I - La duchesse d’Avarenne-3

3036 Words
– C’est fort adroit à monsieur Jean d’être venu le chercher précisément ce jour-là, dit la duchesse avec un petit ricanement. – Mais non, madame, puisque je ne pus pas lui donner ce qu’il demandait. – Tu n’as pas pu lui donner ce qu’il te demandait ? reprit la duchesse en considérant Honorine d’un regard tout étonné de ce qu’une belle fille comme Honorine n’avait pas pu donner ce que demandait un beau garçon comme Jean. Elle ajouta donc avec un air de grande surprise : – Qu’est-ce qu’il te demandait donc de si extraordinaire ? – Il me demandait, madame, la clef du grand caveau qui mène dans les souterrains du château. – C’est donc un ivrogne ? Honorine fit un geste d’impatience et presque d’indignation. Madame d’Avarenne, qui s’en aperçut, continua : – Eh bien ! que voulait-il faire de cette clef ? – Il voulait aller jusqu’à la maison du docteur, qui est une ancienne dépendance du château, et dont les caves communiquent avec celles de cette maison ; et ça pour surprendre les nécromancies que faisait le docteur ? – Et pourquoi ? – C’est, voyez-vous, que, dans ce temps-là, Jean faisait la cour à Louise ; Louise avait été un peu malade, et on avait fait venir monsieur Lussay : mais au lieu de la soigner avec des drogues, il l’avait guérie en lui touchant la tête avec les mains, en lui parlant, en lui traçant de grands cercles sur le front avec une baguette en acier, et en employant toutes sortes de simagrées ; si bien que Louise était comme l’âme damnée du docteur, lui obéissant au moindre geste et tremblant comme une feuille devant lui. Il y en avait d’autres dans le pays qui avaient été guéris comme Louise, et tous étaient de même que Louise ; de grands garçons de labour, de gros charretiers. Une fois que le docteur les approchait, il semblait qu’ils n’eussent plus ni courage, ni force ; c’est vrai ça, madame. On s’en aperçut dans le pays, et ça commença à donner des soupçons ; mais comme le docteur faisait du bien à tout le monde, on ne dit trop rien. Voilà pourtant qu’on finit par remarquer que presque tous les soirs, ceux qui avaient été guéris par monsieur Lussay s’en allaient de chez eux à la même heure, se rendaient chez le docteur et n’en sortaient que deux ou trois heures après, presque toujours la figure renversée. Il y en a qui se mirent aux aguets pour écouter ce qui s’y passait ; mais, comme la maison de monsieur Lussay est au milieu du jardin, on n’entendait rien de ce qui se faisait dedans. Pourtant tous ces pauvres gens, après avoir été guéris, dépérissaient à vue d’œil ; ils n’avaient pas de maladie, mais ils étaient pâles, maigres, chétifs ; le moindre bruit les faisait tressaillir ; et surtout la pauvre Louise, qui avait été si jolie ; elle était quasi comme une recluse. Son père lui avait défendu de retourner chez le docteur, et Jean l’en avait bien souvent priée : elle avait promis d’obéir ; mais lorsque l’heure du sabbat arrivait, elle parvenait toujours à s’échapper. C’était comme ça vers sept heures du soir. Une fois, son père l’enferma dans sa chambre ; mais la pauvre fille était si bien possédée, qu’elle sauta par la fenêtre, qui heureusement n’était pas haute, et qu’elle courut tout de suite chez monsieur Lussay. Quand le vieux Jacques rentra, Jacques c’est le père à Louise, il fut d’abord furieux de ce que sa fille s’était échappée, puis le pauvre bonhomme se mit à pleurer de ce qu’elle était possédée du démon. Ça fit du scandale, et le père Jacques voulut aller se plaindre au curé et demander qu’il exorcisât sa fille ; mais monsieur Lussay lui donna de l’argent, et le sabbat continua de plus belle. Jean, que tout ça ennuyait, et qui voyait Louise se pâlir et se fondre au point d’être comme un squelette, Jean voulait éreinter le docteur ; et, dame ! il n’y avait pas d’argent à lui donner, à lui, pour l’empêcher de taper. Mais Louise, à qui il s’était vanté de son envie, l’avait tant prié, en lui disant que c’était son bonheur à elle, et peut-être sa vie qu’il exposerait en touchant au docteur, qu’il laissa faire aussi ; et pourtant il devenait plus inquiet de jour en jour, car la tête de la pauvre fille se dérangeait ; elle parlait toute seule ; elle disait des choses incompréhensibles ; elle racontait que le docteur la menait en paradis, où il y avait des meubles superbes et des musiques qui la faisaient danser toute seule. Une fois elle voulait m’emmener en me disant : – Viens, viens, et tu goûteras les joies du ciel, et tu sentiras le plaisir te pénétrer jusqu’à la moelle des os. Et en parlant ainsi, elle avait les yeux qui lui sortaient de la tête et qui flamboyaient comme des chandelles. Ça me fit peur. La duchesse, qui avait attentivement écouté jusque-là, se prit à rire. – Jean me paraît de tournure à donner de ces joies-là d’une meilleure façon que le docteur. Mais enfin, que voulait-il, le soir qu’il était chez toi ? – Voici : il avait voulu empêcher Louise d’aller au sabbat comme à l’ordinaire, et pour ça, il avait obtenu de son père de l’emmener à deux lieues d’ici ; ils causaient tranquillement dans une auberge du bourg voisin, lorsque voilà tout à coup sept heures qui sonnent. À peine Louise a-t-elle entendu l’horloge, qu’elle devient tout inquiète, en disant à Jean qu’il faut qu’elle parte, que l’heure est venue, qu’elle entend le docteur qui l’appelle ; puis elle ajoute, comme si elle parlait à quelqu’un : – J’y vais, j’y vais. Jean veut l’empêcher de sortir, il la supplie de rester ; mais Louise ne l’entendait plus, et paraissait causer avec un esprit qui la tourmentait. Elle se lève, Jean l’arrête de force ; elle se débat quelques instants, et, comme il la retenait toujours, la voilà qui tombe dans des crises affreuses : la pauvre fille se roulait par terre, se cognant la tête sur le coin des meubles, en écumant comme une enragée et en poussant de grands cris. Alors Jean la prend, la met sur un lit et reste à côté d’elle. Il n’y avait pas une minute qu’elle y était, que la voilà qui s’endort, mais d’un sommeil si lourd, si lourd, qu’elle paraissait morte. Jean commençait à se désespérer de l’avoir mise dans cet état, quand il la vit se lever sur son séant. Elle se frotta les yeux comme si elle se réveillait, et pourtant ses yeux restèrent fermés ; elle se leva tout à fait, et, quoiqu’elle fût habillée, la voilà qui fait comme si elle mettait ses bas, ses souliers et ses jupes. Jean, qui l’avait vue se meurtrir le visage et se frapper contre les meubles, quand il l’avait voulu arrêter, Jean la laissa faire. Aussitôt que Louise fut prête, je veux dire aussitôt qu’elle eut fait semblant d’être prête, car elle s’était regardée devant un miroir comme pour arranger son fichu et son bonnet, la voilà qui va tout droit à la porte de l’auberge, qui l’ouvre, qui sort dans la rue, et tout ça toujours les yeux fermés ; Jean la suit, n’osant la toucher, tant il était surpris. L’orage était venu, la pluie battait à verse, il ventait et tonnait, c’était un temps horrible. Louise n’eut pas l’air de s’en apercevoir, et tout aussitôt qu’elle fut dans la rue, elle tourna du côté du bourg, toujours les yeux fermés. Elle marchait d’une telle vitesse, elle si faible et si maigre, que Jean avait de la peine à la suivre. Quelquefois, il s’approchait d’elle et l’appelait, mais elle ne répondait pas. La nuit était tout à fait tombée et les petits sentiers qui coupent à travers les champs étaient tout inondés et presque disparus. Ça n’arrêta pas Louise ; elle les reconnaissait dans la nuit et y marchait comme en plein jour, et par une belle sécheresse. Plusieurs fois Jean voulut lui prendre la main, mais alors elle se mettait à crier et à trembler comme une convulsionnaire ; il la laissait donc aller comme elle voulait, la suivant toujours, et ne sachant plus où elle allait, tant la nuit était noire. Ça dura bien une demi-heure. Tout à coup Louise s’arrête à un mur qui lui barrait le passage, ouvre une petite porte basse que Jean ne voyait pas, entre et ferme la porte après elle ; Jean voulut l’enfoncer, mais il ne put y réussir. Enfin il tourne autour de la maison et reconnaît que c’est celle du docteur. Ils avaient fait presque deux lieues en trois quarts d’heure. Jean eut beau crier et frapper, personne ne lui répondit ; alors, ne sachant que faire, il escalada le mur et entra dans le jardin. Il s’approcha de la maison et entendit un bruit singulier ; c’était une douzaine de voix d’hommes et de femmes : les uns riaient et d’autres chantaient ; il y en avait qui poussaient de grands cris, d’autres qui gémissaient, tout cela mêlé d’une sorte de bourdonnement comme une voix qui prie. Il prit fantaisie à Jean de casser les fenêtres ou d’enfoncer une porte ; mais les volets étaient garnis de barreaux et les portes cadenassées. Ce fut alors qu’il pensa au caveau qui mène à la maison du docteur, et qu’il résolut de venir chez nous ; car, à force de tourner, il vit que les cris sortaient d’une cave, et, en appliquant son oreille au soupirail, il entendit plus distinctement le bruit qu’on y faisait, et reconnut Louise, qui disait sans cesse, avec une voix si forte que Jean eut peine à la reconnaître : – Encore ! encore ! encore ! À ce mot, la duchesse se prit à rire. Par un hasard singulier, un coup léger fut frappé à la porte de sa chambre. Honorine, que son propre récit avait épouvantée, se jeta vers madame d’Avarenne en poussant un cri et en tombant à genoux. Elle était pâle et portait autour d’elle des regards effarés : la pluie fouettait à torrents les vitres des grandes fenêtres ; le vent gémissait en longs hurlements dans les corridors du château ; la lueur de la bougie se perdait dans l’immensité de la chambre. À ces bruits, à cet aspect, la duchesse devint froide et pâle à son tour. Elle écoutait, lorsqu’un second coup, plus fortement frappé, la fit tressaillir ; mais soit courage, soit que le mot accoutumé qu’elle prononça lui échappât involontairement, elle dit d’une voix altérée : – Entrez !… Un homme parut, couvert d’un long manteau qui dégouttait de pluie, portant un large chapeau qu’il ôta en entrant dans la chambre : c’était Jean d’Aspert. – Je viens, dit-il, chercher les ordres de madame la duchesse. La terreur de madame d’Avarenne et celle d’Honorine avaient été si grandes, qu’elles ne s’en remirent ni l’une ni l’autre, même après avoir reconnu le meunier, et qu’elles ne répondirent pas tout de suite. L’apparition du héros de la singulière histoire de Louise, à ce moment, lui prêta quelque chose de romanesque et d’aventureux qui fit que la duchesse le considéra avec une attention curieuse. C’était véritablement l’un des plus beaux hommes qu’elle eût vus. Il avait quitté sa poudre, et ses cheveux noirs et bouclés roulaient-en larges anneaux sur son front élevé ; il portait une culotte et des guêtres de daim, et une ceinture de cuir, où pendait une paire de pistolets, serrait sa taille forte et cambrée. La duchesse, sans le quitter des yeux, lui dit d’une voix qui avait perdu cette liberté insolente dont elle usait vis-à-vis de gens si loin placés d’elle : – Nous parlions de vous, monsieur. – Vous m’attendiez, madame ; pardon si j’ai tant tardé ; mais le courrier m’attendra jusqu’à onze heures, et il n’en est que dix. – Ah ! tant mieux, dit la duchesse, oubliant complètement le but de la visite de Jean ; vous me direz la fin de votre histoire. – De mon histoire ? reprit le meunier étonné. – L’histoire de Louise, dit Honorine ; j’étais en train de la conter à madame la duchesse quand vous êtes entré. – Hélas ! madame, reprit Jean, c’est une bien triste histoire. – Jusqu’à présent elle ne laisse pas d’être curieuse, répondit la duchesse ; mais la soirée est devenue froide, ranime un peu ce feu, Honorine ; allume-nous quelques bougies, nous sommes ici comme dans une tombe. Va à l’office et fais monter quelque chose pour moi. Depuis que je ne l’écoute plus, je me sens besoin de souper. Honorine sortit, et Jean demeura debout devant la duchesse. Elle avait tourné son grand fauteuil du côté du feu, avait tiré ses jolis pieds blancs de ses mules noires, et les avait posés sur un coussin devant la flamme du foyer pour les réchauffer. Jean se taisait, et madame d’Avarenne, tout étonnée de ce silence, se retourna et vit Jean immobile, les yeux fixés sur ses pieds délicats, qu’il avait l’air de contempler avec envie. Jean, surpris dans son adoration, baissa subitement les yeux et devint rouge ; la duchesse le regarda en clignant les yeux, et un imperceptible sourire glissa sur ses lèvres, sourire que nous pourrions traduire ainsi : – Mais, oui-dà, ils sont blancs et jolis, et vos paysannes ne sont pas beaucoup riches en beautés de cette espèce. Puis, après le monologue de ce petit sourire, la duchesse se prit à rire tout de bon, d’un rire étouffé, à la vérité, mais qui voulait dire assurément : – Ce serait drôle de faire perdre la tête à ce garçon. Elle se retourna vers lui et vit les regards de Jean qui entraient audacieusement sous le col mal serré de sa robe de chambre, et qui s’appuyaient comme un b****r des yeux sur le satin de ses belles épaules. La duchesse rougit à son tour ; elle ramena ses pieds nus dans ses mules de velours, et regarda Jean, qui cette fois ne baissa les yeux qu’après avoir croisé son regard avec celui de madame d’Avarenne. Tous deux gardèrent le silence ; madame d’Avarenne le trouva tout au moins très osé. Une mauvaise pensée lui vint, celle de s’amuser aux dépens du beau meunier, et de lui faire dire quelque grosse balourdise. Alors, s’adressant à Jean avec son grand air de duchesse, elle lui dit en le toisant par-dessus l’épaule : – Il paraît que vous faites des vôtres dans ce pays ? – Eh ! madame, reprit Jean, on fait ce qu’on peut. – Mais il y a autre chose à faire que de courir après toutes les jolies filles du pays pour les séduire et les abandonner, ajouta sèchement la duchesse. Jean prit le reproche au sérieux ; il répondit sérieusement : – J’ai aimé bien des filles, et je n’en ai séduit aucune. Je n’ai jamais été ni le premier amant ni le dernier de celles que j’ai eues ; à ce compte-là, on ne peut pas dire que je les aie séduites ni abandonnées. La duchesse fut toute surprise du bien dit et du bien répondu de Jean ; elle s’attendait à quelque gros et niais sourire, avec des paroles entrecoupées et un chapeau gauchement tourné dans la main, comme faisaient les Guillots du théâtre de Monsieur. Elle n’en continua pas moins son rôle d’inquisition morale, et reprit d’un air sévère et en regardant le meunier au visage : – Ce n’est pas tout : on dit que vous vous élevez jusqu’à des bourgeoises ? Jean fronça le sourcil, et, avec un certain dédain où perçait presque de l’humeur, il répondit : – Je ne sais, madame la duchesse, si je m’élève jusqu’aux bourgeoises, ou si les bourgeoises descendent jusqu’à moi ; mais il me semble qu’on n’entre guère dans le lit d’une femme que sur le pied d’égalité. – Et vous appliqueriez le principe à une femme de qualité si elle s’abaissait jusqu’à vous ? reprit vivement madame d’Avarenne. Jean devint pâle, et un éclair de colère brilla dans ses yeux ; il se mordit les lèvres, comme pour barrer passage à la réponse qu’il allait faire, et reprit d’une voix dont il ne put pas déguiser complètement l’altération, mais où il affectait de mettre le respect le plus révérencieux : – Je me permettrai de rappeler à madame la duchesse que son courrier attend ses ordres. Madame d’Avarenne regretta l’impertinence que Jean avait été sur le point de répondre, ne fût-ce que pour en rire plus tard ; mais elle demeura stupéfaite du langage et de la retenue du meunier ; et, pour s’éclairer tout à fait sur ce qu’était ce garçon, elle passa sans préambule à un autre genre de questions, renfermant, pour ainsi dire, toute la série de ses réflexions dans l’ellipse de la demande. – Où avez-vous étudié ? – Chez les jésuites de Toulouse, madame. – Vous y avez connu mon beau-frère, l’abbé d’Avarenne ? – Je l’y ai vu, madame. – Il fait aussi des siennes, n’est-ce pas ? – D’une autre façon, madame, dit Jean d’un ton sec. – Oui, reprit la duchesse avec hauteur, de la façon d’un gentilhomme et non pas d’un manant. En disant ces mots, la duchesse toisa le meunier d’un air de mépris. Jean baissa les yeux et reprit avec un ton marqué d’impatience mal contrainte : – J’attends vos ordres, madame. – Mais, reprit madame d’Avarenne, vous ne les attendez guère, car vous les demandez à toute minute. Elle se tut et s’agita comme une femme qui voit qu’elle ne va pas au but qu’elle voulait atteindre. Dans la brusquerie de ses mouvements, sa robe se dérangea tout à fait et découvrit la naissance d’une jambe fine, délicate et suavement arrondie. Madame d’Avarenne réfléchissait en ce moment. Au bout d’une minute, elle s’aperçut de la nudité de ses jambes ; elle prit le pan de sa robe pour les voiler ; mais elle s’arrêta soudainement, resta dans cette position, et, glissant son regard de côté, elle chercha celui de Jean. Le regard de Jean était baissé, son visage sérieux : ou il n’avait pas vu cette nouvelle grâce, ou il n’y avait pas pris garde, ou il la dédaignait. La duchesse le trouva beaucoup plus impertinent que la première fois qu’il l’avait regardée. Elle se sentit de l’humeur ; pourquoi ? contre qui ? à quel propos ? elle n’en savait rien. Elle se décida à renvoyer Jean, se leva, prit le billet du prince et la lettre qu’elle avait répondue ; elle se remit au coin du feu pour voir si sa réponse était suffisante ; et pour en mieux juger, elle relut le billet du prince : il ne fit qu’accroître l’humeur où était la duchesse ; et quand elle arriva à cette phrase : « Vous êtes dans un si horrible pays, que je ne vous demande pas la fidélité comme une preuve d’amour, » elle ne put retenir une exclamation de colère et de mépris ; elle haussa les épaules, chiffonna le billet dans ses doigts et se mit encore à réfléchir en silence. Nouvelle humeur, nouvelle agitation, nouveau dérangement de robe de chambre : elle s’était ouverte du haut, et la soie du vêtement, glissant doucement sur la soie des épaules jusqu’à la naissance des bras, découvrit cette ligne pure, flexible, infinie, qui, partie de la tête, descendait, par un cou svelte et gracieux et par des épaules pures, blanches et fluides, jusque sous les plis de la robe, où elle se perdait si doucement, si vaguement, qu’il semblait que l’œil pût l’y poursuivre et l’y compléter. Les réflexions de la duchesse furent assez longues pour que Jean relevât les yeux et vît ce buste blanc et parfait ; assez longues aussi pour qu’après avoir détourné ses regards de cet enivrant aspect, il les y reportât malgré lui, puis les y tînt attachés ; puis enfin, oubliant qu’on pouvait surprendre ses regards, il se laissât aller à une admiration qui fit rougir son front et trembler son corps. Au bruit de sa respiration haletante, la duchesse se retourna ; mais le regard de Jean ne se baissa plus devant le sien, il y pénétra au contraire, y plongea de tout son feu, et ce fut celui de madame d’Avarenne qui, cette fois, se couvrit de ses paupières. Elle n’avait plus envie de gronder, et à ce moment où elle eût pu devenir sérieuse, elle eut le tort de vouloir rire, et elle dit gracieusement à Jean :
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