avec une rapidité qui semblait inviter Adam à embrasser les grandes lignes du spectacle qui s’offrait à eux plutôt que de s’attarder sur tel ou tel point. Puis il refit le geste, cette fois-ci avec lenteur, comme pour attirer son attention sur les détails du paysage. Adam était un élève attentif et de bonne volonté, et il suivit ces mouvements avec exactitude, essayant de ne rien omettre de ce qui s’offrait à lui. Lorsqu’ils eurent fait un bref survol de l’ensemble de l’étendue de l’horizon en direction de l’est, Sir Nathaniel prit la parole : – Je vous ai amené ici, Adam, car il me semble que c’est l’endroit où commencer nos recherches. Vous avez en ce moment devant vous la presque totalité de l’ancien royaume de Mercie. En fait, nous le voyons dans son ensemble, à l’exception de la partie la plus éloignée qui est couverte par les marches du pays de Galles et de celles qui nous sont cachées par cette colline, immédiatement à l’ouest. Nous avons sous les yeux — une fois encore, en théorie sinon en pratique — la totalité de la limite orientale du royaume qui s’étend au sud, des Humber jusqu’au Wash. Je veux que vous ayez présente à l’esprit la direction du terrain, car un jour, tôt ou tard, nous aurons besoin de nous le représenter visuellement, lorsque nous considérerons les vieilles traditions et superstitions, et que nous essayerons d’en trouver l’analyse raisonnée. Il me semble que nous ne gagnerions rien à tenter d’établir une différence entre les deux, et qu’il vaut mieux les laisser prendre place naturellement à mesure que nous poursuivrons. Chaque légende, chaque superstition que nous recueillerons nous aidera à comprendre et à élucider les autres. Et comme toutes ont un fondement local, nous serons proches de la vérité — ou de sa probabilité — si nous approfondissons notre connaissance des conditions locales, comme nous allons le faire. Cela nous aidera aussi d’appeler à notre secours telle ou telle notion géologique comme nous en possédons peut-être l’un ou l’autre. Par exemple, les matériaux de construction utilisés à diverses périodes peuvent donner leur leçon aux yeux prévenus. Les hauteurs, formes et matières de ces collines, et bien plus encore, celles de la vaste plaine qui s’étend entre nous et la mer, constituent à elles-mêmes le sujet d’ouvrages passionnants ! – Par exemple, sir ? demanda Adam, risquant une question. – Bien, par exemple, regardez ces collines qui entourent celle sur laquelle fut sagement choisi l’emplacement du château. Puis, prenez les autres. Il y a quelque chose de visible en chacune d’elles, et probablement aussi quelque chose d’invisible et qui n’est pas démontré, mais que l’on peut déduire. – Par exemple ? poursuivit Adam. – Prenons-les les unes après les autres. Ce point à l’est, où se trouvent les arbres, plus bas, était autrefois l’emplacement d’un temple romain, peut-être édifié sur un temple druidique qui existait auparavant. Son nom évoque les premiers, et le bosquet des vieux chênes suggère les seconds. – Je vous en prie, expliquez-moi. – Le nom ancien veut dire, une fois traduit : « le bosquet de Diane ». Prenez ensuite l’endroit un peu plus élevé, mais qui se trouve à côté, il se nomme Mercy2. « Selon toute probabilité, c’est une corruption ou une vulgarisation du terme Mercie, avec un calembour romain inclus. Nous savons par de vieux manuscrits que cet endroit s’appelait à l’origine Vilula Misericordiae. C’était en effet un couvent de femmes, fondé par la reine Bertha, mais qui fut détruit par le roi Penda, lequel dirigea le retour au paganisme après saint Augustin. Venons-en à la demeure de votre oncle — Lesser Hill. Quoiqu’il soit très voisin du château, il n’en fait pas partie. C’est une propriété libre, et, autant que nous le sachions, datant du même siècle. Elle a toujours appartenu à votre famille. – Il reste encore le château ! – En effet, mais son histoire contient les histoires de tous les autres — en fait, toute l’histoire de la vieille Angleterre. Sir Nathaniel, voyant l’expression attentive d’Adam, poursuivit : – L’histoire du château n’a pas de commencement, autant que nous le sachions. Les archives, les suppositions ou les inférences les plus lointaines le signalent simplement comme existant déjà auparavant. Certaines de ces… conjonctures, appelons-les ainsi, donnent à penser qu’une construction s’élevait déjà là lors de l’arrivée des Romains, par conséquent ce devait être un endroit important à l’époque des Druides — si, évidemment, son histoire commence là. Naturellement les Romains l’occupèrent, comme ils le faisaient pour toute chose qui était, ou pouvait, leur être utile. Le changement est indiqué, ou inféré, par son nom, Castra. C’était l’endroit protégé le plus élevé, et tout naturellement il devint le plus important de leurs camps. Une étude de la carte vous montrera que cela devait être un point stratégique de grand intérêt. Il protégeait à la fois les postes avancés au nord, et assurait la domination de la côte maritime à l’est. Il protégeait les marches à l’ouest, au-delà desquelles s’étendaient le sauvage pays de Galles… et le danger. Il favorisait le projet de pénétrer la Severn, que contournaient les grandes voies romaines qui venaient de se créer, et rendait possible la grande voie par eau jusqu’au cœur de l’Angleterre, par la Severn et ses affluents. Il réunissait l’Est et l’Ouest par les chemins les plus rapides et les plus sûrs connus à l’époque. Et, enfin, il offrait le moyen de descendre vers Londres et toute l’étendue de la région baignée par la Tamise. « Un tel centre, déjà connu et aménagé, devint, comme nous pouvons le constater facilement à chaque nouvelle vague d’invasion — Angles, Saxons, Danois, Normands — une possession désirable, dont chacun s’assura l’appui. Dans les premiers temps, ce fut seulement une position avantageuse. Mais lorsque les Romains victorieux y construisirent des fortifications lourdes et massives, inexpugnables par les armes de l’époque, ils commandèrent alors une position unique, tant par ses constructions que par son équipement. Puis il advint que le camp fortifié des Césars devint le château du roi. Comme nous ignorons encore les noms des premiers rois de Mercie, aucun historien n’est à même de conjecturer lequel d’entre eux fit de ce lieu son ultime protection ; et je pense que nous ne le saurons jamais. Au fil du temps, comme les arts de la guerre se développaient, il grandit en puissance et en volume, et bien que les témoignages fassent défaut quant aux détails, non seulement l’histoire est gravée dans la pierre des constructions, mais on peut aussi la déduire des variations de styles. Puis les bouleversements qui suivirent la conquête normande firent oublier tout ce qui ne concernait pas celle-ci. Aujourd’hui, nous devons accepter le fait que ce château est un des plus vieux de la conquête et date sans doute de l’époque de Henry Ier. Romains et Normands furent tous deux assez avisés pour avoir remarqué l’intérêt pratique de certains points stratégiques. Et ces hauteurs environnantes qui avaient jusqu’à un certain point déjà fait leurs preuves, sont restées. En vérité, des caractéristiques comme les leurs furent conservées et donnent aujourd’hui des leçons sur les événements qui se sont déroulés ici, il y a bien longtemps. « Voilà pour ce qui est de ces hauteurs fortifiées ; mais les cavernes ont aussi leur propre histoire. Mais comme le temps passe ! Il faut que nous nous dépêchions de rentrer à la maison, sinon votre oncle va se demander ce que nous sommes devenus. » Il partit à grands pas vers Lesser Hill, et Adam fut bientôt obligé de courir, sans le montrer, pour rester à sa hauteur. Lorsqu’ils parvinrent aux abords de la maison, Sir Nathaniel dit : – Je suis désolé d’interrompre cette intéressante conversation, mais ce n’est que pour la reprendre plus tard. Je tiens à vous dire tout ce que je sais de cet endroit, et je suis certain que vous le voulez aussi. De plus, si je ne me trompe pas, le prochain épisode de notre histoire s’avérera plus passionnant encore que le premier. 1. Le Bosquet de Diane. (N.d.T.) 2. Miséricorde. (N.d.T.)
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