IV
– Te rappelles-tu le mercredi des Cendres ? me dit Héloïse, après quelques mots d’oraison funèbre prononcés en commun en l’honneur du bedeau trépassé.
Et ma compagne d’autrefois éclata de rire.
– Ah ! les jolies dents que vous avez encore, ma chère, et les pensées coupables que vous me donnez !
Le diable m’emporte, Héloïse fit un signe de croix.
Oh ! ce mercredi des Cendres ! Il avait failli compromettre à jamais les destinées paisibles de monsieur Plantin. Un jour triste dans la vieille paroisse, un matin gris avec des bouffées d’air froid qui entraient, à chaque nouveau venu, blotties qu’elles étaient dans le soufflet des doubles portes retombant avec un bruit sourd de choses ouatées. À peine, de temps en temps, un sourire de soleil pâle à travers les vitraux, de soleil hivernal qu’éteint, comme un flambeau, l’haleine glacée des nuées. Les fidèles se succédaient au chœur, agenouillés tour à tour sur les marches du sanctuaire et tendant leur front au pouce poudreux du prêtre qui leur marmottait à tous le même bout de latin : Memento, homo ! Ô poussière que nous sommes devant les tabernacles de la foi et sous le pied cruel de l’amour ! Héloïse, qui était ma voisine, me donna un coup de coude. Je levai les yeux sur monsieur Plantin qui, pas à pas, suivant M. le curé, présentait la patène d’argent aux lèvres des humiliés. Comme il arrive toujours, le mouvement fut contagieux et ce fut bientôt un bruit de petits rires étouffés, quelque chose comme le grésillement charmant de la friture chaude et impatiente des goujons. Puis la rumeur s’accrut et les mains se portèrent insensiblement aux ventres comme pour y maintenir les pyriques incongrues de la rate. C’est que monsieur Plantin offrait, sans le vouloir, un spectacle tout à fait inattendu. Ayant eu, avant de se rendre à l’église, comme on nous l’apprit en sortant, une scène de jalousie avec sa femme, celle-ci lui avait déchiré notablement le fond de sa culotte, et le misérable, inconscient de ce malheur que la marche rapide et l’étroitesse voulue du vêtement avaient accru, se promenait, majestueux et porteur de l’objet sacré, les fesses littéralement nues au-dessus d’une sorte de tabatière de draps. (Mes amis, Dieu vous garde du tabac qui se prend là !)
Cependant, à la vue de ce derrière en balade sacrilège, les vieilles dévotes qui venaient les dernières, un chapelet à la main, commencèrent de se trémousser avec des gestes de colère et en adressant à ce pauvre monsieur Plantin toutes sortes de pantomimes furieuses. Mais lui, se méprenant sur la nature de cet émoi, et croyant qu’elles s’impatientaient seulement de ce que la patène, s’attardant aux bouches des unes et des autres, venait à la leur trop lentement :
– Mesdames, leur dit-il avec majesté, vous l’embrasserez chacune à votre tour.
Au souvenir du vacarme que le propos avait soulevé, Héloïse rit encore de toute la blancheur de ses sacrées dents. J’avais l’air suppliant :
– Adieu, me dit-elle.
Et, de sa petite main gantée, elle serra ma main qui, durant plus d’une heure encore, sentit le plus délicieux opoponax, ravivant dans ma chair d’inutiles aiguillons.
Fatalité