III
Je demeurais moi-même place de la Bastille. La rue de Rivoli était un enchantement ce jour-là. Il faisait précisément un de ces temps merveilleux que tu regrettes. Des charretées de lilas par les chaussées et, par les trottoirs, de belles filles tout au triomphe de leurs printanières toilettes, le cou nu pour la première fois depuis longtemps, aspirant à pleines narines les griseries de l’air tiède, avec des escarpins neufs dont elles montraient le bout d’un mouvement plein de coquetterie. Toutes charmantes, mais une entre toutes… une merveille, mon cher ! Un moutonnement d’ébène à la nuque, les épaules tombant avec une grâce puissante, des hanches…
– Jacques, ma pudeur commence à s’alarmer.
– Sache donc seulement qu’elle prit le boulevard de Sébastopol et m’entraîna fort loin dans le sens inverse de ma course. Ignore d’ailleurs tout le reste, sinon cependant que j’étais encore sur les buttes Montmartre à une heure. Mais l’omnibus de l’Odéon n’a pas été institué pour les chiens. C’est même tout au plus s’il l’a été pour les hommes, puisqu’on n’y trouve jamais de place. Par exception, je m’y casai, dans l’intérieur, entre les redondances de deux messieurs énormes, une fichue position. Mais j’en oubliai rapidement les dommages et l’ennui de ce métier de sandwich rien qu’à regarder droit devant moi. J’avais, en effet, pour vis-à-vis, une dame tout à fait appétissante, une façon de bourgeoise fleurant les parfums discrets de l’honnêteté ; la femme de quelque petit employé, sans doute. Comme François Coppée, je trouve un charme poétique à ces médiocrités de la vie, quand elles sont compensées surtout par de sérieux mérites. On n’a pas besoin d’être une duchesse pour avoir de provocants nénés, une bouche où le désir s’attache, des mollets…
– Jacques !
– Soit. Apprends toutefois qu’au Palais-Royal elle prit une correspondance pour les Champs-Élysées, que je l’imitai de point en point, et qu’il était près de cinq heures quand je redescendis la colline des Ternes.