Chapitre V-1

3011 Words
Chapitre VSur ma foi, ce langage est tout nouveau pour moi ; Ma langue n’est pas faite à ces accents bizarres, Et ne peut prononcer des phrases si barbares. Elles peuvent avoir du mérite et du poids ; Mais elles sont pour moi ce que fut autrefois Pour le jeune David de Saül cuirasse, Une inutile armure, un pesant embarras. J.B. Pendant ce temps Markham Éverard continuait à marcher vers la Loge. Il suivait une des longues avenues qui traversaient la forêt, et dont la largeur variait au point que les arbres, tantôt unissant leurs branches, répandaient une obscurité profonde, tantôt s’écartaient comme pour livrer passage à quelques rayons de la lune, et quelquefois, s’éloignant davantage, formaient de belles clairières tapissées de verdure et éclairées d’une lumière argentée. Les divers effets que produisait cette clarté délicieuse sur les vieux chênes dont elle dorait plus ou moins complètement les feuilles d’un vert foncé, les branches mortes et les troncs massifs, auraient attiré l’attention d’un poète ou d’un peintre. Mais si Markham pensait à autre chose qu’à la scène pénible dans laquelle il venait de jouer un rôle, et dont le résultat paraissait être la ruine de toutes ses espérances, c’était aux précautions qu’il était à propos de prendre en faisant ce voyage nocturne. Les temps étaient dangereux ; le désordre régnait partout, les routes étaient couvertes de soldats débandés, principalement du parti royaliste, qui faisaient de leurs opinions politiques un prétexte pour troubler le pays et se livrer à des brigandages de toute espèce. En outre un grand nombre de braconniers, race toujours à redouter, infestaient depuis quelque temps la forêt de Woodstock. En un mot ce n’était pas sans motifs que Markham Éverard, indépendamment des pistolets chargés qu’il avait à sa ceinture, marchait l’épée nue sous son bras, afin de ne pas être pris au dépourvu si quelque péril se présentait. Il entendit la cloche de l’église de Woodstock sonner le couvre-feu à l’instant où il traversait une des petites clairières dont nous venons de parler, et le son cessa lorsqu’il arrivait à un endroit où le sentier, se rétrécissant, le laissait presque dans des ténèbres complètes. En ce moment il entendit quelqu’un qui sifflait en marchant ; et le son s’approchant peu à peu, il lui fut aisé de reconnaître que le siffleur avançait de son côté. Il ne pouvait guère croire que ce fût un ami, car son propre parti regardait comme profane toute espèce de chant et de musique, à l’exception de la psalmodie. – Si un homme a le cœur joyeux, qu’il chante des psaumes ; c’était là un texte qu’il plaisait à ces fanatiques d’interpréter aussi littéralement que plusieurs autres. Cependant le sifflement continuait trop longtemps pour que ce pût être un signal donné à des complices, et l’air en était trop joyeux pour qu’on pût soupçonner quelque mauvais dessein. Bientôt ayant assez sifflé, le voyageur entonna à gorge déployée le couplet suivant, que les anciens Cavaliers avaient coutume de chanter en montant la garde pendant la nuit : Aux armes ! Cavaliers, aux armes !À Belzébut point de quartier ;Et qu’en vous voyant OlivierÉtouffe de rage et d’alarmes.– Je connais cette voix, dit Markham en désarmant le pistolet qu’il avait pris à sa ceinture. Le chanteur continua : Faites rentrer dans la poussièreCet amas de vils ennemis.– Holà ! s’écria Markham, qui va là ? Pour qui êtes-vous ? – Pour l’Église et pour le roi, répondit une voix qui ajouta sur-le-champ : Non, non ! diable ! je me trompe ; je voulais dire contre l’Église et le roi, c’est-à-dire pour ceux qui ont le dessus ; j’ai oublié comment on les nomme. – C’est Roger Wildrake, à ce qu’il me semble. – Lui-même, de Squattlesea-Mere, dans le comté humide de Lincoln. – Wildrake ! on devrait plutôt vous nommer Wildgoose. Il faut que vous vous soyez humecté passablement le gosier pour entonner des airs si convenables aux circonstances ! – Sur ma foi, l’air est assez joli. Il est vrai qu’il n’est plus fort à la mode, et c’est vraiment dommage. – Qui pouvais-je m’attendre à rencontrer ici si ce n’est quelque enragé Cavalier, aussi ivre, aussi dangereux que le vin et la nuit les rendent ordinairement ? Et si j’avais récompensé votre mélodie d’une balle dans le crâne ? – Ma foi, dit Wildrake, c’eut été un violon de payé, et voilà tout. – Mais par quel hasard venez-vous de ce côté ? – J’allais vous chercher à la hutte du garde. – J’ai été obligé d’en sortir ; je vous en dirai la cause plus tard. – Quoi ! le vieux Cavalier chasseur a-t-il été bourru ? Chloé avait-elle de l’humeur ? – Ne plaisantez pas ainsi, Wildrake. – Il n’est plus de bonheur pour moi. – Du diable ! Et vous le dites si tranquillement ! Morbleu ! retournons-y ensemble, et je me chargerai de plaider votre cause. Je sais comment il faut s’y prendre pour chatouiller les oreilles d’un vieux chevalier et d’une jolie fille. – Dieu me damne, sir Henry Lee, lui dirai-je, votre neveu est un peu puritain, je n’en disconviens pas ; mais malgré cela, je soutiens qu’il est galant homme et joli garçon. – Miss Lee, dirai-je ensuite, vous pouvez penser que votre cousin a l’air d’un tisserand chanteur de psaumes avec ce vilain chapeau de feutre, cet habit brun tout uni, cette cravate dont le bout ressemble à une bavette d’enfant, et ces grandes bottes pour chacune desquelles il a fallu la moitié du cuir d’un veau ; mais qu’il ait un bon castor enfoncé de côté sur sa tête, un plumet qui convienne à sa qualité, une bonne lame de Tolède à son côté, qu’elle soit attachée à un ceinturon brodé, avec une poignée damasquinée, au lieu de cette lame de fer qui forme la garde de ce pesant André Ferrare, mettez-lui une langue bien pendue dans la bouche, et ventrebleu, miss Lee, dirai-je… – Paix, Wildrake, trêve de fadaises ! dites-moi si vous n’avez pas trop bu pour pouvoir entendre quelques mots de raison. – Si je le puis ! je n’ai fait que vider quelques pots de vin avec ces coquins de Têtes-Rondes, ces soldats puritains, à Woodstock. Et du diable s’ils ne m’ont pas regardé comme le meilleur républicain de la compagnie, tant je me tordais le nez en leur montrant le blanc de mes yeux. Pouah ! le vin même avait un arrière-goût d’hypocrisie : je crois pourtant que le coquin de caporal a fini par avoir des soupçons ; mais les soldats… ils ont été jusqu’à me prier de prononcer une bénédiction sur le dernier pot. – C’est justement à ce sujet que je désirais vous parler, Wildrake. – Je suis sûr que vous me regardez comme votre ami ? – Fidèle comme l’acier. Camarades au collège et à Lincoln’s Inn, nous avons été Nisus et Euryale, Thésée et Pyrithous, Oreste et Pylade, et pour finir par une petite citation puritaine, David et Jonathan. Les opinions politiques mêmes, ce germe de division qui sépare les amis et les parents, comme un coin de fer fend le chêne le plus dur, n’ont pu venir à bout de nous désunir. – C’est la vérité ; et quand vous suivîtes le roi à Nottingham, et que je m’enrôlai sous le comte d’Essex, nous nous jurâmes, en nous séparant, que quelque parti qui fût victorieux, celui de nous qui y serait attaché protégerait son camarade moins fortuné. – À coup sûr, Markham, à coup sûr ; et vous avez bien exécuté votre promesse. Ne m’avez-vous pas sauvé de la corde ? Ne vous dois-je pas le pain que je mange ? – Je n’ai fait pour vous, mon cher Wildrake, que ce que je suis sûr que vous auriez fait pour moi si la chance des armes eût tourné autrement. Mais, comme je le disais, c’est ce dont je voulais vous parler. Pourquoi rendre plus difficile qu’elle ne devrait l’être la tâche que j’ai entreprise de vous protéger ? Pourquoi vous jeter dans la compagnie de soldats ou de gens parmi lesquels vous ne pouvez manquer de vous échauffer et de vous trahir ? Pourquoi courir le pays en beuglant de vieilles chansons de Cavalier, comme un soldat ivre du prince Rupert, ou un fanfaron des gardes du corps de Wilmot ? – Parce que je puis avoir été l’un et l’autre tour à tour, comme vous le savez, Markham. Mais, morbleu ! faut-il que je vous rappelle toujours que notre obligation de protection mutuelle, notre ligue offensive et défensive, comme je puis la nommer, doivent s’exécuter sans aucun égard aux opinions politiques ou religieuses d’aucune des deux parties contractantes, sans qu’aucune d’elles soit tenue de se conformer en rien à celles de l’autre ? – Vous avez raison ; mais il y avait cette réserve indispensable que celui qui aurait besoin de la protection de l’autre se conformerait aux circonstances de manière à ne pas rendre inutiles et même dangereux les efforts de son ami pour le protéger. Or vous ne passez pas un seul jour sans faire quelque frasque qui met en péril et votre propre sûreté et le crédit dont je jouis. – Je vous dis, Marc, et je dirais à l’apôtre votre patron, que vous êtes trop sévère à mon égard. Vous avez reçu des leçons de sobriété et d’hypocrisie depuis l’instant où vous portiez des jupons jusqu’à celui où vous avez pris le costume de Genève, depuis votre berceau jusqu’à ce jour ; c’est donc une chose qui vous est naturelle ; et vous êtes surpris qu’un brave garçon, franc, honnête, qui a été toute sa vie habitué à dire la vérité, surtout quand il la trouvait au fond d’un flacon, ne puisse atteindre tout d’un coup à une perfection comme la vôtre ! – Corbleu ! les choses ne sont pas égales entre nous. Autant vaudrait qu’un plongeur exercé, qui peut sans inconvénient retenir son haleine sous l’eau pendant dix minutes, reprochât à un pauvre diable d’être prêt à y étouffer au bout de vingt secondes, – Et après tout, le déguisement étant si nouveau pour moi, il me semble que je ne le porte pas trop mal. – Mettez-moi à l’épreuve. – A-t-on reçu quelques autres Nouvelles de Worcester ? demanda Éverard d’un ton si sérieux qu’il en imposa à son compagnon, qui pourtant lui répondit d’une manière tout à fait conforme à son caractère. – Oui. – De chiennes de nouvelles. Cent fois pires que les premières. – Tout est à la débandade. – Noll a certainement vendu son âme au diable ; mais il viendra un temps où il faudra qu’il la lui livre : c’est toute notre consolation actuelle. – Quoi ! est-ce ainsi que vous répondriez au premier Habit-Rouge qui vous ferait la même question ? Je crois que ce serait le moyen d’avoir un prompt sauf-conduit pour le corps-de-garde le plus voisin. – Oh ! mais je croyais répondre à mon ami Markham, sans quoi j’aurais dit, – nouvelles excellentes. – Une merci du ciel. – Une manifestation de la puissance divine. – D’éternelles actions de grâces à lui rendre. – Les malveillants ont été dispersés de Dan à Beersheba. – Ils ont été taillés en pièces, frappés à mort, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher. – Avez-vous entendu parler des blessures du général Thornhaugh ? – Il est mort, – c’est une consolation du moins, – le chien de Tête-Ronde ! – Un moment ! ma langue va trop vite ; je voulais dire l’excellent et pieux jeune soldat. – Et que savez-vous du Jeune Homme, du roi d’Écosse, comme on l’appelle ? – Rien, si ce n’est qu’il est chassé comme un daim sur les montagnes ; puisse Dieu le sauver, et confondre ses ennemis ! – Morbleu, Markham, je ne puis porter ce s*t masque plus longtemps avec vous ! Ne vous souvenez-vous pas que dans les parades que nous jouions à Lincoln’s Inn, – quoique vous n’y prissiez pas grande part, – je m’acquittais toujours de mon rôle aussi bien qu’aucun de nos camarades, à ce qu’il me semble, quand le moment de la représentation était arrivé ; mais j’étais constamment détestable lors des répétitions ? C’est la même chose aujourd’hui. Je reconnais votre voix, et j’y réponds avec mon ton naturel ; mais en compagnie de vos amis nasillards, vous m’avez vu me tirer d’affaire passablement. – Passablement ! tout au plus ; et cependant tout ce que je vous demande, c’est d’être modeste et de garder le silence. Parlez peu, tâchez de vous défaire de votre habitude de jurer, et placez votre chapeau de niveau sur votre tête. – Oui, c’est là ma malédiction. J’ai toujours été remarqué pour la manière élégante avec laquelle je mets mon chapeau de côté. – Il est cruel que le mérite d’un homme devienne son ennemi. – Vous devez vous souvenir que vous êtes mon clerc. – Secrétaire. – Que ce soit secrétaire, si vous avez quelque amitié pour moi. – Il faut que ce soit clerc, – pas autre chose, – simple clerc. – Et souvenez-vous d’être docile et soumis. – Mais il ne faudrait pas me donner vos ordres avec tant d’ostentation et de supériorité, maître Markham Éverard. Songez que je suis votre aîné de trois ans. – Je ne sais en vérité comment je dois le prendre. – Vit-on jamais une plus mauvaise tête ! – Par égard pour moi, si ce n’est pas pour vous-même, forcez votre folie à entendre raison. Songez que je me suis exposé pour vous au blâme et à mille risques. – Oui, vous êtes un brave garçon, Markham, et je ferai pour vous tout ce que je pourrai faire. Mais souvenez-vous de tousser, de faire hem ! quand vous me verrez prêt à sortir des bornes. – Et maintenant où allons-nous cette nuit ? – À la Loge de Woodstock, pour veiller aux propriétés de mon oncle. Je suis informé que des soldats s’en sont mis en possession. – Et cependant, comment cela peut-il être, si vous les avez trouvés à boire à Woodstock ? – Il y avait avec eux une espèce de commissaire, de mandataire, je ne sais quel drôle, qui était allé à la Loge. – Je l’y ai même entrevu. – En vérité ? – En sainte vérité, pour parler votre langage. En traversant le parc pour aller vous joindre, il y a tout au plus une demi-heure que je vis une lumière dans la Loge. – Venez de ce côté, vous la verrez vous-même. – À l’angle du nord-ouest ? Elle vient d’une fenêtre de ce qu’on appelle l’appartement de Victor Lee. – Eh bien, ayant servi longtemps dans les voltigeurs de Lundsford, je connais les devoirs d’un éclaireur. – Du diable, me dis-je à moi-même, si je laisse une lumière en arrière sans en avoir fait la reconnaissance. – D’ailleurs, Markham, vous m’avez tant parlé de votre jolie cousine, que je n’aurais pas été fâché de la voir un instant. – Inconsidéré ! étourdi incorrigible ! à quels dangers vous vous exposez, et quels risques vous faites courir à vos amis, par pure légèreté ! Mais voyons, continuez. – Par ce beau clair de lune, je crois que vous êtes jaloux, Markham Éverard ! mais vous n’avez pas sujet de l’être, car, moi qui cherchais à voir la belle dame, j’avais une cuirasse d’honneur qui me mettait à l’abri de ses charmes ; et comme elle ne devait pas me voir vous comprenez qu’elle ne pouvait faire de comparaisons qui vous fussent désavantageuses. Enfin, de la manière dont l’aventure se termina, aucun de nous ne vit l’autre. – Je le sais parfaitement. Miss Lee avait quitté la Loge longtemps avant le coucher du soleil, et elle n’y est pas rentrée. Mais, après une telle préface, me direz-vous ce que vous avez vu ? – Pas grand-chose. Seulement, ayant monté sur une sorte d’arc-boutant, – car je grimpe aussi bien qu’aucun chat qui ait jamais rôdé dans les gouttières, – et m’accrochant aux vignes qui tapissaient les murs, je me postai en un endroit d’où je pouvais voir l’intérieur de l’appartement dont vous parlez. – Et qu’y avez-vous vu ? – Pas grand-chose, comme je vous l’ai déjà dit ; car dans le temps où nous sommes, ce n’est pas merveille de voir des goujats faire ripaille dans les appartements des nobles et des princes. – J’ai vu deux drôles occupés à vider d’un air grave et solennel une cruche d’eau-de-vie, et à dévorer un énorme pâté de venaison, qu’ils avaient placé sans cérémonie sur la table à ouvrage d’une dame, et l’un d’eux essayait les cordes d’un luth. – Les misérables profanes ! C’était celui d’Alice. – Bien dit, camarade ! – je suis charmé de voir qu’il soit possible d’émouvoir votre flegme. – Mais ces incidents de la table et du luth ne sont que des embellissements ajoutés à mon récit, pour essayer, s’il était possible, de tirer d’un être sanctifié comme vous l’êtes quelque étincelle des sentiments de la pauvre humanité. – Et quel était l’extérieur de ces deux hommes ? – L’un était un fanatique à figure sournoise, portant un chapeau à larges bords, de longs habits, en un mot, semblable à ce que vous êtes tous, et j’ai supposé que c’était le mandataire ou le commissaire dont j’avais entendu parler dans la ville. – L’autre était un gaillard trapu et vigoureux, qui portait un couteau de chasse à sa ceinture, et qui avait à côté de lui un gros gourdin. – Un drôle à cheveux noirs, à dents blanches, et à physionomie joviale. – Je l’ai pris pour quelque garde du parc. – Il faut que ces deux hommes soient le favori de Desborough, Tomkins le Fidèle, et Jocelin Joliffe, garde forestier. Tomkins est le bras droit de Desborough. C’est un indépendant, et il a des dons du ciel, comme il le dit lui-même. Bien des gens pensent que les dons qu’il reçoit font plus pour lui que la grâce, et j’ai entendu dire qu’il a a***é de certaines occasions. – Du moins il mettait celle-ci à profit ; et la cruche s’en ressentait, lorsque, comme si le diable l’avait voulu, une pierre que le temps avait détachée du vieil arc-boutant céda sous mes pieds. Un maladroit comme vous aurait réfléchi si longtemps sur ce qu’il avait à faire, qu’il aurait suivi la pierre avant d’avoir pris son parti ; mais moi, Markham, je sautai comme un écureuil, et m’accrochai ferme à une branche de lierre. – Peu s’en fallut que je ne reçusse une balle pour mes peines ; car le bruit avait donné l’alarme aux deux convives. Ils accoururent à la fenêtre, et me virent en dehors. Le garde courut à son gourdin, le fanatique saisit un pistolet, – vous savez qu’ils ont toujours de pareils textes suspendus à la ceinture à côté d’une petite Bible à fermoirs. – Je les régalai tous deux d’une espèce de hurlement, accompagné d’une grimace infernale. – Il est bon que vous sachiez que je puis grimacer comme un babouin : je l’ai appris d’un baladin français qui pouvait faire de ses mâchoires un casse-noisettes. – En même temps, je me laissai couler doucement sur le gazon, je me glissai sans bruit, en rampant dans l’ombre, le long du mur, et je m’éclipsai si bien à leurs yeux que je suis convaincu qu’ils ont cru que j’étais leur parent, le diable en personne qui venait leur rendre visite sans avoir été appelé. – Ils ont eu, vous dis-je, une fière peur. – Vous êtes cruellement téméraire, Wildrake ! – Et maintenant que nous allons à la Loge, s’ils vous reconnaissaient ? – Eh bien ! ai-je commis un crime de haute trahison en les regardant ? Personne n’a payé une pareille curiosité depuis le temps de John de Coventry, et si on lui fit rendre compte de la sienne, sur ma foi, j’ose dire que ses yeux avaient été mieux régalés que les miens. Mais rassurez-vous, ils ne me reconnaîtront pas plus qu’un homme qui n’aurait vu notre ami Noll que dans un conventicule de saints ne reconnaîtrait le même Olivier à cheval, chargeant à la tête de son escadron couleur d’écrevisse, ou plaisantant et vidant une bouteille avec le poète profane Waller. – Chut ! Pas un mot d’Olivier, si vous faites quelque cas de votre vie et de la mienne. Il ne faut pas plaisanter du rocher sur lequel on peut échouer. – Mais nous voici à la porte, et nous allons troubler les plaisirs de ces messieurs. À ces mots, levant le pesant marteau, il le fit retentir contre la porte massive. – Rattatatou ! dit Wildrake, voilà une belle alarme pour vos cocus de Têtes-Rondes. Et dansant en mesure, il se mit à fredonner à demi-voix la marche qui portait ce nom :
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